De la Rupture Social-démocrate : Socialistes du Réel

Pour la 3ème fois consécutive, le PS vient d’échouer à conquérir la présidence de la république. Cette très nette défaite – n’en déplaise au nouveaux croyants qui semblent avoir investi le parti – est d’autant plus inacceptable que les conditions politiques semblaient des plus favorables pour l’accès de l’un des nôtres à la magistrature suprême : médiocrité du quinquennat de Jacques Chirac, impopularité du gouvernement, dangerosité perçu du candidat de la droite, réussite des mouvements sociaux, succès électoraux précédents.

Et si, malgré tout, nous avons connu la défaite, c’est que les raisons sont à chercher au sein de la gauche elle-même, et plus exactement au sein du PS, de ses courants, de ses responsables, de ses militants.

Il n’est en effet plus utile d’analyser ici la désagrégation « d’une gauche plurielle » fantasmée, tant ces analyses ont été faites ailleurs, même si la gauche française, et particulièrement ses composantes radicales – structurées ou invertébrées, rouges ou vertes – constituent une autre exception française en Europe. La persistance de ces composantes est la fois le symptôme de l’immaturité politique de la gauche française, comme la cause du sentiment de culpabilité que porte toujours le PS vis-à-vis d’elles.

La responsabilité est par contre totale, pour ce qui concerne le PS. On ne tiendra pas ici pour suffisant le traumatisme du 21 avril, le succès des Européennes, le débat sans fin et privatif sur le TCE, où les rivalités présidentielles pour l’expliquer. La responsabilité du parti remonte à beaucoup plus loin. Les racines du mal sont profondes et âgées, et elles ne sont pas équitablement partagées.

Depuis plus de 30 ans, une partie des socialistes tente en effet, avec énergie, brio, et constance à « rénover » la pensée socialiste française. Depuis la création du PS en 1971, et sa prise d’assaut par un Mitterrand aussi brillant que cynique, le PS est divisé en 2 gauches.

Cynique, fortement imbibée de marxisme, jacobine, centralisatrice, pyramidale, la 1ère pense que tout passe par l’Etat, que les citoyens sont plutôt des « sujets » qui attendent de lui l’organisation de l’essentiel de leur vie. Cette gauche là a une détestation de l’économie, de l’argent, de l’entreprise, qui en est selon elle le terrain de jeu naturel. Cette gauche n’aime pas beaucoup les idées, et préfère les principes et les symboles.

Tenante de la pensée complexe, décentralisatrice, la 2ème gauche croit en un état régulateur, et garant des solidarités nécessaires. Elle aime la notion de contrat, préfère que les partenaires sociaux se saisissent des problèmes et les règlent. Cette gauche a compris que l’économie et le social marchaient la main dans la main, et qu’aucun progrès social ne serait possible sans une réhabilitation de l’entreprise, et une nouvelle forme de dialogue entre tous ses acteurs.

La 2ème gauche, enfin, aime les idées, en produit beaucoup, et n’hésite pas à bousculer les dogmes.

Si la 1ère gauche a su gagner en 1981, c’est la seconde qui l’a systématiquement fait évoluer, malgré la guerre sans fin que la 1ère lui livre.

Tenants de cette 2ème gauche, Michel Rocard hier, Dominique Strauss-Kahn aujourd’hui, n’ont eu de cesse – mais sans disposer des outils pour le faire, ou en répugnant à s’en saisir – de tenter de moderniser ce parti.

Les résultats du 1er tour de cette présidentielle sont sans appel pour les postures de la 1ère gauche. La stratégie définie à Epinay, et défendue de fait jusqu’ici, est morte. Il n’y a plus rien à gauche du PS et le vote Bayrou peut au mieux être interprété comme un avertissement sérieux, au pire comme le début d’un exode.

