Interview du Grand Lyon sur la robotique de service (2011)

Dominique Sciamma partage avec nous sa vision des robots de demain. De formes multiples, ils auront des comportements, contribueront à notre bien-être et développeront avec nous de véritables relations. En bref, Dominique Sciamma annonce un monde radicalement neuf où les objets sont susceptibles d’être nos égaux et où ces nouvelles relations appellent des nouvelles responsabilités pour les concepteurs, les dirigeants, les penseurs, les utilisateurs… Enfin, s’appuyant sur des projets d’étudiants du Strate College, il nous montre combien les designers savent se saisir de ces nouveaux enjeux et représentent des alliés indispensables de la robotique de service. Cette interview s’inscrit dans le cadre d’une large étude sur la robotique de service conduite par la Direction de la prospective du Grand Lyon et son réseau de veille.

Propos recueillis par Caroline Januel le 4 juillet 2011

La robotique de service : la rencontre de l’offre et des usages

Quelles tendances sociales favorisent ou favoriseront à l’avenir la diffusion des robots de services ? Existe-t-il une demande de robots ?

Je ne pense pas qu’il y ait une demande de robots. Le robot renvoie d’abord à l’imaginaire et je ne suis pas sur que les gens soient en demande de robots tels qu’ils les imaginent. Les œuvres de fiction l’illustrent bien, le robot n’y est pas l’ami de l’homme en général. Quand vous me dites robot, moi je pense plutôt à une chaise, une étagère, une poubelle, une lampe… à des objets qui ne sont pas vus en général comme des robots. Je n’oublie pas pour autant que ces objets permettent de m’asseoir et de travailler, de ranger mes livres et de les consulter, d’éclairer mon bureau ou la pièce entière… en bref, ce sont les usages des objets qui m’intéressent. Je crois davantage à une promesse robotique généralisée : les robots seront partout, là où on ne les attend pas, sous des formes que l’on n’imagine pas, assurant des services que l’on ne soupçonne pas. Une chaise par exemple détectera mon humeur et sera susceptible de délivrer ma musique préférée au bon moment, celle que je n’arrête pas d’écouter sur deezer. Mon étagère me rappellera que j’ai acheté ce livre depuis un moment et que je n’ai pas encore pris le temps de le consulter en me projetant un extrait du texte sur le mur de mon bureau, etc.

Quelle est votre définition d’un robot ?

Pour moi, un robot est un objet qui perçoit son environnement, qui en a une représentation, qui en tire de l’information, et sur la base de cette information, prend des décisions et met en œuvre des actions. Ma machine à pain n’est donc pas un robot.

Les 1ères études sur les portables dans les années 1990 montraient que les personnes n’en exprimaient pas le besoin, ni même l’envie. Quels usages pourraient conduire les robots à être aussi présents dans nos vies que les téléphones portables aujourd’hui ?

On a envie d’être bien, on a envie que les objets qui nous entourent soient porteurs de services, aient des comportements adaptés, qu’ils nous apportent attention et confort. Contrairement aux concepteurs et promoteurs du robot humanoïde, je suis convaincu que l’éducation à la robotique se fera à partir des objets du quotidien. C’est pourquoi on les appelle des « robjets » au sein de Strate Collège. C’est par ce biais-là que les usages vont s’imposer et que l’on va trouver normal d’avoir chez soi de tels objets. Ils nous apporteront du confort, des services, de la facilité, de l’adéquation. Bien sur, ces besoins seront induits par la technologie et l’acculturation. Comme cela s’est passé pour les TIC, nos envies vont croître au rythme de notre éducation. Au sein de Strate Collège, nous formons des futurs designers d’objets intelligents parce que nous pensons qu’il y aura une demande non pas de robots, mais d’usages intelligents, voire magiques parce que adéquats, ici et maintenant, là où j’en ai besoin. Il peut s’agir d’un banc public, d’une voiture, d’une chaise, d’une route, d’une poubelle, d’un réverbère… Il y aura une forme de continuité avec les usages existants, mais avec cette dimension magique en plus que vient apporter la robotique.

Quels leviers peuvent favoriser la diffusion de la robotique de service ?

Pour moi, le principal levier pour la diffusion de la robotique de service est et sera les objets du quotidien. Je ne crois pas vraiment à l’effet levier de l’appropriation, de la personnalisation, ou encore de la co-conception. L’enjeu n’est pas là. Je ne suis pas sur que choisir telle ou telle application pour son smartphone soit si déterminant que cela : il s’agit juste de choix d’appropriation. Je le taille à ma mesure, à mes besoins. Si je m’intéresse à la bourse, je choisis des applications permettant de suivre les cours de la bourse, la presse financière, etc. Je m’approprie mon téléphone et il me ressemble. Si je personnalise mon téléphone, je pense l’objet comme une extension de moi-même, je m’exprime à travers lui… ce n’est pas non plus ce qui se joue avec un robot. Enfin, la co-conception n’a pour moi strictement aucun enjeu. Cela n’a pas d’intérêt parce qu’un robot n’est pas un ordinateur ou un objet : le robot implique une relation.

C’est la relation qui s’instaurera entre l’homme et le robot qui déterminera son acceptation ?

Depuis toujours, l’homme est en interaction avec les objets pour des raisons fonctionnelles essentiellement. Il s’agit d’une relation de contrôle, de commande : j’appuie sur un bouton ou je l’actionne et il me délivre une fonction. Les objets « numériques » d’aujourd’hui n’échappent pas à cette réalité, et les interfaces représentent les formes les plus sophistiquées de ces contrôles. Les objets intelligents captent activement les informations relatives à leur environnement (physique, humain et autres objets), mais ils adoptent des comportements en fonction de ces informations : adaptation à l’utilisateur et à l’environnement. Plus que des fonctionnalités, les objets qui nous entourent vont désormais avoir des comportements. Le fait que ces objets soient caractérisés par leurs comportements, et non plus par leurs fonctionnalités va changer la nature du rapport entretenu avec les hommes. L’objet intelligent ou robot n’est plus un outil qu’on pilote, mais un acteur qui s’intéresse à nous, et cherche à délivrer ses services sans que nous ayons à lui demander. Nous allons donc entrer en relation avec ces objets. Pourquoi ? Parce ce qu’ils font attention à nous, nous prennent en compte et agissent sans nous consulter. Que les objets fassent attention à nous va tout changer car la relation va se symétriser. C’est de la qualité de cette relation-là que va dépendre l’acceptation de ces objets si singuliers. Dans la mesure où je les sens amicaux, attentifs à moi et à mon bien-être, je ne vais sans doute plus pouvoir m’en passer comme je ne peux plus me passer de mon smartphone (alors qu’il n’en fait pas autant pour moi). Comment ne pas aimer un objet participant activement à votre bien-être.

Quels sont les principaux freins à la diffusion des robots de service ?

Le 1er frein serait que le robot soit mal conçu. Il y a un enjeu de design énorme parce qu’il s’agit d’objets jamais vus et inattendus, qui s’investissent dans une relation. Il faut que cette relation soit bonne : je ne dois pas craindre ma poubelle, le banc public, ma lampe, etc. Il va donc falloir inventer un nouveau métier : des designers d’objets interactifs attentifs à la construction de cette relation. Et cela peut complètement échouer : un robot cubique métalliques aux arêtes saillantes ne sera pas considéré comme sympathique a priori, un robot humanoïde parfait n’est peut-être pas la meilleure forme pour un robot destiné à des humains car il peut mettre mal à l’aise. Il faut sortir des sentiers battus quant à la formalisation de ces objets et de l’imaginaire qui y est attaché. Se tourner vers des objets softs car il s’agit d’objets du quotidien : les formes et les matières contribueront à en faire des objets doux. Ensuite, vouloir aller trop vite pourrait constituer un frein à la diffusion de la robotique de service : brutaliser l’usager en confondant sa volonté de concepteur et de geek et celle de l’usager. Le risque est de penser que parce que l’on travaille sur des objets enthousiasmants, tout le monde partage notre enthousiasme… ce n’est pas le cas ! Un autre risque est la « gadgétisation » c’est-à-dire inventer des objets emblématiques mais inutiles et oublier la démarche du designer qui est d’observer, d’interroger, de tester… Nous devons enfin nous méfier de notre imaginaire. L’imaginaire associée aux robots est très riche et ancien. Il est né, dans sa dimension technologique avec les automates il y a deux siècles, il est alimenté et stimulé par les robots de fiction, etc. Cette mythologie est encore très forte, il faudra peut-être s’en séparer un peu, pour revenir à quelque chose d’anodin, et non anecdotique, grâce aux objets du quotidien. Ces objets favoriseront l’habituation : nous nous habituerons à ce qu’ils prennent des initiatives, cela ne sera plus exceptionnel et n’occasionnera plus de réaction d’étonnement, d’enthousiasme ou de rejet de notre part.

Robots, objets intelligents, objets interactifs… de nouvelles relations et de nouvelles responsabilités

Les robots sont-ils si singuliers ? S’agit-il d’une révolution ou d’une évolution qui s’inscrit déjà dans l’histoire ?

Il n’y aura pas de rupture, il s’agit plus d’une évolution douce. Nous pouvons comparer à ce qu’il s’est passé avec l’informatique. A la fin des années 1970, l’informatique des grands systèmes est née avec des machines et des programmes conçus par des informaticiens et des électroniciens pour d’autres informaticiens et électroniciens. Avec l’invention du PC en 1981 (la machine d’IBM), ce marché s’est complètement transformé puisqu’il s’est ouvert à plusieurs millions de personnes, qui n’étaient pas des informaticiens, mais des comptables, des commerçants, des enfants, etc. Les PC sont devenus peu à peu des objets du quotidien dans les années 1990 : c’est une évolution fantastique qui s’est étalée sur une vingtaine d’années. L’arrivée d’internet, à partir de 1995 en France, a accentué un peu plus ce phénomène. Cela se passera probablement comme cela pour les robots : le « PC de la robotique », le 1er robot, le robot emblématique, « l’Adam » des robots trouvera sa place dans nos maisons et rien ne sera plus comme avant. Ce robot sera peut-être une chaise, un jouet ou un autre objet, je l’ignore, mais je ne pense pas qu’il sera un robot humanoïde.

On a parfois le sentiment que la technologie et les usages vont plus vite que le cadre légal ou le débat éthique… N’y a-t-il pas urgence à réfléchir collectivement à la question : souhaitons-nous vivre avec des robots et en lien permanent avec un réseau intelligent ?

C’est évident, mais cela dépend aussi des pays. Certains se sont saisis du problème comme la Corée par exemple qui réfléchit au cadre légal, aux droits des utilisateurs et des robots. La France est un pays assez rétrograde dans son rapport à la technologie et manque d’anticipation en général. Sur cet aspect-là, je suis assez pessimiste sur les capacités de notre pays à comprendre ce qu’il se passe au niveau des nouvelles technologies. Je me félicite que le Grand Lyon s’intéresse à ce sujet et fasse cet effort là. Le e-G8, consacré aux enjeux d’Internet, a eu lieu en mai 2011 : on peut bien-sûr se réjouir que les plus grandes puissances économiques se saisissent de ces enjeux, mais le font-elles bien ? N’est-ce pas un peu tard ? Quelles en sont les conclusions ou les répercussions sur la déclaration finale du G8 ? Elles paraissent bien minces. Quant à la robotique, il faut s’en saisir dès maintenant, avec humilité, curiosité et une forme d’iconoclasme. Il faut être fou pour rêver des usages, cela ne peut pas être pensé en continuité de ce qui existe car sinon, on risque de faire comme les cinéastes de science-fiction des années 1950 qui pensaient les ordinateurs du 21e siècle avec des cartes perforées. Il va falloir être très créatif. Et en général, les gens qui nous gouvernent ne le sont pas. C’est pourquoi il faut interpeller les instances de gouvernance et de régulation, faire du lobbying, créer des syndicats comme Syrobo1 , communiquer, éduquer, démontrer par l’affluence comme l’a fait le salon Inno-Robo en mars dernier à Lyon… il faut aussi travailler en direction de la population : la faire rêver, parce qu’il y a une part de magie dans ces objets, et la faire réfléchir, parce que ces objets appellent de nouvelles responsabilités.

