Paroles de Dieux

Deux candidats à être les mentors de l’humanité dialoguent dans plusieurs « lieux » d’une Terre qui se proclame Sainte. Qui est qui ? Qui pense quoi ? De quelle vision de l’homme sont-ils porteurs ? Quelles qualités leurs prêtent-ils ?  Les hommes sont-ils des grains indifférenciés dont on peut faire des châteaux de sable ? Où des graines  singulières d’où sortiront des arbres solides et autonomes ?

Station B2 : (La peur du vide)

Ils étaient là, au sommet de la montagne, devisant.

- Tu prétends toi aussi être le roi du monde ? Vois ce royaume à tes pieds. Vois comme il est vide !
- C’est un espace de liberté que tu ne peux pas comprendre. Tu voudrais que les gens restent à leur place et se contraignent les uns les autres. Comment existent-ils s’ils ne peuvent bouger ?
- Ils sont solidaires. Leur immobilité est la condition de leur survie.
- Mais que vaut-il mieux ? Vivre ou survivre ?
- Ne faut-il pas l’un pour assurer l’autre ?
- Survivre c’est sous vivre.
- S’associer est la condition de la liberté. Il n’y a de liberté que sociale.
- Il n’y a pas meilleure prison que celle que l’on se construit !
- Il n’y a surtout pas de meilleure prison que la solitude !

Station B1 : (Liquide ou solide)

Ils étaient là, sur la terrasse d’une des maisons de La Ville. Au loin, la figure massive du temple tentait de percer les brumes de la chaleur du matin. Et à leurs pieds, la multitude vivait, ignorante de leur dialogue.

- Est-ce là une ville ? Une foule piégée dans le labyrinthe des rues ?
- Où vois-tu une foule ? Je ne vois que des individus qui s’affirment, là et maintenant.
- Qui s’affirment ? Qui s’ignorent dirais-je plutôt. Chacun est invisible à l’autre.
- Invisible ! Et ce marchand là ! Et ce porteur d’eau ici ! Et ce comédien entouré d’enfants rieurs !
- Que des solitudes adjacentes…
- Et là, regarde comme ils font bloc face à cette femme impudique ! Vois comme ils agissent à l’unisson !
- L’unisson de la morale, l’unisson de la règle : l’unisson du refus de la singularité.  Regarde plutôt ce maraudeur. Vois comme il file le long des murs, se coule dans l’ombre des gens, s’affirme en se cachant !
- Ah, oui ? Et que serait-il sans la bourse des autres.

Station B3 : (Les petits n’aiment pas les gros)

Ils étaient là, au pied de La Tour, les yeux levés vers un sommet presque déjà perdu dans les nuages, surmonté d’échafaudages qui ne partiront jamais.

- Mais pourquoi sont-ils toujours fascinés par les hauteurs ?
- Tu le demandes ? Toi qui te prends pour le Très Haut ?
- Veulent-ils nous ressembler ou se mesurer à nous ?
- Ton « nous » me gène. Tout se passe ici-bas pour moi.
- Leurs tentatives d’ascension me fascinent !
- Elles m’amuseraient plutôt ! Vois comme ils partent sûrs d’eux, la tête haute, le sourire vainqueur. Et regarde les quelques spirales plus tard, suant, pleurant, geignant, s’écroulant.
- Mais ne renonçant pas ! Et c’est essentiel.
- Preuve ultime d’orgueil plutôt. Renoncer, c’est paradoxalement avancer.
- Etrange et spécieuse éloge de l’échec.
- Regarde plutôt ceux qui ignorent cet appel des hauteurs. Ils s’occupent des leurs. Leur bonheur est horizontal.
- Leurs attentes sont petites.
- Mais leurs objectifs atteignables, au moins.

Station B4 : (Les chaînes de force)

Ils étaient là, entre les deux premières colonnes du temple, l’un observant la cour où se préparaient les sacrifices, l’autre regardant le Saint des Saints, caché aux yeux du vulgaire et pourtant si présent.

- Combien de morts données sont-elles nécessaires pour Le remercier ou avoir Ses faveurs ? Pourquoi une ne suffirait-elle pas ? Les souffrances s’additionnent-elles ? Ne sont-elles pas toutes égales et infinies à la fois ? Le salut serait-il donc comptable ?
-  Ne comprends-tu donc rien ? Ces morts sont des leurres ! Elles sont toutes solitaires ! Pendant que le sang coule et qu’il hypnotise les hommes, ceux-ci ne s’occupent plus de leur destin, mais nourrissent leurs peurs et construisent Sa liberté.
- Ces morts sont les lettres d’une question qu’il ne faut jamais cesser d’écrire : comment vivre ?
- Regarde comme ils voudraient ne pas être de cette question ! Regarde comme ces pauvres créatures protestent et nous disent : « Trouvez un autre alphabet ! ».

Station B5 : (L’eau ennemie ou amie)

Ils étaient là, au sein de l’assemblée, mais personne ne les voyait. Qui voulait commentait La Parole, pendant que d’autres ratiocinaient.

- C’est le lieu de la raison à l’œuvre.
- Où est la raison dans La Parole ? Tout n’est qu’interprétation. Chacun y voit ce qui l’arrange ! Et on ne s’arrange pas avec la raison.
- Ne vois-tu pas que La Parole n’est littéralement qu’un pré-texte ! Une Parole qui suscite la parole, une parole qui suscite l’interrogation. Et l’interrogation n’est-elle pas le moteur de la raison ?
- Mais pourquoi cet artifice ? Ces créatures ne peuvent-elles raisonner en direct ?
- La pensée est une violence faite à la nature, qui ne veut pas de maître. La Parole est l’ennemie de la nature et l’amie des hommes.
- Faut-il vraiment choisir son camp ?

Station B6 : (Les forces électrostatiques)

Il était là, aux pieds du bois où son interlocuteur venait d’être pendu.

- Où est ta puissance maintenant ?
- Sous tes yeux aveuglés par l’amour de la vie et des hommes.
- Toi mort, mon règne commence pourtant.
- Idiot que tu es ! De toi ils s’éloigneront ! Plus ils se rapprocheront, plus ils te fuiront. Parce qu’ils te ressemblent.
- Je saurai les convaincre. La raison est un aimant puissant.
- Mais sa force est si faible face à la peur de mourir. Les hommes sont prêts à renoncer pour être rassurés. Leur rassemblement est à ce prix.
- Ce rassemblement est leur mort.
- Et leur mort sera un rassemblement.
- Si c’est là la rançon de leur humanité, je les ferai renoncer à elle. Et ils ne t’appartiendront alors plus.
- Même là, tu ne les posséderas jamais.
- Ce sera justement ma victoire. Ils seront libres enfin…..