Il est donc injuste, sinon injurieux, de s’entendre dire que rien n’a été fait pour moderniser ce parti. Il est encore plus injuste de s’entendre dire que c’est aujourd’hui l’ex-candidate qui est  porteuse de cette force de rénovation, d’autant plus injuste que Ségolène Royal, assez inactive jusqu’à il y a peu, est en fait le faux nez de la « Gauche Zéro », celle qui se prend pour la 2ème en ayant les pratiques de la 1ère.

Si Dominique Strauss-Kahn et ses fidèles ont à coup sur commis une erreur – finalement très grave dans ses effets – c’est sans aucun doute d’avoir adopté une stratégie d’évitement du débat frontal avec ses opposants, notamment lors des 2 congrès du quinquennat qui s’achève. Ce faisant, le camp social-démocrate a pêché par orgueil, et a succombé, encore une fois, à l’illusion que parce qu’il « avait raison »,  il ne pouvait manquer de s’imposer.

Lors de cette campagne, on s’est félicité, au sein même du PS, du retour du fameux clivage Gauche/Droite, en proclamant haut et fort que la confusion était le pire ennemi du débat démocratique nécessaire. Que n’a-t-on appliqué cette analyse au Parti Socialiste lui-même ! Une autre des raisons de la fossilisation idéologique du PS est en effet à chercher dans une méthode de gouvernement qui a toujours privilégié cette confusion – renommée à l’occasion « synthèse » – au motif proclamé du rassemblement, mais de fait au nom de calculs et de tactiques présidentielles ou claniques. La responsabilité de François Hollande est à cet égard écrasante.

Le temps n’est plus aujourd’hui aux calculs – souvent inspiré d’anciens tacticiens trotskystes noyautant tous les camps, – il est au débat frontal entre au moins deux conceptions du socialisme, du pouvoir, des pratiques et de la morale politique. « Socialisme et Démocratie », héritier de la 2ème gauche, et dont Dominique Strauss-Kahn est aujourd’hui le leader, doit maintenant assumer ses idées et les responsabilités qui vont avec, et accepter de prendre le risque démocratique du combat idéologique pour le leadership de tout le parti.

 

Il s’agit cependant de faire les choses dans l’ordre.

La première chose à faire est donc de préciser ce que nous pensons être le socialisme du XXIème siècle. Il en effet inutile de construire un programme, c’est-à-dire une liste d’actions, sans savoir quelle vision du monde il prétend instancier. Comment, dans un monde ouvert et définitivement mondialisé, concilier une économie de marché, consubstantielle de la démocratie (il nous faut l’affirmer), avec la mise en œuvre de nouvelles solidarités ? Comment se rapproprier  la notion de progrès ? Comment remettre en marche l’ascenseur social ?

Un point essentiel à développer sera celui des pratiques du pouvoir. Il est symptomatique de la vision de l’organisation humaine que nous appelons de nos vœux. Le socialisme est un projet d’émancipation, et les hommes et les femmes émancipés doivent être partie prenante du pouvoir. Il faut en finir avec les organisations pyramidales – dont le parti socialiste est aujourd’hui malheureusement un exemple – pour passer à des organisations en réseau, seules capables de réconcilier contributions  individuelles et projet collectif.

Si le système pyramidal était parfaitement adapté à une société industrielle où le savoir et les compétences étaient peu partagés, la société post-industrielle d’aujourd’hui est « réticulée », maillage fin d’individus de plus en plus formés et responsables, d’intelligences, de compétences, et de problèmes aussi. Le seul moyen de faire face à la complexité d’une telle société est de se doter de structures et de modes de fonctionnement politiques eux-mêmes réticulés.

Une société en réseau est par définition une société de confiance, où les centres de décisions sont le plus près possibles des endroits où se posent les problèmes. Ceci nécessite une redistribution des pouvoirs (et en particulier l’interdiction par la loi de tout cumul de mandats), le passage d’un mode de contrôle à priori à un mode a posteriori (ce qui signifie l’acceptation du risque démocratique), et la transparence dans toutes les prises de décisions.