Quelles sont ces nouvelles responsabilités suscitées par les robots ?

Il y a tout d’abord la responsabilité du concepteur : celui-ci conçoit un objet qui va prendre des initiatives, apprendre et qui sera donc susceptible de se tromper. Et il ne s’agit pas d’un seul objet mais d’un objet inter-connecté à d’autres : ce n’est pas juste un robot mais un élément d’un réseau. Les robots auront des comportements unitaires mais également combinatoires et systémiques. Le concepteur sera incapable de tout envisager et de tout maîtriser. Nous devons donc être transparents face aux risques possibles. Il y a aussi la responsabilité de chacun face à la prolifération possible des robots dans notre société du gaspillage et du futile. Trop d’objets est un problème mais imaginez trop d’objets qui prennent des initiatives… Ils constitueront un réseau d’objets complexes (aussi nombreux que nous) donc peu maîtrisables. Ceci est un très beau sujet de réflexion pour les designers, les sociologues, les philosophes, les politiques… Nous essayons dans notre école de réfléchir à ces enjeux. Les concepteurs et promoteurs de la robotique doivent répondre à l’enjeu d’éducation du public, via des expérimentations, des expositions, des documentaires, des jeux, etc. Mais il faut aussi qu’ils dialoguent avec les hommes politiques, les sociologues et les philosophes pour répondre à l’enjeu du vivre ensemble qui est complètement modifié par ces objets qui rentrent en relation avec nous.

L’espace public n’est-il pas le terrain d’expérimentation idéal pour les « robjets » ?

L’espace public est un espace fantastique pour cela car il contient des objets qui appartiennent à tout le monde : le mobilier urbain. On est dans l’affirmation explicite du vivre ensemble car le mobilier urbain y concourt. On est loin de la logique : « ma » voiture, « mon » vélo, etc. mais dans une logique de service public. On court-circuite donc un certain nombre de débats relatifs à la demande de robots, à la question de faire entrer ou non un robot chez soi, etc. car on est dans le partage et ces objets sont au service de tous. Lors de la dernière édition du Festival Futur en Seine, nous avons présenté un mobilier urbain robotisé exprimant le théâtre de Marivaux : « le Jardin des Amours »2 . Ce projet, conçu par Florent Aziosmanoff, est développé conjointement par le Cube3 , le Strate Collège et le Criif4 . Le Jardin des Amours est composé d’un banc, d’un luminaire-parasol et d’une poubelle proposant bien sûr les services attendus (s’asseoir, obtenir de la lumière ou se protéger du soleil, jeter des déchets), mais aussi des services numériques (wifi, bluetooth…) et des services qu’on n’attend pas : ils peuvent vous prendre en photo, vous la proposer, vous inviter à jeter votre canette, etc. Ils évoluent librement, perçoivent leur environnement et leur entourage par des capteurs et sont capables de s’exprimer par des signaux lumineux et sonores et au travers de leurs déplacements, mouvements et vibrations. Ce mobilier peut donc en permanence se répartir dans l’espace de manière optimale, selon les besoins des usagers : se reposer dans un endroit calme à l’ombre, profiter au contraire de l’endroit le plus animé, avoir une conversation intime à deux, regrouper des bancs pour un groupe, etc. En prenant des initiatives, en anticipant des besoins, en se mettant en avant ou en restant en retrait, les mobiliers du Jardin des Amours créent des relations entre eux (parce qu’ils se reconnaissent) et avec les usagers. Les objets marivaudent car leurs comportements ont été construits en s’inspirant du théâtre de Marivaux où les relations humaines, et en particulier amoureuses, sont centrales. En d’autres termes, ils mettent en scène les relations humaines : séduction, complot, jalousie, pouvoir, rejet, etc., et « s’humanisent ». La relation avec eux peut se développer très facilement comme nous le constatons à chaque expérimentation. Et grâce à ce dispositif, nous reposons une question fondamentale : face à cet autre, qui suis-je ? Ce dispositif est une bonne illustration de votre question : l’espace public, parce qu’il est partagé, régulé, parce que les règles sociales y sont à l’œuvre, est un excellent terrain pour expérimenter des relations avec des objets intelligents. Bien sûr, cela sous-entend que la puissance publique soit garante de leurs comportements : il ne s’agit pas de faire peur aux personnes âgées ou de provoquer les enfants…

A quels risques nous exposent potentiellement ces objets intelligents ?

Ces objets perçoivent l’environnement et donc chacun d’entre nous : ils sont potentiellement les témoins permanents de nos vies ! Tout ce que je fais pourra donc être connu d’un réseau intelligent… Cela renvoie aux débats tout à fait légitimes sur la vidéosurveillance, les traces laissées sur internet, les technologies sans contact. Comment faire en sorte que la liberté, l’intimité et l’anonymat des individus soient respectés ? Comment veiller à ce que ces informations ne servent pas des intérêts mercantiles ou partisans. Cela représente un énorme travail pour le législateur qui doit jouer le rôle de régulateur. La technique peut aider à brider, limiter, par exemple en détruisant les informations après un certain temps, mais n’apportera pas de solutions suffisantes : la réponse est clairement politique. De notre rapport aux systèmes interactifs et aux règles que nous déciderons de mettre, ou de ne pas mettre, en place dépendra la forme de la société humaine.

Pourrons-nous, si nous le souhaitons, nous soustraire à ce réseau intelligent ?

Nous le pourrons, de la même manière que certains échappent à la voiture, vivent sans téléphones portables ou ordinateurs, etc. mais en acceptant peut-être d’être moins visible, moins performant, moins rapide… car notre époque et l’existence d’objets intelligents présupposent d’être relié, joignable, d’utiliser ces outils…

Déléguer certaines tâches à des objets intelligents n’est pas neutre. Ne risquons-nous pas de perdre certaines de nos capacités à long terme et d’en acquérir d’autres ?

C’est une question que l’on se pose à chaque nouvel objet technique ou presque. Elle est un peu vaine dans le sens où elle présupposerait qu’il existe une sorte d’optimum. Or, il n’y a pas de limites : peu importe ce que nous perdons ou gagnons, il s’agit d’une évolution. La réponse est nécessairement dans l’action. De nombreux indicateurs tels que le niveau de vie, le taux de mortalité, etc. montrent que notre évolution est favorable. Nous évoluons mais nous sommes toujours confrontés aux mêmes défis humains qu’il y a 4000 ans : comment vivre ensemble ? Réguler nos passions ? Accéder au bonheur ? La technologie nous aide à cela autant qu’elle nous Direction de la Prospective et du DialoguePublic 20 rue du lac – BP 3103 – 69399-LYON CEDEX 03 http://www.millenaire3.com/ complique la vie, et les robots seront là aussi pour cela.

Devez-vous votre vision des enjeux de la robotique de service à votre parcours professionnel très varié ? Informaticien de formation, vous avez travaillé plusieurs années dans l’intelligence artificielle, vous avez développé de nombreuses activités NTIC, vous dirigez aujourd’hui le département « systèmes et objets interactifs » de Strate Collège, une des premières écoles de design industriel française…

Si je m’intéresse à l’informatique, aux mathématiques et à l’intelligence artificielle, c’est parce que je crois en l’hypothèse suivante : l’être humain, sa conscience, tout cela est juste un phénomène émergent de la complexification de la matière. Nous n’avons pas d’âme, mais nous sommes le résultat d’un long processus complexe d’évolution. Nous sommes une forme de mécanique. Je pense que les robots sont, au-delà de l’intérêt de leurs usages, une manière de répondre à la question philosophique : d’où venons-nous ? Pourquoi sommes-nous là ? Ce qui peut tendre une recherche sur ces objets n’est pas seulement une approche utilitaire mais aussi une approche philosophique. Je fais partie de ceux qui pensent qu’un jour l’humanité sera capable de produire son égal. On n’aura rien résolu pour autant. On fait même cela depuis longtemps… et nous ne comprenons toujours pas nos enfants ! Mais quand l’intelligence artificielle sera réellement à la hauteur de l’intelligence biologique, cela voudra dire que nous sommes capables de produire nos égaux, d’expliquer l’émergence de la conscience, issue de la matière, et donc de tuer définitivement Dieu.

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Pas d’IA sans Design ! – Interview dans Design Fax

En Juillet 2017, Patrick Albert et Nathanael Ackerman lancent le HUB France Intelligence Artificielle, et me demande d’en devenir un des 100 membres fondateurs.
Il s’agit d’animer et d’élargir  la communauté de l’IA et pour ce qui me concerne, d’animer avec Jean-Louis FRECHIN le groupe de travail sur Design et IA.
Nous écrivons à cette occasion une note à destination de la toute récente Mission Villani, chargée de travailler sur une politique de l’IA en France et en Europe, note intitulée : » Pas d’IA sans Design ! ».

en Avril 2018, je suis interviewé par Design Fax, la lettre professionnelle de la communauté du design à ce sujet.

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Dominique Sciamma, directeur de Strate École de design, pratique l’intelligence artificielle (IA) depuis de nombreuses années. Mathématicien de formation puis informaticien, il travaillait déjà dans les années quatrevingt comme chercheur sur une nouvelle manière de programmer, basée sur la logique et la contrainte, avant de s’orienter vers le multimédia puis vers le numérique.

À Strate, il a très vite donné des cours sur l’intelligence artificielle. Et créé, en 2007, le département « Systèmes et objets interactifs » anticipant l’arrivée de l’IA dans les objets. « En 2008, j’ai lancé le terme de Robjets, contraction de robot et d’objet, raconte-t-il. En revanche, je n’ai pas pu utiliser le terme d’objet intelligent. Mes camarades pensaient que, du coup, les autres feraient forcément des objets… idiots« .

Membre de l’Association française d’intelligence artificielle, il propose en vain un colloque sur le sujet en 2011 à Futur en Seine. « C’était l’époque du big data. L’intelligence artificielle n’intéressait personne », se souvient- il. Aujourd’hui, elle est partout.

Enjeu politique et économique, l’IA a fait l’objet d’un rapport confié par le gouvernement français au mathématicien et député Cédric Villani. Et Dominique Sciamma a rejoint une nouvelle structure, le Hub France Intelligence artificielle, dont l’objectif est d’animer l’écosystème de l’intelligence artificielle française et européenne. Interview.

L’intelligence artificielle, tout le monde en parle aujourd’hui. Pour quelles raisons ?

Dominique Sciamma. Le sujet a refait surface avec la quantité de données disponibles et l’appétit des GAFA pour explorer de nouveaux marchés. Quand Google construit sa voiture autonome, quand il mise, pour son moteur de recherche, sur la reconnaissance d’image, il investit lourdement dans l’intelligence artificielle. La puissance des machines a également changé la donne. Tout comme le cloud qui offre la possibilité de calculs infinis sans avoir à investir dans des fermes de données. Or, c’est typiquement ce dont les objets connectés ont besoin.

La victoire, en 2016, d’un programme de Google sur le meilleur joueur mondial de go marque-t-elle selon vous un tournant ?

D.S. Tout le monde pensait que cela n’arriverait pas avant longtemps. Et, tout d’un coup, une frontière a été franchie. Nous assistons à une montée exponentielle des promesses mais aussi des réalisations liées à l’intelligence artificielle.

Le terme soulève beaucoup de fantasmes, voir d’incompréhensions. Quelle définition en donner ?

