CONSEIL EUROPEEND'ANSTERDAM
ENTRETIEN DU MINISTRE DES AFFAIRESETRANGERES,
M. HUBERT VEDRINE, AVEC "FRANCE INFO" (Paris, 18 juin1997)
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Q - Le Pacte de stabilité, c'est du super-Maastricht quine nous engage en rien, d'ailleurs c'est une concession absurde faiteaux Allemands. Vous souvenez-vous de cette phrase et de qui l'aprononcée ? Pourquoi avoir signé ce Pacte àAmsterdam ?
R - Parce qu'il y a une réalité politique etconstitutionnelle, il y a un président de la Républiquequi avait engagé la parole de la France sur ce pacte quidécoulait d'ailleurs en grande partie du Traité deMaastricht, même s'il y avait des ajouts qui pouvaientparaître excessivement rigoureux.
Ce qui fait que, par esprit de responsabilité politique, lePremier ministre a traité ce problème de lafaçon que l'on a vu à Amsterdam. Il a obtenu despartenaires européens de la France qu'ils réengagent ladiscussion de façon, non pas à remettre en cause cePacte, compte tenu des conséquences que cela aurait pu avoir,mais de façon à le compléter, à lerééquilibrer, à l'enrichir par un autre voletqui est la résolution sur la croissance et l'emploi. C'esttrès important car, depuis des années, laméfiance des opinions publiques s'étaitdéveloppée à force de voir cette Europe, quiportait tant d'espoir depuis tant d'années, ne se concentrer,apparemment en tout cas, que sur des concepts monétaires derigueur, des critères abstraits et lointains.
Q - Personne à Amsterdam n'a voulu mettre un euro deplus dans des aides supplémentaires à l'emploi ?
R - Il ne s'agit pas de créer des guichets qui distribuentde l'argent n'importe comment. Il s'agit de réinsérerdans le fonctionnement de l'Europe une préoccupation qui,malheureusement avait été perdue en cours de route quiest celle des gens, de la croissance, de l'emploi.Réinsérer cette préoccupation à tous lesdegrés de ce mécanisme. Ce qui fait que vous ne pouvezpas juger aujourd'hui. Cette résolution est à nos yeuxtrès importante, suffisamment pour qu'elle justifie l'adoptiondu Pacte, en plus du fait que la parole de la France étaitengagée par le président de la République. C'estnaturellement très important. Il faut juger ensuite dans ladurée, puisqu'à partir de cette résolution, nousobtenons la possibilité de bâtir une politique del'emploi en Europe sur l'article 103, qui va permettre dedévelopper une coordination des politiques économiquesnotamment dans ce domaine. Nous allons réinstaller sansarrêt, à tous les niveaux : Conseil européen,Conseil des ministres, un souci d'emploi qui était devenutragiquement absent. Pour nous, c'est une très bonne base,elle justifie amplement l'adoption du Pacte et de cetterésolution. Maintenant, cela dépendra de ce que lesgouvernements européens vont faire avec cela.
Q - Et maintenant, en France, on attend le Premier ministre autournant, c'est-à-dire demain à l'Assemblée.Comment, dans son discours de politique généraleva-t-il faire le lien entre les engagements sur l'euro et lesdéficits publics en France qui seront peut-êtremodifiés par sa nouvelle politique sociale ?
R - Ce n'est pas à moi de répondre la veille pourexpliquer ce qu'il va dire demain dans sa déclaration depolitique générale. Attendez, écoutez-le etcommentez après. Il a pris ses responsabilités, il amené la campagne que vous savez, il étaitlui-même à Amsterdam dans ce Conseil européen.Nous avions rencontré les Allemands à Poitiers justeavant, son ministre de l'Economie et des Finances, DominiqueStrauss-Kahn s'était concerté avec sescollègues, cela n'a pas cessé pendant dix jours et l'ona vu l'ensemble des autres Européens intégrer ce faitpolitique nouveau qui est cette nécessité absolue d'uneEurope qui se préoccupe aussi de croissance et d'emploi.Simplement parce que tous les autres gouvernements, même sicela les perturbent un peu au passage, savent que c'estlégitime. Dans chacun des autres pays la question se pose. Onpeut donc espérer qu'au bout du compte, tout cela aurarelégitimé la construction européenne, lui auraredonner une énergie compréhensible par les opinions.
Q - Pour en revenir à l'euro, puisque le nouveaugouvernement va demander un audit de finances publiques, que sepassera-t-il pour l'euro si l'audit évalue le déficitentre 3,5 et 4 % réel ?
R - Nous verrons, nous ne pouvons pas faire de plan aujourd'hui.On ne sait pas aujourd'hui quel sera l'état exact desdéficits des uns et des autres. C'est donc difficile d'enparler maintenant. On ne sait pas ce que donnera l'audit en question.
Q - C'est donc une incertitude pour l'euro également?
R - Non, ce n'est pas une incertitude apportée par nous.Personne ne connaît la réalité exacte desdifférentes économies européennes lorsqu'ilfaudra prendre les décisions déterminantes. C'est bienpour cela que lorsque que le Traité de Maastricht aété négocié, on a introduit la notion"d'interprétation en tendance", ce qui veut dire simplement :interprétation politique.
