Il est des expressions qui nous servent autant de paravents que d’excuses. Des expressions qui nous donnent bonne conscience et nous dédouanent. Des expressions qui nous libèrent de toute exigence d’agir parce qu’elles expriment des valeurs, des principes et des concepts rationnels que peu de gens sensés et ouverts, éduqués et attentionnés, rejetteraient ou combattraient. Des expressions qui suffisent à nous positionner comme des humanistes.
« Vivre ensemble » ou « Faire société » sont de celles-là.
Et nous sommes nombreux à les faire nôtres, à les psalmodier comme des mantras laïques, en espérant qu’à force de les dire, de les affirmer, elles s’imposeront à tous, elles deviendront réelles, parce qu’elles seraient nécessaires, parce que la raison même serait en leur cœur.
C’est là le paradoxe d’une pensée rationnelle qui devient pensée magique ! La rationalité d’une proposition, parce qu’elle serait nécessaire, devrait la rendre suffisante et donc consensuelle parce qu’incontournable.
L’histoire, et en particulier l’histoire de la gauche française, est pleine d’illustrations de ces nécessités qui ne s’imposent jamais. Un Mendes ou un Rocard, par exemple, en on été les témoins et les victimes.
La raison en est simple. Nos imaginaires politiques sont, et depuis longtemps, structurés par une verticalité descendante, celle d’un pouvoir littéralement supérieur – Dieu, le Roi, le Président de la République, le PDG, le père – qui seul prend des initiatives, qui seul crée les conditions d’une organisation sociale dont nous sommes seulement les bénéficiaires passifs et jamais les acteurs.
Ce père aimant, cette entité supérieure qui décide de tout, nous ne pouvons alors que l’implorer et le prier, au travers de nos psaumes citoyens, et espérer être entendus et exaucés d’une manière ou d’une autre.
Mais avec ce Père laïque, comme avec l’Autre, rien ne se passera plus maintenant, parce que ce monde dont il est censé être l’ordonnateur lui a définitivement échappé, animé par une dynamique complexe que ce Père ne comprend ni ne maîtrise plus.
Et c’est là qu’il faut revenir aux mots et à leur sens.
« Faire Société ».
« Faire », oui c’est bien l’injonction de faire qui nous est ici exprimée !
C’est à dire de passer nous même à l’action, de mettre les mains dans le moteur, de les salir, de bricoler, d’essayer, d’échouer, d’apprendre, et ensemble forcément.
Qu’est-ce que le mouvement des « Makers » si ce n’est la réponse à cette injonction de faire, et de faire ensemble. Le territoire des « faiseurs » ne se limite évidemment pas qu’à celui des objets et de la matière, même si tout finit un jour par se matérialiser. La société elle même devient l’objet de nos projets, et c’est au quotidien, et à nos échelles, que nous devons alors construire les conditions de nos relations sociales et de leur développement.
« Faire société » est donc un appel à l’action, à l’engagement, bien plus qu’à l’adhésion à des principes. Comme en amour, il faut des preuves, et ces preuves sont des actions, des mises en mouvement.
Cela nécessite de notre part une révolution culturelle et politique, qui inverse les flux de l’action, et qui fait des citoyens des acteurs pleins et entiers de la cohésion comme du développement de la société, c’est à dire des conditions d’un possible « vivre ensemble », pour reprendre un autre Mantra.
Le paradoxe est qu’à bien des égards cette révolution est déjà faite, et que ce sont surtout les institutions politiques et ceux qui les habitent, largement datées et fossilisées, qui sont le principal frein à son déploiement généralisé.
De nouvelles Bastilles sont donc à prendre.
Les esprits sont prêts, et dans de nombreux lieux, des intelligences sont à l’œuvre, qui expérimentent des pratiques, partagent des savoirs, et réussissent.
Devenons tous des « faiseurs de société ».