D.S. On peut en donner deux. C’est tout d’abord un système informatique qui cherche à reproduire les performances de l’être humain. Ce que font les machines depuis longtemps, dans les usines par exemple. Sauf que ce système s’attaque aujourd’hui à de nouveaux territoires : ceux de la connaissance et de l’expertise. L’autre définition correspond à une autre école de recherche et de développement. Elle a été baptisée IA forte. Il ne s’agit pas de reproduire les performances de l’humain, mais son fonctionnement en tentant de faire penser des machines, voire de les rendre conscientes. C’est la première approche qui a aujourd’hui le haut du pavé parce que c’est elle qui intéresse les entreprises, les administrations et les créateurs de valeur en quête de plus de rapidité et d’efficacité. Et c’est elle qui a motivé le rapport du mathématicien Villani.

Que pensez-vous de ce rapport ?

D.S. L’intelligence artificielle est devenue, tout d’un coup, un enjeu stratégique. Le gouvernement s’est rendu compte que les Chinois er les Américains investissaient fortement sur le sujet. Une sorte de panique s’en est suivie. Et s’il était en train de louper le coche de ce nouvel outil de création de valeur ?

C’est bien un sujet politique et économique majeur ?

D.S. Politique, industriel et économique même si la dimension française, nationale, est inopérante. C’est très bien que la France se mobilise, que des intelligences se mettent en mouvement, que des plans se définissent, que de l’argent soit débloqué, mais seule une approche européenne permettra de rivaliser avec les Chinois et les Américains. L’ambition, c’est d’être européen.

L’approche européenne peut-elle être spécifique ?

D.S. Nos choix en la matière ne sont pas anodins. Ils vont déterminer la société dans laquelle nous vivrons. Dans quelle mesure, va-t-elle protéger nos libertés, nos données, notre vie privée ? Les réponses vont varier. En Chine, personne ne va moufter si l’État chinois décide de généraliser la reconnaissance faciale. Ce qui est déjà à l’oeuvre. L’Europe peut se distinguer avec un fin équilibre entre libre entreprise, régulation, libertés individuelles et responsabilités collectives.

Quelle est selon vous la mesure la plus importante du rapport Villani ?

D.S. Celle qui m’intéresse le plus concerne la volonté de miser sur l’interdisciplinarité. Associer des profils différents me semble toujours très pertinents, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’intelligence artificielle. Si l’on veut à la fois produire du savoir, mais surtout le transformer en valeur, c’est-à-dire, en produit ou en service, il faut que les expertises et les disciplines s’articulent dans des lieux où les gens collaborent, que cette approche touche la recherche, l’industrie ou l’académie. Le rapport se contente de lancer des pistes. Or nous avons un projet qui va dans ce sens : la création d’un centre interdisciplinaire qui mêlerait entreprises, incubation et chercheurs sur le territoire du grand Paris Seine Ouest. Ce projet donnerait toute sa place au design, mais je ne peux, à ce stade, en dire plus.

Que manque-t-il le plus, selon vous, dans ce rapport ?

D.S. Le design justement. Ce gouvernement est plutôt bienveillant vis-à-vis du secteur. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État en charge du numérique, connaît bien nos écoles. Il a compris la puissance du design, mais il ne va pas assez loin. Le rapport Villani aurait pu y faire plus spécifiquement référence.

En quoi le design est-il selon vous indissociable de l’intelligence artificielle ?

D.S. Pas d’intelligence artificielle sans design. C’est le titre d’une note que co-écrite avec Jean-Louis Fréchin car nous faisons tous deux partis d’une nouvelle structure créée en juillet 2017 : le Hub Intelligence artificielle France. Cette association a pour objectif d’animer l’écosystème de l’intelligence artificielle française et européenne, de fédérer les énergies et les initiatives, d’animer des groupes de travail et d’être l’interlocuteur de l’État et des collectivités territoriales.

Concrètement, que comptez-vous faire ?

D.S. Nous commençons juste à porter le sujet du design au sein du Hub. Nous allons en appeler aux professionnels du secteur, ceux qui sont productifs sur le sujet ou ceux qui ne le sont pas ; ceux qui veulent en savoir plus et souhaitent profiter d’un groupe pour se cultiver. L’intelligence artificielle peut faire beaucoup pour le design, mais le contraire est vrai. D’un côté, elle va accroître la performance des outils informatiques de conception et de modélisation utilisés par les designers. Et, de l’autre, elle aura besoin du designer pour être utilisée de manière optimale et pertinente, car c’est lui qui s’intéresse à l’expérience utilisateur. Les questions à se poser sont nombreuses : comment l’intelligence artificielle va-t-elle se mettre au service de l’usage ? Comment peut-elle se rendre aimable et être acceptée dans ses prises de décision par celui qui est supposé en bénéficier ?

À quel titre ? Sur quelle base ? Un exemple ?

D.S. Prenez les robots sociaux conçus pour aider les personnes âgées ou handicapées. Quelle vont être leur taille, leur matière, leur expressivité ? Vont-ils se déplacer, parler ? Doivent-ils être plus grands que les hommes, c’est-à-dire les dominer ? Doivent-ils ressembler à un humain ? Sur tous ces sujets, le rôle du designer est primordial. Pour que l’intelligence artificielle entre dans nos vies, qu’elle soit acceptée, utilisée, il va falloir travailler sur l’acceptabilité, l’ergonomie, les facilités d’usage. Des aspects qui sont du ressort des designers alors que les ingénieurs restent focalisés sur la technologie. Syndrome typiquement français de l’ingénieur qui pense que si l’algorithme fonctionne, le produit va fonctionner. Sauf que le produit, ce n’est pas l’intelligence artificielle, le produit, c’est l’expérience. Et l’expérience du produit, c’est le designer qui va la définir, l’optimiser et lui donner du sens.

Toutes les écoles de design sont-elles au fait du sujet ?

D.S. Toutes ont un jour ou l’autre planché sur ces enjeux, parfois sans le savoir, ou sans les nommer, parce qu’elles traitent de sujets prospectifs. Imaginez la maison de demain et vous toucherez forcément à de l’intelligence artificielle. Maintenant, à l’heure où l’on a mis un nom sur ces technologies, il faut pouvoir s’en saisir de manière explicite. À Strate, je donne des cours sur l’intelligence artificielle depuis plusieurs années déjà.

Les objets connectés n’ont pas vraiment décollé. Peut-on envisager le même flop pour l’intelligence artificielle ?

D.S. Les objets connectés ont peu décollé parce que paradoxalement, ils étaient peu connectés à nos usages ! Pour l’IA, cela pourrait être un flop si l’on se focalisait uniquement sur la technologie. Mais les enjeux sont tellement forts – en particulier politiques – que l’on peut espérer une longue période d’investissements et de développement.

Un cauchemar ou un vrai plus ?

D.S. Cela peut-être l’un comme l’autre. Mais si l’on pense à la réussite de l’expérience vécue avec l’objet, au respect de l’utilisateur, au bénéficiaire, cela sera un vrai plus. Au final, c’est le designer qui créera les conditions éthiques, justes et pertinentes de ces objets. Ce qui rend son rôle d’autant plus important.

 

Apostrophe

Il y a 300 ans  le mouvement des Lumières lançait le grand projet de la modernité, celui de la libération des croyances, de la lutte contre l’ignorance, et de la contestation d’un ordre social et politique construit sur des réalités vues, ou désirées, comme immuables.

Filles des Lumières, les révolutions technologiques, industrielles, économiques, sociales et politiques ont accouché d’un monde longtemps plein de certitudes, et maintenant incertain, instable, ouvert comme jamais – et de son étrange double numérique. Un monde où les aspirations de liberté engendrent de l’ordre et de la violence, de la création et de la destruction, de l’élégance et de la vulgarité, de la richesse et de la pauvreté, du cynisme et de l’irénisme.

Nous en sommes de fait à un point où certains se posent alors en critiques de ce mouvement né il y a 300 ans, « Contre les Lumières ». Que vaudrait en effet la quête par chacun du savoir et de la raison quand ce savoir et cette raison n’engendreraient que du désordre ? Que vaudrait cet objectif d’émancipation si le prix à payer serait le désordre du monde ?

La réponse tient dans une apostrophe.

Ou de son absence.

S’émanciper.

Se libérer du joug paternel, du diktat familial, des conventions sociales, des habitus, du politiquement correct, des codes moraux, des interdits des églises, de l’arbitraire du patron, du pouvoir de l’Etat, de l’héritage des valeurs, du poids de l’histoire, du devoir de mémoire, de la culpabilité  du corps, des pêchés de l’ascendance, de la responsabilité de la descendance, du temps, et même de la mort.

Il faut jouir sans entrave, il est interdit d’interdire,  et nul ni rien ne peu se mettre en travers d’une quête individuelle et égotiste effrénée. Partir à la recherche de soi, envers et contre tout, faire de sa propre identité l’Alpha et l’Omega de toute construction, le barycentre de toute représentation, l’aune de toute mesure. Solipsisme, égoïsme, individualisme, hédonisme, arrivisme et même Transhumanisme sont les avatars caricaturaux de cette quête de soi, en soi, par soi, pour soi.

Que l’apostrophe tombe et tout s’éclaire.

Emanciper.

Accompagner un mouvement, illustrer une démarche, éclairer le monde, donner l’accès au savoir, encourager la critique, montrer le chemin, pousser à prendre des initiatives, inciter au risque, rassurer dans ses échecs, stimuler la créativité, pousser à l’empathie, voir dans l’autre un autre soi.

Bref, éduquer.

L’émancipation n’est pas un vain mot quand elle est pensée comme un fait et un objectif social. Ce sont les autres qui nous émancipent et qui nous poussent tout autant à la liberté qu’à la responsabilité. C’est parce que j’émancipe que je m’émancipe  et c’est parce que JE suis un autre que cette émancipation m’est promise.

L’émancipation ne se prend donc pas, elle se donne, et ce cadeau, très lourd cadeau, est la condition d’une société d’égaux reliés entre eux par cette promesse de liberté consentie par tous à chacun.

L’émancipation est donc la condition de nos réussites collectives. Loin de l’affirmation simpliste d’une société d’acteurs indépendants, et qu’un néo-libéralisme mourant tente de nous vendre encore, c’est dans l’articulation de projets personnels et celui d’une société qui les encourage.

Il est une formule, si simple et si puissante pourtant, qui résume à la perfection cet entrelacement de responsabilité individuelle, de la symétrie de nos droits et de la nécessité de nos solidarités, qui créé les conditions de l’émancipation et qui paradoxalement en émane.

Et cette formule est : Liberté, Egalité, Fraternité.

Lire, ici l’article original dans la Revue du Cube

Nécessités et insuffisances numériques ou le Design maintenant !

En janvier 2017, à la demande de mon ami Nicoas BORGIS, directeur de la grande agence numérique EMAKINA, j’ai écrit cet article destiné à la revue interne de l’entreprise.

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En 9 ans, la vie de milliards d’êtres humains s’est vue totalement redéfinie dans ses rythmes, ses rites sociaux, ses pratiques professionnelles, ses consommations physiques et culturelles, ses mobilités, comme jamais dans l’histoire de l’humanité et en aussi peu de temps.

L’arrivée dans nos poches du Smartphone et de ses centaines de milliers d’application a imposé un paradigme dont nous ne nous séparerons plus, celui de la digitalisation de nos vies. Cet objet et les services qu’il porte sont devenus la condition de la possibilité de nos vies, et pire que cela, se confondent avec nos vies, tant ils en sont le réceptacle comme le spectacle.

Pas un instant que nous ne partagions avec lui, par lui et en lui. Une confusion et une intimité que nous n’avons connues avec aucun autre objet depuis que l’homme existe.

