Les Schtroumpfs

ou « Du Conte Philosophique au Merchandising »

Schtroumpfs, Smurfs, Puffi, Pitufos … Tels sont les noms de ces fameux petits lutins bleus, qui ont fait  en quelques années le tour du Monde, et sa conquête. Mais ce public schtroumpfophile portant T-shirts, montres, cartables, chaussures ou portes-clés aux effigies de ce petit peuple sait-il qu’ils sont nés en Belgique, il y a bientôt trente ans, et qu’ils ont vécus 20 années d’aventures épisodiques à travers moins d’une dizaine d’albums de BD ? Sait-il, qu’avant de faire la joie et la richesse de leurs auteurs à travers leur merchandising, qu’ils furent les personnages de fabuleux petits contes philosophiques, ciselés et construits comme les Fables de la Fontaine, en y développant des idées simples et en y proposant une morale ? C’est ce que nous allons essayer de vous montrer à travers un petit voyage au pays des Schtroumpfs.

Et avant toute chose, plantons en d’abord le décor. Construction dramatique classique, l’univers des schtroumpfs est un monde clos. Clos, il l’est d’abord géographiquement : les Schtroumpfs vivent en effet dans le « Pays Maudit » (on l’évite donc, puisqu’il est maudit), zone boisée entourée de déserts et de montagnes. Seule la faune partage avec eux ce pays, qu’a priori aucun être humain ne doit pénétrer.

Clos, il l’est aussi d’un point de vue social. La société des schtroumpfs est en effet une communauté très structurée, dirigée par un vieux schtroumpf, sage et respecté (le grand schtroumpf). Les différences entre Schtroumpfs sont d’ailleurs à la base de la structuration de cette société. Chacun d’entre eux possède en effet une caractéristique unique, psychologique ou professionnelle, et ils sont identifiés en fonction de cette caractéristique : le schtroumpf costaud, le schtroumpf timide, le schtroumpf bricoleur, le schtroumpf jardinier. Enfin, le monde des schtroumpfs est un monde sans femme (enfin presque).

Clos, il l’est enfin du point de vue du langage. Les schtroumpfs possèdent en effet leur propre langue. Dans celle-ci certains mots, ou une partie de certains mots sont remplacés par le radical Schtroumpf. Il faut d’ailleurs savoir que ces remplacements obéissent à des règles de substitutions très précises.

Ce décor étant planté, ce sont donc ces ressorts qui vont être systématiquement utilisés par les auteurs pour animer ce monde et développer des thèmes multiples.

L’intrusion d’un élément maléfique et étranger à cet univers est souvent à la base des récits des petits hommes bleu. Cet élément étranger se trouve être très régulièrement le Sorcier Gargamel qui a juré la perte de ces petits lutins. Il en a effectivement besoin pour les dissoudre (les pauvres !) dans une potion magique qui lui donnerait alors le pouvoir de transformer les métaux en or !!! Comme il lui est difficile de trouver le village des schtroumpfs, Gargamel essaye de les détruire par des créatures nés de sa magie. Ainsi, dans l’album « La Schtroumpfette », Gargamel essayent de semer la discorde entre les petits schtroumpfs en y envoyant une créature féminine (n’oublions pas que tous les schtroumpfs sont des garçons !). Cette schtroumpfette est en effet un véritable danger ambulant, et les auteurs nous donnent à penser que son danger provient de sa féminité. La recette magique qui lui donne naissance est d’ailleurs un petit morceau d’anthologie de la misogynie (Cf.l’illustration !). Frivole, bavarde, superficielle, elle n’en fera pas moins chavirer le coeur des petits bonshommes, qui vont alors se disputer violemment les amours de cette créature. La morale est ici implicite : « Méfiez-vous des femmes ! « .

« Le Schtroumpfissime » est un véritable petit conte philosophique, sur le pouvoir, ses tentations et ses déviations. Patriarche et chef de la communauté, le Grand Schtroumpf doit s’absenter longuement du village. A cette occasion, les schtroumpfs décident de se doter d’un nouveau chef, à travers des élections. Parmi les candidats, il en est un qui découvre les délices de la démagogie et des promesses faciles. Arrivé au pouvoir, ce schtroumpf se nommera Schtroumpfissime et mettra en place ce qui ressemble tout bonnement à une dictature. Qui dit Pouvoir, dit contre-pouvoir. Les Schtroumpfs vont donc s’organiser pour combattre le despote. Et c’est en pleine guerre civile que le grand Schtroumpfs fera son retour, et réconciliera évidemment tout le monde. Ce petit bijou d’humour et d’intelligence nous met en garde, à sa manière, contre les abus du pouvoir, ses ivresses, mais aussi contre les complicités que ces abus impliquent et nécessitent.

Dans « Vert Schtroumpf et Schtroumpf vert », c’est le langage qui sert de prétexte aux auteurs pour aborder le problème de la discrimination. Comme nous l’avons dit, le langage schtroumpf obéit à des règles de construction précises. Elles sont cependant assez floues pour laisser la place à l’ambiguïté (en effet, une pomme de schtroumpf peut aussi bien être une pomme de terre qu’une pomme de pin !). Le village schtroumpf se trouve être divisé en deux parties – le Sud et le Nord – chacune des parties appliquant les règles du langage de manière différente. Ainsi, pour un tire-bouchon, les schtroumpfs du Nord parlent d’un tire-bouschtroumpf, alors que pour ceux du Sud il faut dire schtroumpf-bouchon. De même, le Petit Chaperon Rouge sera le Petit Chaperon Schtroumpf pour les premiers, alors qu’il s’agira bien du Petit Schtroumpferon Rouge pour les seconds ! Cette légère différence va bientôt être le prétexte à un affrontement de plus en plus violent entre les deux parties du village, chacune accusant l’autre de toutes les tares et de tous les maux. Il faudra toute l’astuce du grand schtroumpf pour ressouder instantanément les deux parties, face à l’attaque du village par Gargamel. Là encore, il s’agit d’une petite fable humoristique et lucide, qui démontre combien les démons de l’exclusion peuvent se nourrir de simples différences entre deux groupes.

On le voit, avant de connaître un succès mondial, les schtroumpfs ont donné naissance à de merveilleuses petites histoires, véritables mécaniques de précision narrative. Malheureusement, en devenant des stars, les schtroumpfs ont beaucoup perdu de leur âme et de leur intelligence. Objets commerciaux, ils ont du passer à la Moulinette des études marketing et du merchandising. Gommés les différences ! Au revoir le conte philosophique ! Par ici la monnaie ! Depuis l’avènement de leur success story, les schtroumpfs n’ont donné naissance à aucun album majeur, les personnages se sont affadis, les scénarios aussi. Pouvait-il en être autrement ? Ou au contraire, doit-on en déduire que pour plaire au monde entier, il faut gommer ses caractéristiques et sa personnalité ? La destinée d’autres héros universels, tel Mickey Mouse ou Snoopy sont la preuve du contraire. Voilà une leçon – une morale même ! – qui aurait pu donner naissance à une belle histoire de schtroumpfs, mais du temps de leur grandeur.

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