Tintin

un témoin du XXème siècle

De tous les héros de Bandes Dessinées, Tintin est certainement celui qui a le plus été admiré … et décrié à la fois. Parmi ses détracteurs se trouvent ceux qui reprochent à l’oeuvre d’Hergé – ainsi qu’à la bande dessinée en générale – d’être un monde enfantin, et déconnecté de la réalité. Or, si l’on prend le soin de relire attentivement l’ensemble des aventures de ce héros universel, il apparait qu’il n’en est rien. Né en 1929, au moment même où certains businessmen déprimés se jetaient du haut des buildings de Wall Street, Tintin a été le témoin de ce Siècle passionnant (d’ailleurs n’est-il pas reporter ?). De la découverte de la Russie Soviétique (1929), jusqu’aux révolutions d’Amérique du Sud (1976), chacun de ses albums apparait comme une tranche d’histoire, grâce à laquelle les valeurs et les tendances d’une époque se révèlent. Feuilletons pour nous en convaincre quelques albums de cet éternel jeune homme.

Dans ses aventures au Pays des Soviets (1929), Tintin découvre et dénonce les malversations ‘imaginaires’ d’un régime Stalinien, au cours d’un périple rocambolesque. Cet album a longtemps été un symbole pour les détracteurs d’Hergé, qui lui reprochaient une vision simpliste de la réalité. Quoi que l’on puisse en penser, il est toutefois difficile de prétendre que l’oeuvre d’Hergé était incolore et inodore ! l’engagement d’Hergé y est complet et corrosif ! A y regarder de plus près, l’album est d’ailleurs beaucoup moins explosif aujourd’hui qu’à cette époque, où deux visions du monde – radicalement différentes – s’affrontaient sur le terrain … comme dans les salons.

Malgré ce début très ‘politique’, il a fallu attendre la parution du « Lotus Bleu » (1933) sous le titre « Les Aventures de Tintin en Extrême-Orient » pour revoir explicitement resurgir l’Histoire dans l’Oeuvre d’Hergé. Ayant décidé de transporter son héros dans cette partie du Monde, Hergé dut se documenter largement pour éviter les ‘incidents diplomatiques’. C’est à cette occasion qu’il rencontra l’Orient, dont la Civilisation et la Pensée l’auront fasciné et influencé jusqu’à la fin de ses jours. C’est d’ailleurs aussi à cette occasion que Tintin est véritablement né. La guerre sino-japonaise sert de décor politique à cette aventure, où Tintin prend ouvertement parti pour la Chine, ce qui lui vaudra après la guerre, une invitation permanente et officielle à s’y rendre en visite. A noter que, en chemin pour Shangaï, Tintin fit une halte  … à Singapour ! On ne sait d’ailleurs pas ce qu’y furent ses aventures, mais des recherches sont en cours …

L’oreille cassée (1936) permet à Hergé de jeter un oeil critique sur les républiques bananières d’Amérique du Sud de l’époque. Au San Théodoros, pays imaginaire, l’armée compte plus de colonels que de soldats et les révolutions s’y succèdent à un rythme infernal. On y voit ainsi un peuple blasé, acclamer à quelques minutes d’intervalles, le nom de son nouveau leader, au fur et à mesure de l’arrivée de nouvelles contradictoires. Tintin s’oppose dans cet album aux affrontements, par dictateurs interposés, de consortiums multi-nationaux convoitant des richesses minières.

Dans Le Sceptre d’Ottokar (1937), en visite dans un royaume balkanique (la Syldavie) Tintin va déjouer un complot visant à en destituer le Monarque. Fomenté de l’intérieur, le coup d’état devait être appuyé par les Milices de Fer d’un pays voisin (la Bordurie) soumis à la Dictature. C’est en fait l’Anschluss – l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne Nazie – qui a directement inspiré ce scénario à Hergé. D’ailleurs, le patron des Milices de Fer ne s’appelle-t-il  pas Müstler, compression de Mussolini et Hitler ?

Interrompu par la 2ème Guerre Mondiale, Au pays de l’Or Noir permet à Hergé de nous donner une vision prémonitoire sur l’importance du pétrole dans l’équilibre du monde. En fait, cet album est la meilleure preuve de l’ancrage de l’oeuvre d’Hergé dans l’histoire directe. Au début de sa parution en 1939, l’histoire se déroule en Palestine sous protectorat anglais, et tintin s’y fait enlever par les militants de l’Irgoun, qui se battaient violemment pour l’existence d’un état israëlien. Dans sa version définitive (1950), la Palestine a cédé la place à un état imaginaire (le Kehmkah), et les soldats anglais ainsi que les militants sionistes ont disparus.

Conçu dans une Belgique occupée par le Troisième Reich, l’Etoile Mystérieuse est lui aussi un album qui fut remanié après guerre. Dans cette histoire on voit en effet deux expéditions scientifiques en compétition pour prendre possession d’un aérolithe constitué d’un minerai précieux. l’aspect politique de la chose vient du fait que la première expédition (la bonne) est constituée de savants originaires de pays soutenant les puissances de l’Axe, alors que l’autre (la mauvaise) est tout simplement … Américaine ! L’album valut d’ailleurs à Hergé d’être traité de collaborateur. Quoi qu’il en soit, d’Américaine, Hergé transforma l’expédition en Sao-Ricaine, pays mythique.

L’affaire tournesol nous permet de revenir en Bordurie, la dictature évoquée dans le Sceptre d’Ottokar. Nous y découvrons un pays marqué par la réelle omniprésence des moustaches de son dictateur (Pleksi-Gladsz). Il n’est pas un seul lieu, un seul objet où ne s’impose ces moustaches, symbole de la toute puissance du potentat. Le lecteur pourra d’ailleurs s’amuser à rechercher ces attributs dans le décor fouillé de cet album. Inventeur d’un procédé doté d’un potentiel effroyablement destructeur, le professeur Tournesol y est enlevé pour être délivré grâce à l’aide involontaire, bien qu’heureuse, de la Croix Rouge.

Dernier album de la série, Tintin et les Picaros est inspiré par l’aventure de Regis Debray, parti dans les années 60 à la rencontre des Guerilleros et fait prisonnier par le gouvernement qu’ils combattaient. De retour au San Théodoros, déjà décrit dans l’Oreille cassée, Tintin y vient pour délivrer ses amis emprisonnés arbitrairement par le dictateur du moment, et il aidera les guérilleros (les picaros) à destituer ce dernier. Dans cet album, Hergé prend cependant ses distances, et ne prend pas parti pour la clique en place ou les révolutionnaires. Au début de l’Histoire, des gardes armés déambulent dans des Favellas sordides où l’on chante le nom du Général Tapioca. Dans la dernière image de l’album, les gardes on changé d’uniforme, c’est maintenant le nom du général Alcazar qui est loué, mais les favellas sont les mêmes. C’est donc un regard désenchanté – certains diront lucide – qu’Hergé jette à ce moment sur l’Histoire.

A travers les aventures de son héros, le regard d’Hergé sur le monde est donc toujours resté ouvert et curieux. De la vision manichéenne de ses premiers albums, il ne reste plus rien dans les dernières oeuvres de l’auteur. Lucide, mais jamais désabusé, Hergé a toujours conservé une vision humaniste du monde des hommes. En 60 ans d’existence, Tintin a simplement fini par comprendre que ce monde était complexe, tous simplement …

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