Cette confusion étant à l’œuvre, on mesure alors l’importance de la qualité de nos expériences de vie digitales, et conséquemment  de leur conception. Et c’est là, de fait, que nous pouvons constater que tout reste à faire, voire que l’on peut craindre le pire.

Qui est en effet en charge de cette conception ?

La réponse est trop souvent : « des ingénieurs et des informaticiens »…

Des ingénieurs et des informaticiens qui mettent en œuvre des approches apprises à l’école, celle de la conception réglée, linéaire, qui nous apprend que le monde se met en équation, et que concevoir c’est résoudre des équations.

Une approche qui part de l’objet à produire et d’enjeux internes essentiellement techniques et fonctionnels, et non de celui qui l’utilisera, de son imaginaire, de sa culture, de son environnement, de ses rituels et de ses pratiques.

Une approche qui ignore la nature systémique, parce qu’interconnectée, de nos expériences numériques.

Comment peut-ont aborder cette complexité et cette plasticité avec des approches, des méthodologies, des pratiques d’une autre époque, celle de l’industrie lourde, du temps long, du taylorisme ? Comment espérer toucher la sensibilité et l’intelligence des hommes du XXIème siècle en ignorant ce qu’ils sont, ce qu’ils font, ce qu’ils vivent ?

Comment espérer réussir sans faire du Design ?

Car tel est l’enjeu, majeur et stratégique, pour les entreprises ! Prendre le temps d’observer autant qu’anticiper les usages, les comportements et les désirs de leur seul « asset » : leurs clients… Qui sont plus que des clients, mais des êtres humains, de plus en plus éduqués, de plus en plus exigeants, et de plus en plus outillés pour étudier, sélectionner, éliminer, choisir. Comment les séduire, comment les retenir, comment les fidéliser, si ce n’est en les comblant, donc en les comprenant.

Pas d’autre solution alors que de faire du design, au sens du XXIème siècle, c’est à dire en portant autant d’attention  à la construction des questions qu’à leur réponse, en invoquant et articulant de nombreuses disciplines pour trianguler les désirs et les besoins (sciences humaines, marketing, ingénierie, techniques de représentations,…), en en animant tous les acteurs de manière créative, en se permettant de suivre toutes les pistes sans tabou, le tout en empathie totale pour tous ceux qui auront un rôle à jouer dans la proposition et la délivrance de l’expérience.

Pas d’autre solution que d’utiliser des designers !

Car ce sont eux les porteurs comme les garants de la démarche. Ce sont eux les moteurs méthodologiques et créatifs des équipes pluridisciplinaires qui concevront ces expériences. Ce sont eux que forment, patiemment et passionnément, tes écoles de design françaises et internationales.

Des « honnêtes hommes » contemporains, généreux et attentifs, talentueux et collectif, créateurs de valeur(s) durable(s), passeurs d’un monde numérique en quête de sens.

Ne vous passez pas d’eux.

Design moi un Manager

Manager : ce mot peut-il servir d’horizon professionnel  pour une fille ou un garçon de 12 ans qui s’interrogerait sur son avenir ? « Quand je serai grand, je serai manager !» : cette phrase peut-elle être une question crédible, que tout parent, ému, adorerait entendre son enfant prononcer ? Probablement plus, à moins qu’il ne s’agisse de coacher un chanteur à succès où un boxeur de talent (et là, même pas sûr que papa et maman soient d’accord).

Manager est un mot du XXème siècle, qui a recouvert un métier, des pratiques, des organisations et des enjeux du XXème siècle.

Des enjeux qui furent ceux de la société de consommation, en continuité avec une révolution industrielle triomphante, créatrice de désirs, d’objets du désir et d’emplois industriels. Une société pyramidale, organisée comme une armée, dotée de maréchaux, de généraux, de colonels (beaucoup de colonels), d’adjudants, de sergents et de piétailles. Allant à la bataille, la fleur au fusil, toute à la joie de faire et de jouir, sans trop se préoccuper des raisons de faire et de jouir. Des hommes et des femmes à la tâche, littéralement, à leur poste de travail, répétant machinalement des gestes (cols bleus ou cols blancs) limités à la seule réalisation de leur tâche. Une société cartésienne où tout est découpé, le travail comme l’espace et le temps, par souci d’efficacité et où les choses produites et leur sens n’apparaissent qu’en bout de chaine de montage, si tant est qu’on en soit le spectateur.

Dans une telle société, les jours sont des puzzles, les vies sont des puzzles, les projets sont des puzzles, les entreprises sont des puzzles, et il est nécessaire de disposer de joueurs capables de passer du temps et de l’énergie à recomposer le puzzle en permanence, en s’assurant que les pièces sont produites et mises à leur places. Ces joueurs sont capables d’assurer le fonctionnement des machines à produire, quoi qu’elles produisent, sans se préoccuper pour autant des raisons de les produire, jamais.

Ces joueurs sont des managers.

Ou plutôt, étaient des managers.

Car il faut en parler au passé.

Dans une société complexe, ouverte, interconnectée, où tout fait système, il n’est plus possible de dépenser du temps et de l’énergie à assurer la cohérence d’un système conçu comme un puzzle, où chacun travaillerait à l’aveugle. Cela l’est d’autant moins que les acteurs mêmes des organisations humaines réclament du sens, c’est à dire la possibilité permanente de savoir à quoi ils travaillent, et mieux encore, pourquoi ils travaillent.

Dès lors, à quoi sert un manager ? A rien, puisque la responsabilité de s’assurer du sens de ce qui est produit est distribué à tous les acteurs. Ce métier est donc appelé à disparaître, et à être remplacé par deux autres,  on exclusif l’un de l’autre : entrepreneur et designer.

Entrepreneur parce que les organisations humaines sont construites maintenant sur des projets autonomes mais articulés, dont toutes les parties prenantes sont propriétaires, à l’instar d’une startup. Dans ce contexte, il faut disposer de ces qualités qui caractérisent l’entrepreneur : vision globale et sens de l’action locale à la fois, capacité stratégique et balayage des locaux si besoin tout autant. Entre grandes choses et actions triviales, un entrepreneur fait tout, avec le sentiment, à chaque fois, de remplir sa mission. Plus de séparation des tâches, mais la capacité à s’intéresser au tout comme à chacun de ces détails.

Designer parce il n’est plus possible de réussir un projet sans tenir compte de la qualité de l’expérience de tous les acteurs humains qui participent à sa réalisation, comme à tous ceux qui en bénéficient. Cette chaine humaine, et la prise en compte des intérêts, des besoins et même des désirs de ces acteurs, est l’Alpha et l’Omega de toute entreprise au XXIème siècle, à la fois raison d’être, et mesure de la vertu de sa production, de la manière à l’objet.

A défaut d’avoir été formés dans cet esprit (et quelques écoles le font), ces futurs acteurs totaux des entreprises doivent se doter eux-mêmes des savoirs et des qualités nécessaires : vision systémique, culture, créativité, empathie. Cette dernière est de loin la plus importante qui nous oblige à nous plonger dans les vies de notre prochain pour créer les conditions justes et soutenables d’un vivre ensemble, seul horizon humain possible.

>> Lire l’article en ligne ici

Nouveaux réseaux, nouveaux pouvoirs : pour une Démocratie Renouvelée

Contribution thématique de : Dominique Sciamma (Cergy Pontoise), Laurent Cervoni (Mont Saint Aignan), Astrid Panosyan (Déléguée Nationale) pour le Congrès du Parti Socialiste du Mans (2005)

Plus que jamais, le Parti Socialiste fait aujourd’hui le diagnostic d’une société dangereusement divisée, douloureusement morcelée, profondément inégalitaire. Le délitement est général : crise politique et institutionnelle, crise économique, crise sociale. Jamais depuis la chute du Mur, la gauche n’a pourtant été capable d’articuler un projet à la hauteur du défi que le libéralisme le plus sauvage se targue de relever naturellement. Le 21 avril 2002, puis le 29 mai 2005 sont les derniers symptômes les plus cruels du déphasage croissant entre les Partis Politiques et les citoyens. Désyndicalisation, communautarisme, repli identitaire, tout montre que le tissu social se défait.

A l’origine du hiatus

Dialogue social en panne, chômage structurel, rejet des élites, méfiance à l’égard des élus, tentation de repli sur soi, balancier électoral systématique, incapacité à penser la mondialisation : la société française est aujourd’hui malade. Et c’est la démocratie qui risque de succomber.

Depuis bientôt 25 ans la Gauche se trouve confrontée, aux mêmes questions et aux mêmes problèmes qui ont régulièrement reçu les mêmes réponses, et qui ont généralement échoué, qu’elles aient été proposées à gauche, ou à droite, par des élites formatées et finalement assez homogènes.

Il est donc probable que la majeure partie des problèmes posés à la France est de nature structurelle, mieux même de nature systémique. Car ce n’est pas l’organisation du système qui engendre tel ou tel problème, mais bien le système lui-même.

La mission du parti politique dont la devise a longtemps été de « Changer la Vie » est bien de ne pas se contenter du système en place, et de lui en substituer un autre, plus juste, plus efficace, plus solidaire, en mettant en lumière les insuffisances et les incohérences du système en place.

De façon synthétique, le mal qui ronge la société française, et au-delà, l’ensemble des sociétés développées, trouve son origine dans le hiatus grandissant entre l’organisation sous-jacente réelle de ces sociétés et l’organisation des pouvoirs qui visent à la piloter. Les structures, les pratiques et outils, et les profils de la plupart des élus sont formatés pour un monde qui a disparu : peu complexe, fermé, peu éduqué, fortement hiérarchisé, lourdement industriel, doté d’une importante inertie. Ils ne sont pas adaptés au monde qui s’avance : très complexe, très ouvert, très éduqué, basé sur la conception, volatile et changeant en permanence.

De la pyramide au réseau

L’évolution des sociétés humaines, en particulier dans sa dimension économique et organisationnelle, est déterminée par la genèse, la croissance, et le blocage de « systèmes ». Le passage d’un système à un autre est toujours caractérisé par une crise. La plupart du temps, la crise est surmontée en réinventant un nouveau système. C’est toujours par un saut qualitatif que l’on passe d’un paradigme à un autre. A chaque étape, les productions sont de plus en plus immatérielles, et leur valeur ajoutée de plus en plus grande.

A chacune des étapes du développement des sociétés humaines, celles-ci se sont dotées d’organisation, tant politiques qu’économiques en rapport direct avec la nature des productions, et de la qualité des savoirs des humains impliqués dans ces productions.

On pourrait facilement segmenter ces organisations en 3 familles :

  1. La pyramide : Le système est dirigé par « les Anciens » : possesseurs d’un savoir très peu partagé, un Roi-Arbitre et quelques barons pilotent le système. L’énergie est consommée dans la négociation interne au système. Ceci est d’autant plus facile que les sujets (qu’ils soient salariés, fonctionnaires, ou simple citoyens) sont à la fois peu formés, peu compétents,et conséquemment assez disciplinés, dévoués, fidèles, pour ne pas dire dociles. Le savoir et les compétences personnels sont peu importants, et peu promus puisqu’ils ne sont pas nécessaire pour faire fonctionner le système. Système pyramidal par excellence, il fut typiquement le système à l’œuvre dans le cadre des deux révolutions industrielles, mais il est encore malheureusement opérationnel dans de nombreuses organisations humaines : entreprises, services publics, et les partis politiques eux-mêmes.
  2. L’arbre : Plus rationnelle, l’organisation est divisée en « centre de résultats », chacun doté d’objectifs, de décideurs autonomes, et d’outils de pilotages appropriés. La décentralisation des responsabilités en est une des règles fondatrices, qui induit une organisation arborescente. Les savoirs et savoirs faire sont regroupés dans ces unités autonomes. Si les compétences requises par les acteurs de ce type d’organisation sont plus importantes, ils n’en restent pas moins interchangeables. Plus performante, plus transparente, plus souple, cette organisation est appliquée dans beaucoup d’entreprises, et est à la base de toutes les réformes de décentralisations (heureuses ou malheureuses) tentées en France depuis 1981.
  3. Le réseau : « Dernier cri » en matière d’organisation, l’organisation en réseau est basée sur l’idée que chaque « projet », quelle qu’en soit sa nature, nécessite une organisation propre, qui n’existe que le temps du projet et disparaît ensuite. Presque organique, vivante, ce type d’organisation est basé sur la mise en relation de « processus ». Chaque processus peut être décrit en termes de production et de consommation. Il n’y a plus de hiérarchie dans ce type d’organisation, plus de centre, plus de périphérie. Constituée de processus à la fois autonomes et interdépendants (ce qui est produit par l’un est attendu par l‘autre), une organisation en réseau nécessite une transparence totale, ainsi que des outils de communication et de mesure performants. Les acteurs impliqués dans cette organisation sont par définition autonomes, responsables, fortement éduqués. Leur capacité d’initiative est plus qu’encouragée, elle est nécessaire. Ce modèle doit définir la vision du Parti Socialiste pour la France et pour l’Europe.