Ce point est central tant il conditionne tous les autres. De l’organisation du parti aux institutions, de l’implication des militants à celles des citoyens, de la commune à l’Europe, tout dépend des formes et des pratiques du pouvoir.

Le concept et la pratique Royaliste de la démocratie participative, trompeur, est bien plus une tentative maternaliste d’habiller de modernité le concept bonapartiste de rapport direct entre un homme et « son » peuple. Il semble qu’il nous faille plutôt généraliser et théoriser le concept, de subsidiarité, déjà à l’œuvre dans les institutions européennes.

Le deuxième point à aborder est celui des alliances, clivant s’il en est.

La stratégie d’Union de la Gauche, née à Epinay, rebaptisée « Gauche plurielle » en 1997, est aujourd’hui morte, paradoxalement du fait de son succès, c’est-à-dire de l’atteinte de l’objectif avoué d’assécher le Parti Communiste. En mort clinique, le PC n’est  objectivement plus d’aucun secours.

Il n’y a aujourd’hui plus rien à la gauche du PS, si ce n’est une nébuleuse parfois généreuse, toujours archaïque, cocktail mortel pour une gauche de gouvernement. Plus de chose nous séparent de fait d’avec cette gauche là que des démocrates sociaux qui se sont reconnus dans la candidature de F.Bayrou : Europe, institutions, justice sociale, réduction de la dette.

Ce constat fait, il n’implique pas pour autant un changement d’alliance immédiat, mais la nécessité d’un débat pour la considérer.

L’ensemble de ces points doit faire l’objet d’un débat refondateur. Débattre, c’est-à-dire à faire en sorte que des projets différents s’opposent et se nourrissent de cette opposition. Le débat doit être frontal, sans calcul, en acceptant le risque démocratique d’être minoritaire.

Les problèmes de leadership se règleront ensuite d’eux même.

Il est en effet vain, et dangereux de dire que la première chose à faire est de régler le problème du leadership. Il est inquiétant d’entendre l’ex-candidate réclamer la désignation immédiate du candidat pour l’échéance de 2012, au titre que c’est ainsi que la droite a pu organiser son succès, (ce qui est d’ailleurs faux). Le Parti Socialiste doit repenser sa vision, ses pratiques, son organisation, non pas pour les mettre au service d’un individu et de ses ambitions, mais pour proposer à terme au pays le projet et les outils qui vont avec, pour gouverner dans la durée. Et ce n’est qu’une fois produit, que nous aurons légitimité à le présenter au pays, puis de choisir – puisque pour l’instant il le faut – la personnalité la plus à même de la promouvoir.

Dans ce contexte, les sociaux démocrates doivent prendre leur responsabilité, affirmer leur vision, avancer leurs idées, promouvoir leur stratégie, et incarner la rupture.

Rupture avec une pratique ambiguë du pouvoir, où compromis, calculs et opportunismes divers empêchent toute vision modernisée de s’exprimer.

Rupture avec un archaïsme idéologique, où les incantations se substituent souvent aux idées, avec la mise en place d’un nouveau corpus idéologique offensif qui assume et intègre la complexité du monde, qui assume et promeut une société ouverte, qui assume et impose de nouvelles solidarités.

Rupture avec une vision diabolisée de l’économie, de l’entreprise, de la réussite.

Rupture avec un agenda politique, hier fixé par de seuls enjeux nationaux et présidentiels, et demain construit autour du seul espace politique qui vaille, celui de l’Europe.

Rupture enfin avec des pratiques de pouvoir confiscatoires, quelles qu’en soient les instances, état, régions, municipalités ou Parti !

Il nous faut donc maintenant effectuer une véritable révolution dans notre pensée politique, dont l’objet unique devrait être la mise en phase du Parti avec la société réelle.

Sociaux-démocrates, prenons nos responsabilités et soyons ces socialistes du réel.

 

Télécharger : De la rupture sociale démocrate