Nous vivons un temps exponentiel, comme jamais l’humanité n’en a connu.
Chaque jour, grâce à une révolution numérique qui a commencé pourtant, lentement, il y a 70 ans, mais qui croît aussi exponentiellement, Loi de Moore oblige, les sciences, les technologies, les matériaux, les outils, les produits, les services, les expériences se développent et nous sont proposés à un rythme toujours plus effréné.
Cette vitesse, et plus encore, cette accélération vertigineuse, nous mettent, individuellement, comme collectivement, dans des états mentaux différents sinon opposés. Certains, ignorants ou sachants, crient « au loup », plus qu’inquiets du type de société induit par ces révolutions, plus très certains que l’humanité s’y sublimera, mais qu’elle s’y dissoudra. D’autres, sachants ou ignorants, s’extasient devant les promesses infinies sinon magiques qu’elles portent, certains qu’elles sont les prémices d’une humanité nouvelle, et d’un bonheur incontournable. Entre les deux, des esprits flottent entre peur et fascination, en aimant alternativement se faire peur, où en cédant à l’hypnotisme digital.
Si il est facile de comprendre la première des postures, qu’elle soit savante ou ignorante, parce que les résistances sont toujours nécessaires à une intégration équilibrée des révolutions scientifiques, technologiques et sociales, il y a toutes les raisons d’être plus exigeants et même plus sévères avec ceux des sachants qui se font les avocats (quand ce n’est pas les grands prêtres) de la seconde. Car il faut être à la hauteur de ces révolutions permanentes, pour ne pas en être les victimes mais les bénéficiaires.
Parce que ces révolutions sont continues, rapides, diverses et même mutantes, nous sommes confrontés à une forme de persistance cognitive et paradigmatique (comme on parlerait de persistance rétinienne) qui nous font voir des « objets », des « concepts », des « modèles » à des endroits où ils ne sont plus, parce qu’ils sont passés plus loin ou ailleurs. La vitesse, c’est bien connu, génère une forme d’ébriété, qui nous fait à la fois perdre nos repères et nous remplit d’une joie démiurgique. Il y a donc une forme d’illusion de puissance, et même de maîtrise, chez beaucoup, si ce n’est la plupart des avocats de la nouvelle cause NBIC. Parce que nous sommes excités par les réalisations et plus encore par les perspectives, nous n’y voyons que des accomplissements et jamais des défaites ou des pièges. Pire, nous pensons construire des paradigmes, des théories, des modèles, des pratiques qui en permettent à la fois l’émergence et le développement maitrisé, et ce dans toutes les dimensions de la société humaine : philosophique, idéologique, culturelle, politique, éthique et sociale.
Nous balbutions pourtant. Nous n’en sommes qu’à tracer les premiers bâtons de la première lettre d’un nouvel alphabet, et pour autant, nous croyons déjà écrire « À la recherche du temps perdu ». Nous avons donc la responsabilité de penser avec audace et humilité à la fois, ces révolutions en cours et pour cela, nous ne devons pas céder à ces ivresses numériques que je décris et dénonce depuis quelques années déjà.
Si une Refondation est nécessaire, c’est bien celle des Refondateurs !
C’est parce qu’il nous faut penser, intensément et dans la longueur, cette révolution civilisationnelle, c’est parce qu’il nous faut être à la hauteur des immenses défis comme des immenses promesses qu’elle porte, c’est parce qu’elle est tout sauf simple, mais bien la Mère de toutes les complexités, que ceux qui se veulent justement les penseurs de cette révolution doivent ne pas céder à l’ivresse qu’elle induit et se positionner comme des refondateurs permanents de leur propre pensée.
Il nous faut donc ne pas succomber à nos persistances paradigmatiques, ne pas confondre vertige et bonheur, vitesse et progrès, accélération et émancipation, en exerçant un esprit critique permanent sur ce que nos esprits entrevoient ou produisent, que ce soit des technologies, des analyses ou des modèles, quand ce ne sont pas des visions. Arrêter de prophétiser, mais bien plutôt resynchroniser nos pensées avec la dynamique d’un réel changement, à partir d’ici et de maintenant.
Cette mise en abyme intellectuelle, cette refondation réflexive, est une ardente nécessité, si ce n’est une exigeante responsabilité pour tous ceux qui pensent, produisent, enseignent, communiquent sur ce qui est, de fait, un changement d’Ere.
Une refondation 2.0.