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La France Pyramidale

Il est aisé de voir dans quel modèle la France se trouve aujourd’hui coincée.

La lettre, l’organisation, comme les pratiques de la Vème république relèvent pour l’essentiel d’une organisation pyramidale. La situation d’un Roi-Arbitre, entouré de barons, prenant toutes les décisions de manière souvent opaque, et par définition loin des réalités des problèmes qui les motivent, limite la participation des citoyens et leurs représentants. Cet éloignement des citoyens des lieux de prises de décisions a des conséquences évidentes : abstention croissante, résignation voire colère sociale comme le 29 mai, désyndicalisation ou encore rejet du politique.

Si la société française des années 50 – encore fortement agricole, en phase d’industrialisation et peu éduquée – pouvait se satisfaire d’institutions pyramidales avec un fort pouvoir central, il est clair que la France du XXIème siècle – tertiaire, internationalisée, et éduquée – ne peut plus être pilotée « d’en haut » et qu’une nouvelle organisation des pouvoirs s’impose.

Une société réticulée

La France d’aujourd’hui est une société « réticulée », constituée d’un maillage fin d’individus de plus en plus formés et responsables, d’intelligences, de compétences … et de problèmes. Le déplacement de la valeur vers la conception exige en effet de disposer de contributeurs responsables dont la principale activité est de penser, de concevoir, de créer.

Parce que plus éduqués, la demande de participation des Français à la prise de décision est pressante. Les processus de création de richesse nécessitent une articulation différente avec les acteurs politiques. L’intégration internationale de la France appelle à une coordination choisie et transparente des niveaux de pouvoirs, du niveau municipal à l’Europe.

Le seul moyen de faire face à la complexité d’une telle société en réseau est donc de se doter de structures et de modes de fonctionnement politiques organisés sur le même modèle.

La droite qui gouverne pour la catégorie de la population la plus nantie en réduisant les impôts et en bloquant les investissements publics, ne se soucie pas d’une société en réseau, forcement égalitaire. Si on ajoute que dans la culture française la capitalisation du savoir est une source de pouvoir, une organisation pyramidale ne peut que s’inquiéter d’une évolution vers une structure maillée. La suppression de toutes les structures qui assurent le pouvoir des groupes dominants est une des essences même du socialisme.

les Institutions :

Il semble impossible de tenir le raisonnement précédent en gardant les mêmes institutions, et surtout les mêmes pratiques du pouvoir. Il faut donc repenser nos pratiques du pouvoir et en tirer les conséquences sur les institutions.

La structure pyramidale de nos institutions est la première cause du fossé gigantesque entre les élus et les citoyens. Lorsque les décisions sont prises par des élus irresponsables politiquement (et le Président de la République le premier), les citoyens se sentent légitimement exclus des processus de décision. Si nous sommes indubitablement en république, nous sommes loin d’être une démocratie.

Mais la perversion du système n’atteint pas que ses « élites » ! Bercés dans cette idée d’une toute puissance du sommet, les citoyens eux-mêmes sont naturellement portés à se tourner vers le haut dès qu’un problème surgit, qu’il soit réel ou fantasmé, petit ou grand, public ou communautaire. A force de se l’entendre dire, le citoyen de base ne jure que par l’Etat, et se décharge ainsi sur lui de sa propre responsabilité dans la résolution des problèmes, ce qui est à la fois confortable, et dangereux.

Il faut donc ramener chacun à ses responsabilités, en rapprochant les élus (qui ne doivent plus être des élites, forcément consubstantielles de la pyramide) des niveaux où les problèmes se posent, et les citoyens des cercles enfin ouverts où se discutent et se résolvent les problèmes de la collectivité.

Quelques décisions simples, mais courageuses, doivent être prises :

1 – En finir avec le cumul des mandats :

  • Interdiction de tout cumul de mandats parallèles
  • Interdiction de plus de 2 mandats du même type consécutifs dans le temps
  • Obligation de la part de l’élu de rendre compte de sa mission par des rapports annuels par exemple
  • Mise en place d’un statut de l’élu, afin de permettre l’engagement comme le désengagement post-mandat dans des conditions économiques dignes.

Le nombre des élus va ainsi mécaniquement augmenter, ainsi que le nombre de citoyens impliqués dans la vie politique. Il en découle aussi une implication à 100% sur un mandat unique, gage d‘efficacité. La limitation des mandats dans le temps assure aussi le renouvellement des élus, gage de la bonne représentativité de ces derniers. Le statut de l’élu permet de sortir du syndrome de la professionnalisation de la fonction politique, qui est souvent à l’origine de la déconnexion de responsables politiques de la réalité de leurs mandants.

2 – Réorganiser les pouvoirs :

  • Dé-présidentialiser définitivement le régime, en faisant du Premier Ministre le seul pilote de la politique gouvernementale, responsable politiquement devant le parlement et le peuple.
  • Redonner un rôle central au parlement, qui cesserait d’être une simple chambre d’enregistrement, pour être un acteur central de la vie démocratique française.
  • Redéfinir les justes niveaux d’organisation territoriale : Europe, Etat, Région, Communauté de commune, communes
  • Mettre en œuvre de manière systématique le principe de subsidiarité : les problèmes doivent être résolus au niveau pertinent le plus bas possible, et les moyens nécessaires à la leur résolution doivent être aussi affectés au niveau pertinent. Ce n’est qu’à cette condition que la distance entre le citoyen et les élus et organisations en charge de la résolution de leur problèmes sera mécaniquement réduite.
  • Des organisations par projet doivent être systématiquement mis en place. Elles doivent impliquer élus, associations et simples citoyens, leur durée de vie est liée à la résolution d’un problème et au suivi de la mise en place de la solution. On pourrait reprendre ici le terme de « démocratie participative » tellement galvaudé qu’il a perdu tout son sens. Nous lui préférons le terme de « démocratie interactive » dans la mesure où tous les acteurs sont égaux devant les défis et la recherche de solutions, qu’ils soient élus ou simple citoyen.

3 – Retisser le maillage social

Tissus social, réseau social, il s’agit encore et toujours de maillage. Il y a une urgence à retricoter notre modèle.
Deux pistes existent :

  • Renforcer le tissus associatif : Il existe en France 1 650 000 associations représentants 20 millions de français de plus 14 ans. En 25 ans, leur nombre a été multiplié par plus de 5. Si les associations n’ont pas à se substituer aux élus, elles couvrent cependant un périmètre exhaustif ou presque de la population, des catégories socio-professionnelles, des activités sportives, culturelles. Elles ont donc un rôle clé à jouer dans une démocratie en réseau. Il faut donc inventer et institutionnaliser l’intégration des associations aux processus de prises de décisions dans la cité.
  • Renforcer la démocratie d’entreprise : si les entreprises ne sont pas des démocraties, elles n’en sont pas moins le premier lieu de mise en œuvre des relations humaines. Il est donc impossible d’imaginer une démocratie réinventée en excluant l’entreprise de son champ. Puisque l’entreprise est le premier lieu de mise d’expérimentation de l’organisation par projet en réseau, il faut que le dialogue social en entreprise profite systématiquement de sa mise en œuvre. Que ce soit en termes d’information, de consultation, de prise de décisions, l’ensemble des outils et infrastructures existent pour le mettre en œuvre. Ils doivent induire de nouveaux comportement, et de nouveaux droits.

Les infrastructures et les outils :

Les pratiques en réseau ne sont aujourd’hui possibles que parce que de nouveaux outils sont maintenant disponibles. A bien des égards, la révolution des technologies de l’Information, née il y a plus de 60 ans maintenant, représente un saut qualitatif aussi important pour l’histoire humaine que l’invention de l’écriture. Elle vient remettre en cause les organisations humaines en place et nous obligent à les réinventer. Impossible en effet de vivre dans une société bâtie autour de l’écriture jusque dans ses pratiques du pouvoirs (le texte), alors que les Technologies Numériques de Communication (TNC) nous invitent à passer à une autre dimension, et donc à une autre pratique plus interactive (l’hyper-texte).

1 – Les TNC au coeur de la société en réseau :

Dans nos sociétés développées – et bientôt partout dans le monde – aucun produit ou service n’est et ne sera conçu puis offert sans la mise en œuvre de logiciels tournant sur des ordinateurs, au travers de réseaux de communication informatiques.

Dans ces mêmes sociétés, toute décision- que ce soit dans le domaine de l’entreprise privée comme dans celui de l’action publique – n’est et ne sera prise sans qu’elle n’ait été préparée sur la base d’informations ou d’analyses produites au travers de systèmes d’information.

Partout bientôt dans le monde, le savoir sous toutes ses formes – sciences, cultures, arts, littérature – sera lui-même créé, stocké, accédé, croisé, depuis n’importe quel point du monde.

Cette révolution doit évidemment impacter tout projet politique. Impossible en effet d’imaginer piloter une société à ce point innervée par les TNC sans en intégrer à la fois toutes les opportunités et les possibilité induites.

A ce titre, il faut que les élus ou les responsables politiques maîtrisent ces modes de travail collaboratif où, faisant partie du réseau, ils peuvent interpeller ou être interpellés à tout instant. Tout représentant du peuple ou du gouvernement doit ainsi être actif sur le réseau au travers, par exemple d’outils de communication tels que blogs, sites internet, où agenda, actions, projets, et vision politique sont accessibles à tous.

Ces obligations de communication sont un premier pas vers la mise en place d’un modèle collaboratif et interactif. Une formation obligatoire des élus et des membres du gouvernement pourrait ainsi être retenue.

2. Réaffirmer le rôle de la puissance publique :

On confond trop souvent la notion de réseau avec Internet. Pour beaucoup, utiliser un réseau de communication informatique revient à utiliser Internet. Cette approche inexacte et l’absence d’une démarche volontariste dans le domaine des infrastructures de communication a conduit à des erreurs de la part de tous les gouvernements successifs.

L’enjeu d’une communication entre tous exige une vision ambitieuse en matière de facilitation et fluidification des échanges. Les phénomènes émergents de publication spontanés, ou d’échanges ouverts (peer to peer) par exemple, démontrent les contre-pouvoirs que permettent ces outils de communication.

Cependant, de même que l’accès à l’énergie ou à l’eau est un droit (et le Parti Socialiste aura aussi à agir dans ces domaines), la possibilité d’accéder à un réseau de communication numérique doit aussi être un droit.

Le rôle du Parti Socialiste est donc de revenir sur la tendance actuelle en matière d’infrastructures, qui laisse le marché décider des utilisateurs potentiels du haut débit. Les politiques infrastructurelles, à défaut des infrastructures elles-mêmes, doivent être sous le contrôle de la collectivité alors que les services (dont l’accès à Internet, par exemple) relèvent du seul domaine de la concurrence.