La monnaie c'est tellement important, la monnaie unique, l'europour donner à l'Europe de la force, de la souverainetédans le rapport de forces mondial. La possibilité d'agir,c'est tellement important, que le jour venu, il faudra prendre unedécision qui soit naturellement fondée sur le planéconomique et inspirée par une vision historique. Toutcela n'est pas prévu d'hier. Ce n'est pas la remise en caused'il y a dix jours. C'est le Traité lui-même qui le dit.
Q - Comment avez-vous trouvé nos partenaires allemandsà Poitiers puis à Amsterdam ? On dit que le moteurfranco-allemand s'essouffle.
R - Je trouve les relations franco-allemandes comme je les aietoujours connues. Il y a simultanément des sujets sur lesquelsles deux pays sont d'accord, et des sujets sur lesquels ils sont endésaccord, parce qu'ils sont très différents. Etpuis, il y a des sujets qui sont entre les deux sur lesquels il fautdébattre et discuter.
Q - Les sujets de désaccord ne sont-ils pas de plus enplus nombreux ?
R - Ce qui me paraît plus exact par rapport àl'Europe que j'ai vu fonctionner de l'intérieur à 12,c'est que c'est plus compliqué à 15. Cela paraîtune énorme banalité mais c'est vrai que c'est beaucoupplus compliqué, pour dégager un consensus, pourdégager une direction.
Q - Qu'est-ce que ce sera à 20 ?
R - C'est bien pour cela que, comme ce sera plus compliquéà 20, il fallait obtenir dans la négociation sur laConférence intergouvernementale, c'est-à-dire leperfectionnement du Traité de Maastricht, un resserrement desmécanismes de décisions pour affronter un nouvelélargissement sans que l'Europe se dilue. On avait toutà perdre à ce que l'Europe se dilue. Il faut qu'ellepuisse fonctionner, prendre des décisions et avoir despolitiques. On a obtenu des résultats qui sont entre les deux,pas mauvais sur certains points et insuffisants sur d'autres. Nousavons obtenu les coopérations renforcées. C'est biencar il suffit qu'il y ait huit Etats qui soient d'accord pouravancer. Les autres ne peuvent pas les empêcher de mener unecoopération dans un domaine ou dans un autre. C'est unélément de souplesse. En revanche, nous n'avons pasencore obtenu de modifier la repondération des voix, lacomposition de la Commission qui risque bien de finir "obèse"si cela continue. Mais ce qui a quand même étéacté à Amsterdam, et c'est assez important, c'est quel'on n'ira pas au terme du nouvel élargissement sans avoirrégler cette question.
Q - Pour en revenir aux Allemands, leur respirationeuropéenne n'est-elle pas en train de s'essouffler tout demême, peut-être parce qu'ils sont déjà encampagne électorale ?
R - Je pense qu'en Allemagne comme partout, comme en France, enGrande-Bretagne et dans les pays d'Europe, il y a des forcescontraires, une dialectique politique qui est normale avec des pouret des contre. Sur l'euro, ce que je note c'est que, naturellementcertains milieux allemands voudraient s'en dégager, s'en tenirà une zone mark et trouvent cela un peu compliqué. Maisd'une part, le chancelier Kohl reste absolument engagé danscette direction. On peut même dire qu'il y a identifiéson combat politique. Et d'autre part, de très nombreuxmilieux industriels restent dans cet axe. Il y a toute une sorted'énorme machinerie allemande qui se prépare àcette perspective et qui la prépare naturellement avecsérieux. Il y a des forces dans les deux sens. Je crois quel'engagement pour l'euro reste dominant. C'est d'ailleurs unengagement aussi de ce gouvernement. Simplement, il ne veut pas lefaire dans n'importe quelles conditions sociales.
Q - Un mot des autres grands sommets internationaux àvenir, Denver mercredi, le G7 devenu G8, et Madrid en juillet lesommet de l'OTAN. Le retour de la France dans le commandementintégré, ce ne sera pas pour Madrid ?
R - Je crois que c'est plutôt au président de laRépublique, le moment venu, c'est-à-dire lorsqu'il lechoisira, soit à Madrid soit avant, d'expliquer quelle analyseil fait de la situation puisque c'est lui qui a engagé unmouvement de rapprochement par rapport à l'OTAN, sans que cene soit vraiment un retour. Donc, je crois que c'est à luid'apprécier s'il estime avoir reçu, en termes deréformes de l'OTAN et en termes de place de la France, deséléments suffisants pour aller au terme de ce processusou non.
Q - Vous êtes sceptique là-dessus ?
R - Oui je suis plutôt sceptique, mais je ne veux pasanticiper sur une discussion. Il n'y a pas eu véritablement dediscussion précise entre le président de laRépublique et le gouvernement sur ce point. Le sommet dontvous parlez a lieu les 9 et 10 juillet. Nous avons le temps de nousorganiser. Il n'y a pas que le problème de la place de laFrance au sein de l'OTAN, mais aussi les questionsd'élargissement de l'OTAN et de sa réforme. Sur tousces points, il faut savoir si cela va dans le bon sens ou pas,c'est-à-dire si cela fait une place utile à l'Europe oupas. Ce qui est tout de même notre souci./.
© Ministère des Affaires étrangères,19/06/1997