De même que les infrastructures routières dépendent de la puissance publique, les infrastructures numériques doivent relever de la volonté publique, afin de ne pas dépendre d’une stratégie ou d’une seule logique de marché, souvent limitées au respect d’objectifs de rentabilité à court terme. Seule la puissance publique est donc à même de faire l’effort d’investissement nécessaire pour créer ces infrastructures répondant aux enjeux de la société de l’Intelligence. Si les services relèvent bien du secteur marchand, concurrentiel par essence, les fameuses « Autoroutes de l’Information » doivent en revanche être mises à la disposition de tous par la puissance publique.

Ainsi, ce choix stratégique passe, par exemple, par la renationalisation de la partie infrastructurelle de France Télécom ou par des modèles de Délégation de Services Publics, à l échelon adéquat, mais dont la vision et les objectifs sont nationaux ou mieux, Européens.

La faculté d’accéder à tous les services publics, comme les impôts, ou les délibérations en direct du dernier conseil municipal doit être libre et gratuit. La confusion entre réseaux et Internet conduit à considérer que si une information est disponible sur Internet, elle est gratuite et accessible à tous. Or, l’accès à Internet étant contrôlé par un abonnement privé, il n’y a pas d’égalité dans la mise en réseau des informations publiques, les plus faibles étant systématiquement maintenus à l’écart de cette forme de réseau (par l’argent ou le savoir). Les réseaux publics, à l’image de Renater pour la recherche, doivent donc être généralisés, étendus aux structures associatives, écoles primaires, comités d’entreprises, syndicats et à terme l’ensemble des particuliers.

3. Intégrer le réseau dans les missions de régulation de la puissance publique

Dans un marché mondial, le réseau est à la fois une arme au service des puissances économiques et une opportunité pour la démocratie. De même que les pratiques financières doivent être soumises au contrôle d’un régulateur publique, le réseau, doit aussi y être soumis. Une telle organisation redonne aux Politiques et aux citoyens des atouts voire des leviers contre des organisations économiques qui savent exploiter le caractère planétaire,et donc aujourd’hui dérégulé, des marchés.

Cette régulation n’est d’ailleurs pas par définition le seul apanage de la puissance publique, mais de tous les citoyens, puisque le réseau est lui même l’outil et le lieu de sa régulation. Les contrepouvoirs économiques qu’il offre permettent de définir de nouveaux modes de contrôle, mais aussi de productions et de distribution, ouverts à tous, par exemple, dans le domaine de la culture ou de la santé. Ainsi, plutôt que de taxer uniformément des échanges de fichiers (pour protéger les auteurs, notamment), de nouveaux services publics culturels ou éducatifs, par exemple, servirait l’image d’un Parti Socialiste innovant.

4 – Pour une Politique Numérique Commune

La mise en place de réseaux à un niveau local s’intègre ainsi dans le cadre d’une vision nationale et surtout européenne. La création d’infrastructures européennes numériques à Très Haut Débit en fibre optique tient de la même ambition : la mutualisation des coûts, la cohérence des protocoles et des infrastructures, entraîne une baisse automatique des frais des équipements et de maintenance, et permet l’émergence de nouveaux services à des coûts accessibles pour tous, engendrant par surcroît de nouveaux emplois. Ainsi pourra s’instaurer un cercle vertueux au service de la culture, la santé, l’éducation et l’économie, dont aucune catégorie de la population ne sera exclue.

Il faut donc, de manière volontaire, et au niveau européen, initier immédiatement un très vaste chantier d’infrastructures normalisées à très très haut débit. Leur capillarité doit être la plus fine possible, idéalement jusqu’au moindre foyer, car il ne s’agit pas de donner plus à certains, mais bien d’impliquer tous les citoyens.

A chaque époque ses défis : la Politique Agricole Commune a permis en son temps à une Europe volontariste de remodeler et de moderniser complètement sa filière agro-alimentaire. Mais Il n’est plus possible que la seule grande politique européenne soit la politique agricole commune qui consomme plus de 40% du budget de l’Europe. Cette Politique Numérique Commune, dont Lisbonne a esquissé les contours, est seule en mesure de faire entrer de plain pied l’Europe dans la société de l’Intelligence, c’est à dire non seulement de lui offrir les perspectives d’un développement économique durable – cocktail vertueux de valeur ajoutée et d’emplois très qualifiés – mais surtout de consolider en le modernisant son modèle social, où, plus que jamais, l’implication active de ses citoyens sera nécessaire.

Lancer un vaste programme à l’échelle européenne de formation généralisée aux nouvelles technologies et au travail en réseau, systématiquement transnational, constitue un autre défi, afin de diffuser la culture et la pratique du travail en réseau. Ceci nécessite évidemment un investissement massif, au niveau national comme européen, dans l’éducation (et particulièrement vers les universités) ainsi que dans la recherche.

 Repenser la démocratie

Face à la complexité d’un monde ouvert et définitivement globalisé, seule une organisation en réseau permet aujourd’hui d’appréhender et de gouverner les sociétés modernes. Il faut donc repenser les organisations et les pratiques du pouvoir en conséquence : l’organisation en réseau, souple, transparente, responsabilisante, est la seule réponse possible aux défis d’une société mondiale complexe et rapidement changeante.

Seule une organisation en réseau est à même d’impliquer tous les acteurs, politiques comme citoyens, au plus près des problèmes, là où ils se posent.

Seule, elle a la souplesse nécessaire pour s’adapter en permanence aux changements de plus en plus rapides de nos sociétés développées.

Seule, elle propose le meilleur rendement démocratique, comme économique. Seule, elle propose une méthode à même de marier la puissance des individus qui s’affirment, à l’efficacité de l’organisation collective solidaire.

Seul le Parti Socialiste peut en être le porteur.

 

Europe : Pour une politique numérique Commune

In « Les Dossiers de l’Abécédaire parlementaire », 4e trimestre 2003

 Par Laurent Cervoni et Dominique Sciamma Fondateurs de Cervoni Conseil, société de conseil en E-Stratégie dédiée à l’aménagement numérique du territoire

Nanotechnologies, Biotechnologies, Micro-électronique, … : voilà les nouveaux champs du savoir pour lesquels les outils de numérisation, et de création numérique sont devenus absolument indispensables. La création de très grandes d’infrastructures numériques et de services associés, pôles d’attraction et de création de valeur, s’avère alors un projet politique qui dépasse chaque nation individuellement.

L’Europe a besoin d’un projet communautaire ambitieux qui réponde aux enjeux de l’Économie Numérique, lui permettant maintenir et renforcer son poids économique et faire progresser son modèle social, sous peine de laisser l’initiative à l’Asie ou aux Etats-Unis.

De même que les infrastructures routières dépendent de la puissance publique, les infrastructures numé- riques doivent aussi relever de sa sphè- re, afin de ne pas dépendre d’objectifs de rentabilité à court terme. Seule la collectivté est donc à même de faire l’effort d’investissement nécessaire pour créer ces infrastructures. Si les services relèvent du secteur marchand, concurrentiel par essence, les « Autoroutes de l’Information » doivent constituer un service public.

Dès le début des années 90, Al Gore, en lançant le concept d’Autoroutes de l’Information, fixait pour objectif de conquérir des parts de marché et de relancer l’économie américaine. Le terme « Autoroutes » faisait explicitement référence à un des grands projets du New Deal qui facilita les interconnexions autoroutières entre les États, et, en fluidifiant les échanges, mit à disposition services et marchandises à moindre coût sur tout le territoire.

La création d’infrastructures européennes numériques à Très Haut Débit en fibre optique tient de la même ambition : la mutualisation des coûts, la cohérence des protocoles et des infrastructures, entraînent une baisse automatique des frais des équipements et de maintenance, et permettent l’émergence de nouveaux services à des coûts accessibles pour tous, engendrant par surcroît de nouveaux emplois, instaurant ainsi un cercle vertueux.

En France, le récent débat sur la Loi de confiance en l’Économie Numérique, la volonté de France Télécom d’engager les départements dans une Charte haut débit ou encore la variété des expérimentations financées par les Régions ou l’Europe démontrent une prise de conscience des enjeux. Il est donc impératif de définir une stratégie qui évite l’éparpillement des énergies et des financements, qui mutualise les coûts en imposant des standards, et qui anticipe les besoins pour les 20 prochaines années. Le choix de la fibre optique, moyen de transport homogène et très performant, était déjà dans les conclusions du rapport Thery, rédigé à la demande du gouvernement il y a 10 ans.

Si les stratégies et les déploiements d’infrastructures numériques ne peuvent se faire qu’au niveau Européen, il est aussi impératif qu’elles favorisent les initiatives locales et projets régionaux. Deux exemples illustrent cette analyse : Le projet Pau Broadband Country, et celui du ¨Pays Vendomois. Le réseau Pau Broadband Country, ouvert le 13/04/2004, démontre qu’une ville à Très Haut Débit crée de nouvelles richesses. Pour un coût forfaitaire, les habitants téléphonent, accèdent à Internet à haut débit, ou encore à un catalogue de 2500 films téléchargeables sur le réseau.

Réalisé sous l’impulsion du Sénateur Maire A. Labarrère, ce projet crée un pôle attirant des entreprises de dimensions mondiales et favorise l’emploi. De son côté le Pays Vendômois, région rurale, a voté à l’unanimité la création d’un projet similaire. La stratégie est de contrebalancer le poids de Paris, d’attirer des entreprises en mettant à leur disposition des outils de communication inégalés et d’offrir aux habitants les élé- ments d’intégration dans la société de l’information tout en continuant d’habiter en milieu rural. Ces projets qui relèvent à la fois d’une volonté de réaménagement du territoire et d’une stratégie de développement économique ont besoin d’une stratégie globale dans laquelle s’inscrire.

A chaque époque ses défis. La Politique Agricole Commune a permis en son temps à une Europe volontariste de remodeler et de moderniser sa filière agro-alimentaire. Aujourd’hui, seule une « Politique Numérique Commune » est en mesure de faire entrer l’Europe dans la société de l’Intelligence, c’est à dire de lui offrir les perspectives d’un développement économique durable – cocktail vertueux de valeur ajoutée et d’emplois très qualifiés – et de consolider en le modernisant son modèle social, où, plus que jamais, l’implication active des citoyens est nécessaire.

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In I.T., « I » Stands for Intelligence

SIFAI 90 – Kyoto Japan – November 90
Colloque Franco-japonais sur le thème « Harmonie entre Technologie et Culture »

Les technologies de l’information se développent aujourd’hui à un rythme tel que l’on n’hésite pas à en parler comme de « La troisième révolution Industrielle ». Mais quel est le sens de cette proposition : En quoi s’agit-il d’une révolution ? Et est-elle bien industrielle ? Je voudrais dans cette courte présentation avancer et défendre l’idée qu’il s’agit de bien plus que de cela. Que les technologies de l’Information ne doivent pas être considérées comme les dernières nées d’une société dirigée par la technologie mais bien comme les symptômes avant-coureurs d’une autre société, où les valeurs humaines reprendront la seule place qu’elles méritent : la première. Tout simplement parce qu’elles seules pourront dissoudre la complexité croissante à laquelle va devoir faire face notre monde, et qu’elles seules lui permettront donc tout simplement de survivre.

Quand on examine l’Histoire de l’Humanité, on s’aperçoit rapidement que les organisations, sociales, économiques et politiques, émergent dans le seul but de lui assurer sa stabilité structurelle (c’est à dire sa survie), quand elle est confrontée au problème de sa croissance. Car plus que la croissance, c’est bien la survie qui motive les sociétés. De multiples exemples de sociétés qui ne croissent pas -et que l’on dénomme à tort primitives- nous montrent à l’envi que le bonheur ne se mesure pas toujours au taux de croissance.

La maîtrise de l’agriculture a été la première réponse au défi de la survie des groupes humains, et cette révolution a eu un impact social et politique énorme sur nos sociétés. De fait, nombre de Français ou de Japonais vivent encore aujourd’hui avec des valeurs venant de cette révolution. D’un point de vue socio-politique, l’organisation d’un telle société était de nature familiale et communautaire (on dirait aujourd’hui « à taille humaine »). L’effet de bord de cette révolution a été de lui permettre de croître en nombre et donc en complexité. La réponse d’alors à cette complexité a été la révolution industrielle du 19ème Siècle.

Après la production de nourriture, vint donc le temps de la production de machines et de produits. Les impacts sociaux de cette révolution seront évidemment immenses, les formes même des sociétés de ce XXème siècle en étant directement issues. La révolution industrielle a en fait été comme la louve allaitant les fondateurs de la civilisation romaine, Romulus et Remus, mais les rejetons s’appelaient ici Marxisme et Capitalisme. Le XIXème Siècle est aussi le siècle où apparait le phénomène urbain, où naissent les états modernes, où se crée un florissant commerce international. Bref les sociétés se structurent et interagissent.

Un des points les plus importants cette révolution industrielle est sans conteste les diverses places des hommes dans l’organisation qu’elle implique. De fait, la majorité -la classe ouvrière- produisait des biens consommés par une minorité. Cette majorité était donc dans tous les sens du terme exploitée, bien qu’à l’origine de l’expansion incroyable de la société.

Mais dès le début de ce siècle apparurent les premiers symptômes des limites d’une telle organisation. Parce que la logique industrielle est aussi une logique de croissance, il fallait absolument que de nouveaux et grands marchés soient créés. De ce fait, le statut social de la majorité s’est trouvé amplement modifié, puisque de simple producteur, le citoyen des pays industrialisés a dû devenir un consommateur, c’est à dire la cible d’un nouveau marché. Ce statut lui assurait certes un confort matériel nouveau et appréciable, mais il était surtout le moyen d’assurer aux sociétés industrielles la croissance nécessaire à leur survie. Par ailleurs, avec l’apparition du taylorisme, une nouvelle conception du travail s’impose alors, qui contenait certes en elle une logique de déshumanisation, mais qui allait d’abord faire preuve d’une efficacité économique diabolique.

Mais encore une fois, stabilité structurelle a rimé avec croissance. Ainsi, à l’aube du XXIème Siècle, la société humaine, de par sa croissance et sa globalisation, est devenue aujourd’hui si complexe, qu’un nouveau défi est à relever.

Quel est-il ? Ce défi est essentiellement de nature combinatoire. Parce que les démographies sont globalement en croissance. Parce que les moyens de transports et de communications permettent de mettre en oeuvre à un rythme sans précédent des échanges commerciaux et culturels. Bref parce que la société humaine se globalise de plus en plus. Elle ne se trouve en effet plus constituée d’îlots aux destinées indépendantes. Bien au contraire, et au-delà des idéologies mises en oeuvre et des orgueils nationaux, aucun état ne peut aujourd’hui ignorer le reste du monde. Et quand il lui prend l’envie de le faire, il le paye toujours à ses dépens.

Cette complexité, aucune idéologie de ce siècle ou de l’autre ne se trouve aujourd’hui prête à l’affronter. La tentation de croire que la planification était la réponse au défi (« à défaut de comprendre le monde, feignons d’en être les maîtres » disait Jean Cocteau) s’est écroulé un soir de Novembre 1989. De même, l’approche libérale, à tort regonflée par l’événement précédent, donne tous les jours les signes de son immense fragilité.

Ma conviction au contraire est que ce défi, comme tous ceux qui l’ont précédé, va exiger de nouvelles formes de comportements et d’organisations sociales.

On aurait pu croire à tort que la réponse à ce défi était de nature technologique, et que justement, les technologies de l’Information en constitueraient  les fondations. Après la maîtrise de la matière (l’agriculture), puis des objets (l’industrie), puis de l’énergie, ne serait-ce pas autour de la maîtrise de l’Information que se jouerait le sort des sociétés, et ce, qu’elles soient humaines ou économiques ? « Qui contrôlera l’information contrôlera le monde » pourrait-on dire. Et la compétition très serrée que se livrent les nations pour la maîtrise de leur informatique ou de leur filière électronique ne devrait pas être la moindre preuve de cette évidence !

Mais ce serait faire fausse route. Le changement à effectuer n’est pas de nature quantitatif (plus vite, plus haut, plus fort) mais bien qualitatif (autrement). J’ai essayé de montrer, comment, à chaque nouveau défi, celui-ci était résolu en créant de nouvelles formes de comportements, et d’organisation humaines, et comment le rôle des individus se voyait à chaque fois modifié. La première chose que l’on a demandée ou imposée au citoyen a été de travailler fort, puis de consommer fort. La prochaine et inévitable étape sera de lui demander de penser fort. Autrement dit, la stabilité structurelle des sociétés qui a d’abord été basée sur la capacité de l’homme à travailler, puis sur sa capacité à consommer, le sera bientôt inévitablement, sur sa capacité à penser. La réponse au défi est donc inexorablement humaine et a pour nom : l’Intelligence.

Car en effet, le seul moyen de résoudre la complexité est bien de la dissoudre ! Plus personne, plus aucun gouvernement, plus aucun conseil d’administration ne sera bientôt plus capable non seulement de comprendre les situations l’impliquant, mais aussi d’anticiper sur celles-ci (ce qui est la base d’un gouvernement). Ces situations seront en effet trop complexes pour être appréhendées, et donc pour pouvoir être maîtrisées. La seule solution consistera alors à briser les problèmes jusqu’à leur donner une taille humaine, à distribuer les responsabilités et les prises de décisions à d’autant plus de personnes que la situation sera complexe. Une telle méthode exige évidemment que les acteurs impliqués soient en pleine possession de la seule arme nécessaire : leur intelligence. C’est à dire de leur capacité à identifier les problèmes, à proposer des solutions et à prendre des décisions. Ce type d’organisation relève en fait complètement d’une approche parallèle de la prise de décision.

On m’objectera peut-être que la démarche qualité, par exemple, est une parfaite illustration de cette approche. Qu’on se détrompe ! La démarche qualité relève plus d’un taylorisme éclairé que d’un pari sur l’intelligence. La preuve en est donnée dans la bureaucratie que génère régulièrement, sinon systématiquement, l’application d’une telle démarche. De plus, je parle ici d’Intelligence et non de Qualification. Dans Intelligence, j’entends personnellement les mots souplesse, versatilité, adaptabilité, inventivité, ouverture. Parce que le challenge sera bien de faire face à de plus en plus de situations nouvelles et denses, il faudra alors faire preuve de cette intelligence là.

Plus que l’application d’une méthode, cette nouvelle approche est donc un pari sur l’homme. L’intelligence est la seule solution flexible et distribuée au problème de la complexification de notre société. On imagine l’impact social et culturel de cette approche de la complexité. Parce que devant par nécessité être constituée d’une majorité d’individus ouverts et inventifs, cette future société va complètement changer de nature. Loin d’une société sacrifiant ses individus pour ce qu’elle croit être le bien collectif, et tout aussi loin d’une société où la collectivité est sacrifiée sur l’autel de l’individualisme, cette société que je pressens réconciliera individu et collectivité dans leurs objectifs, sans jamais sacrifier l’un à l’autre.

Dans cette société, la plupart des hommes devraient alors se retrouver dans l’ancienne position de l’artisan, d’un Homme de l’Art. C’est à dire non seulement d’un professionnel aguerri, mais surtout dans celle d’un individu donnant du sens à ses actes, c’est à dire une intention. Qu’on ne croit pas qu’il s’agisse là d’une utopie sympathique. Bien au contraire, cette situation s’imposera comme une nécessité historique à une société humaine trop complexe pour qu’aucune personne morale ou physique ne puisse la gérer.

Quelle est dans ce contexte, la place des technologies de l’Information et parmi celles-ci de l’Intelligence Artificielle ? Il est clair à mon sens que l’Informatique va se révéler être l’extension essentielle à la compréhension et à la gestion de ce monde. L’information sera la matière première de cette Intelligence à l’oeuvre. Elle devra être criblée (tout n’est pas information), stockée et communiquée sous toutes ses formes. Pour des raisons opérationnelles de communication et d’efficacité, les technologies de l’information vont se standardiser, et certainement à un rythme que l’on ne soupçonne pas encore. L’objet étant ici de comprendre le monde, aucune barrière ne devra en effet s’opposer artificiellement à cet impératif. Toute prise de décision se prendra bientôt plus sur la base d’informations digitales que sur celles venant directement du monde réel. Cette addition du virtuel au réel ajoutera une dimension au monde, celle de l’information, ce qui le rendra paradoxalement plus clair. L’information aura donc dans cette société bien plus d’importance que le pétrole n’en a dans celle-ci.

Mais n’est-il pas paradoxal, dans un monde où l’Intelligence humaine sera systématiquement mise en avant et exploitée, d’investir aujourd’hui dans l’Intelligence Artificielle ? N’y a-t-il pas antinomie dans les termes ? Je ne le crois pas. l’Intelligence Artificielle a d’abord été un rêve simpliste et simplificateur qui n’a même pas eu le droit de se transformer en cauchemar. Il n’y a aujourd’hui aucune avancée sur l’étude de l’intelligence qui ne soit une retombée des études d’Intelligence artificielle (ce serait même d’ailleurs plutôt le contraire !). Les retombées, car il y en a, sont ailleurs, et sont d’ordre technologique. l’Intelligence Artificielle (I.A.) est aujourd’hui un ensemble de techniques, de méthodes et d’outils qui permettent à l’Homme d’affronter la complexité. Non seulement dans la solution de problèmes complexes (mais n’est-ce pas l’objet de l’informatique en général) mais surtout dans la gestion de cette complexité, gestion qui exige souplesse, versatilité, dynamisme, bref un peu d’intelligence. A ce titre l’I.A. se caractérise tout en se banalisant à la fois, et devient un outil parmi d’autres, devant aider l’homme dans la prise de décision. L’I.A serait donc à l’homme moderne ce que la flèche était pour Cro-Magnon : une extension. Mais une extension, non plus de son bras mais de son intelligence. Mais comme il n’y a pas d’arc sans archer, il n’y a pas d’Intelligence Artificielle sans une Intelligence humaine pour la manipuler.

Tous les outils, au sens large du terme, inventés par l’Homme ont jusqu’ici été créés pour permettre à l’homme d’amplifier sa force musculaire, de le faire aller plus vite et plus loin qu’il ne peut courir, de le faire communiquer plus vite plus loin qu’il ne peut crier. L’Intelligence Artificielle s’inscrit elle aussi dans ce schéma, tout en passant à un autre ordre de qualité, puisqu’il s’agit d’aider l’homme à penser plus vite et plus loin. Ainsi loin d’être une menace à la suprématie de l’Humain dans ce monde qui s’avance, l’Intelligence Artificielle va se révéler être un tremplin pour l’Intelligence Humaine qui l’amènera alors plus haut, plus loin, plus fort.

On me reprochera peut-être de ne pas m’être étendu plus avant sur les aspects prospectifs de l’I.A. en tant que technologie. Qu’on m’en excuse. Mais c’est que je crois les technologies de peu d’intérêt lorsqu’elles se trouvent détachées des projets qui les motivent. L’I.A. est certes un sujet technologique excitant, mais c’est son statut d’extension ou de tremplin qui la rend importante. Ce que je pourrais dire ici sur l’application de telles ou telles techniques ou outils serait à la fois vain et de courte durée de vie. Alors que La place de l’Humain et de son intelligence dans une société où l’information est un fluide vital reste un sujet qui ne se démodera pas.

Quelle est maintenant la position de deux pays aussi différents que le Japon et la France face au défi qui s’avance. En quoi ces deux cultures si différentes sont elles préparées à l’affronter. Je ne possède malheureusement du Japon qu’une vue lointaine, et donc forcément incomplète sinon inexacte. Aussi ne me hasarderais-je pas à des comparaisons ou analyses trop précises, parce que sans substance. Ce que je puis dire à coup sûr c’est qu’aucune des deux cultures ne peut prétendre aujourd’hui mettre en oeuvre l’organisation que j’ai esquissée, même si chacune à déjà enclenché nombres d’actions qui l’en rapprochent.

Le Japon a ainsi mis en place, et bien plus volontairement que nous ne l’avons fait,  un plan économique et donc forcément politique pour pousser l’informatisation de sa société. Informatisation ne signifiant pas seulement utilisation de l’informatique mais aussi imprégnation culturelle des concepts informatiques. Ce plan a pour vocation d’anticiper et donc d’affronter en douceur les changement sociaux qui s’annoncent pour le Japon, comme le vieillissement de sa population par exemple. En ce sens, le Japon a entamé une démarche en des points bien proche de celle que j’ai tenté d’exposer. Par ailleurs, la formidable capacité du peuple Japonais à se mobiliser pour des causes collectives est certes un atout suplémentaire.

La France quant à elle, fidèle à ses traditions comme à ses tropismes individualistes, n’a pas sérieusement tenté de mettre en oeuvre des plans informatiques tels qu’au Japon. En ce sens, elle subit plus qu’elle ne contrôle l’informatisation de sa société. Mais elle foisonne par contre de talents créateurs en développements de logiciels et de hardware qui la positionnent très bien pour affronter un monde où il faudra non seulement extraire, stocker et diffuser l’information, mais aussi la créer. Hésitante dans sa volonté de mettre en oeuvre des projets collectifs necessitant une forte adhésion des populations, la France est par contre en excellente position en terme d’inventivité, de créativité et de souplesse, individuelle comme sociale, nécessaires à la distribution des pouvoirs de décisions.

Je ne suis en fait pas loin de penser qu’un harmonieux cocktail des diverses attitudes soit la solution finale à notre problème, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de synergiser les volontés individuelles dans un grand projet collectif.

« Harmonie entre Technologie et Culture« , le thème même de cette conférence n’est en fait qu’un des sous-aspects d’un objectif bien plus vital, qui a d’ailleurs fondé nombre de comportements au Japon, c’est à dire « Harmonie entre l’Homme et la Nature ». Et par « Nature« , j’entends parler autant de celle dont il a hérité que de celle qu’il crée continuement, et dont la technologie n’est qu’un avatar. C’est bien cette Harmonie qu’il s’agit au bout du compte d’atteindre, en se gardant toujours  de confondre moyens et objectifs.

Je voudrais maintenant conclure sur une simple petite remarque. Le mot «Intelligence» a en français deux significations : la capacité de comprendre, ainsi que la capacité à vivre en harmonie dans une communauté. Telle est à mon avis la seule solution au défi qui se pose aujourd’hui à l’Humanité : vivre en Intelligence.

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Dominique SCIAMMA

Entreprendre à Dessein

On le constate chaque jour un peu plus, un nouvel imaginaire est en train de se répandre et de s’imposer dans le paysage : celui des startups, celui des entrepreneurs. Partout en France, pays pourtant culturellement rétif à la prise de risque, des initiatives fleurissent – de l’Etat à la ville en passant par les régions – pour favoriser et accompagner l’éclosion de jeunes pousses. Financements, pépinières, incubateurs, FabLab : de la BPI à Iliad (holding de Free à l’origine du grand projet de la Halle Freyssinet), tout le monde s’y met. Dans nos écoles, toutes nos écoles, des étudiants s’associent, s’intéressent, s’impliquent, et créent souvent leur premières startups tout en suivant leurs études.  Quel est le véritable ressort du phénomène ? Quelle est la raison profonde qui génère ce mouvement ? Nous pensons quant à nous qu’il s’agit d’une quête de sens.

Le projet est en effet au cœur de la démarche entrepreneuriale, et se projeter est par définition se mettre en mouvement vers une destination, si ce n’est une destinée. Entreprendre est donc une démarche qui permet sortir de la contingence, de la localité des enjeux comme de la staticité des savoirs, pour se donner un dessein.

Ce dessein est de plusieurs natures, qui s’emboitent, si ce n’est de plusieurs degrés qui s’élèvent.

Créer…

Le premier degré est celui du produit, du système, du service que l’entreprise se propose de créer et d’offrir à ses clients. Ceux-ci sont donc au cœur de la proposition, dont l’expérience réussie et répétable est la condition du succès du projet. On entreprend toujours et plus que jamais pour quelqu’un. La matérialisation aboutie de l’offre est donc le premier dessein de l’entreprise, qu’elle se doit de réaliser, de rendre réel.

Tenter…

Le deuxième degré est celui de l’entrepreneur, c’est à dire du projet individuel, qui dépasse de très loin celui de la seule matérialisation de l’offre. Il s’agit ici d’un entrelacement d’enjeux individuels mais aussi universels que sont l’émancipation, la création et sans aucun doute le besoin de reconnaissance et du regard de l’autre. Bien plus que réussir (l’échec est consubstantiel de la démarche entrepreneuriale), c’est le fait de tenter, d’affronter le monde si ce n’est de le créer, qui est un moteur puissant de la démarche entrepreneuriale. La quête personnelle de sens est donc au cœur de la démarche de l’entrepreneur, qui se saisit de sa vie à cette occasion.

Ensemble…

Le troisième degré est celui de l’entreprise elle-même, considérée ici comme un projet collectif. La complexité du monde – et donc la complexité des réponses faites au monde – exige la collaboration de talents et de savoirs divers et complémentaires qui participent au projet autant qu’ils s’y retrouvent. Loin de n’être que des contributeurs au projets, ce sont des talents associés, tout aussi porteurs du projet qui en permettent la possibilité. Le dessein devient alors collectif, parce que le projet est partagé. Ce sont des individus libres qui s’associent et amènent leurs talents et leurs intelligences pour atteindre un objectif commun. Et c’est la figure du réseau

Et pour tous !

Le quatrième degré est celui de la société dans son entier, à l’équilibre et à la richesse de laquelle participe l’entreprise et donc les entrepreneurs. Parce que tout est aujourd’hui connecté et en interaction  – tous les moments de nos vies, qu’elles soient publiques ou privées, professionnelles ou personnelles – les services comme les produits qui les servent le sont tout autant, et par la force des choses les entreprises qui les produisent. Il est donc impossible de ne pas penser le monde des hommes comme un réseau dans lequel les entreprises s’inscrivent consciemment, sachant alors à quel dessein bien plus que le leur elle participe.

Un dessein

Création, émancipation, collaboration, partage : voilà les ressorts comme les valeurs de l’entrepreneur et de l’entreprise. Elles sont les valeurs de ce siècle si il veut réussir et affronter le défi d’un bonheur partagé et durable. Elles sont éminemment porteuses de sens, d’un dessein, et pour tout dire d’une communauté de destin.

Le goût d’entreprendre devient alors le gout du vivre ensemble.

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Cultivons le monde ! Ou les nouveaux honnêtes hommes

S’inscrire dans le monde.
S’inscrire dans ce monde ouvert, instable et complexe, où le numérique connecte nos objets, nos gestes et nos vies, ce monde où les anciens modèles vacillent dans toutes leurs dimensions, morales, politiques, sociales, économiques et industrielles, un monde à partager plus que jamais : tel est notre seul horizon.

Comment le faire sans le comprendre, sans se comprendre, pour y trouver du sens, et mieux, pour y donner du sens ? Quels savoirs acquérir ? Quelles grilles de lecture utiliser ? Quelles méthodes mettre en œuvre ? La nature dynamique et complexe des problèmes disqualifie définitivement les anciennes manières, bâties sur les expertises construites à partir de savoirs académiques spécialisés et des positions statutaires qu’elles induisent.
Il ne s’agit plus en effet de gérer le monde, mais de le transformer si ce n’est de le créer.

Et de le faire en responsabilité, en responsable, en co-auteur de fait. Pas d‘autres possibilités alors que de devenir  et d’agir en « honnête homme ».

Né au XVIIe siècle, annonciateur de l’esprit des Lumières, l’honnête homme est un être équilibré, attentif aux connaissances comme aux émotions, cultivant son esprit et ses liens sociaux en responsabilité. Se méfiant des spécialistes, prisonniers dogmatiques de leurs savoir, il cherche au contraire à toucher à tout, un peu, pour tenter d’avoir une représentation globale et en mouvement du monde dans lequel il vit, avec d’autres.

Les derniers soubresauts du cadavre

Que vivons-nous aujourd’hui si ce ne sont les spasmes de la mort de l’ancien monde, statique, vertical, pyramidal et dépassé, et les vibrations intenses si ce ne sont les secousses d’un monde naissant, dynamique, horizontal et réticulé ?

Si le XXIe siècle doit être celui des nouvelles Lumières, il ne pourra définitivement s’imposer qui si les nouveaux « honnêtes hommes » surgissent et s’imposent dans la principale sphère où la transformation du monde est possible : le monde du travail.

Car c’est là que tout se joue, là où nos plans naissent sur le terrain et pour le terrain, là où nos actions s’articulent tout comme nos intelligences, là où nous créons, nous inventons, nous innovons, en faisant des vies de nos pairs (collègues, collaborateurs, clients, utilisateurs) et de leur expressions sociales, l’alpha et l’omega de nos actes de professionnels, et imparablement citoyen.

Si les savoirs verticaux sont insuffisants sinon disqualifiés, sur quoi asseoir cette démarche créative et généreuse, et comment surtout nourrir sa pertinence ? Comment créer des liens entre des savoirs différents et disparates, comment se rapprocher de la nature systémique de ce qui nous est proposé de résoudre ?

A défaut d’être des Pic de la Mirandole, c’est à dire maîtriser tous les savoirs de son temps, ce que personne ne peut plus faire, il faut être très cultivé, tout simplement.

La culture générale plus que jamais

C’est le retour de la culture générale parce que c’est sa nécessité, et il faut s’en réjouir. Elle seule permet de relier, de donner du sens, de replacer nos histoires, nos problèmes dans l’espace et le temps, l’Histoire et les Territoires. Elle seule peut nous aider à saisir le monde sans pourtant le faire exhaustivement, à la manière d’un filet autour d’un ballon, qui n’en couvre qu’une infime partie, mais qui pourtant le contient.

Cela ne semble pas une mince affaire en ces temps numériques que beaucoup accusent de distraction, de non-persistance, de désinformation et de superficialité. Le numérique et son réseau mondial serait ce lieu sans gouvernement, sans carte et sans autre repère que ceux des marchands cachés sous l’illusion de la gratuité, un lieu d’inculture, pire, un trou noir culturel vers lequel toute l’attention de la jeunesse, quelle qu’elle soit, serait aspirée.

Nous pensons que c’est tout le contraire, et que de nouvelles pratiques sont en train de naitre sous nos yeux, qui produisent de la culture, comme en leur temps, le cinéma, le Jazz, le Rock&Roll, la télévision, la Science-Fiction, la bande-dessinée ou le jeu vidéo en ont produit, accusés pourtant qu’ils étaient de pervertir notre belle jeunesse.

C’est la responsabilité des acteurs de l’éducation, de la maternelle aux écoles doctorale de réhabiliter, de  se saisir de tous ces outils, ces pratiques et ces savoirs pour former les « honnêtes hommes » de demain, professionnels efficaces et humains attentionnés parce que cultivés.

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