ou « La famille a du Chien »
Boule et Bill : deux noms qui roulent. Un enfant et un chien. Deux amis inséparables qui habitent depuis 30 ans dans le journal SPIROU. Deux personnages qui n’ont pas grandi et qui ont pourtant tellement changé, et dont l’univers est le lieu de plus d’un millier de gags. Oyez ! Oyez ! les Petits qui deviendrez Grands, et les Grands qui ont su rester Petits. Oyez l’histoire de l’aventure derrière les conventions.
Il est en effet un genre en Bandes Dessinées -et particulièrement pratiqué aux Etats-Unis- qui a pour nom Family Strip (non ! Pas la famille en lambeaux !). Les lois en sont simples, les ressorts connus, pusique la famille y est en effet le lieu du drame. Par famille, il faut comprendre d’abord des personnages (un papa, une maman, quelques enfants -pas trop-, , et un animal -indispensable-, quelques copains et des voisins- déagréables de préférence- ).
Ces personnages sont en règle générale trés conventionnels, et n’ont pas de caractéristiques sociales ou culturelles qui les fait sortir d’une norme. Ils sont en fait le miroir de leur lecteur, des individus moyens. La famille c’est aussi un lieu (une maison, un jardin, des meubles), lieu aussi fixe que les personnages le sont dans leurs comportements. C’est donc dans un univers très bien délimité que les gags, et les aventures domestiques vont se développer. Le fait même que tout soit connu contribue mécaniquement au plaisir du lecteur, qui est en fait chez lui.
La série Boule et Bill appartient ainsi totalement à ce genre. Qu’on en juge. Boule est le fils d’un cadre moyen, propriétaire d’un petit pavillon de banlieue. Ce papa est très classique, il a une 2CV citroën (ce qui le classe tout de suite socialement), regarde le foot à la télévision, fait la sieste après la lecture de son quotidien, et a des ennuis avec le fisc. La maman de Boule est elle aussi une caricature, elle dépense de l’argent (pour des frivolités, considére évidemment son mari) et a peur des souris. Rien que des conventions, on l’admettra.
Mais voilà, deuxième personnage du couple, le chien Bill va petit à petit se révéler être le grain de sable (le grain de folie ?) qui va dérégler cette mécanique du quotidien, et qui va révéler derrière les conventions, un monde d’humour, de poésie, de non-conformisme : bref, l’antinomie de cet univers bourgeois, confortable, rembouré et faux, comme un fauteuil en Skaï.
Cocker roux, Bill est en effet paresseux, il ne pense qu’à dormir, manger et s’amuser : toutes choses qui ne s’affiche pas quand on est un type comme il faut ! Qui plus est, Bill n’aime pas les uniformes. Qu’ils s’agissent des porteurs de soutanes, de galons ou de revolvers, ils ont tous droit à l’expression canines (comme les dents) de sa phobie. Les Chasseurs n’ont aussi droit à aucune circonstances atténuantes. Car Bill est un ami des bêtes. N’abrite-t-il pas régulièrement dans sa niche toute une famille d’oiseau en quête d’un refuge ? N’est-il pas amoureux de la tortue Caroline (lente, mais séductrice), elle aussi, autre personnage en marge de ce monde des hommes où va trop vite, inutilement trop vite ? Bill déteste l’eau, et finit toujours par succomber aux honteux stratégèmes fomentés par ses frères supérieurs pour le mettre au bain. C’est donc par Bill que le scandale arrive, que l’univers se détraque.
La chose est clair ! Bill est le véritable héros de cette série. Au départ partenariat équilibré, les projecteurs se sont de plus en plus focalisé sur ce petit animal jouisseur. L’évolution même des titres des albums de la série illustre parfaitement cette dérive. Jusqu’au 7ème album, ceux-ci s’appellent tout simplement « 60 Gags de Boule et Bill », et seul un numéro les différencie. Le 8ème Album annonce le changement qui va s’opérer, puisqu’il porte le titre de « Papa, Maman, Boule … et Moi ». Sur la couverture, les humains sont représentés dans des cadres accrochés au mur, pendant que Bill (et Caroline) sont eux bien vivants ! La signification en est claire : ceux-là sont prisonniers de leur cadre ! nous, nous sommes libres ! A partir de cet album, à peu près tout les titres vont être centrés sur Bill (jeux de Bill, Une vie de Chien, coquin de cocker, …)
Bill apporte donc de la fraicheur à cet univers, et cette fraicheur s’exprime par ses incongruités et son non-conformisme. Parfois l’auteur -qui se cache, c’est sûr, derrière ce chien rigolo- introduit l’étrange dans ses bandes, comme pour mieux faire se faire entendre : Tout ceci n’est évidemment que convention. Regardons de l’autre côté du miroir ! Ainsi, la maison de Boule est elle souvent décoré de cadres champètres (non! pas de gardes-champètres) desquels des petits oiseaux sortent parfois leur têtes pour observer les agitations de ce petit monde (des dessins animés dans une bande dessinée quoi !).
Parmi les meilleurs albums de la série, citons particulièrement « Globe-Trotters ». Histoire complète (et non plus une série de gags d’une page), il relate les aventures de Boule et Bill enmenés dans un tour du monde fou, fou, fou ! Vainqueurs d’un concours (celui du meilleur ami), nos deux amis vont être pilotés par un accompagnateur obsédé des horaires dans un pélérinage circumterrestre. Ce voyage n’est d’ailleurs pas que géographique, puisqu’en fait, Boule et Bill vont y rencontrer un kyrielle de personnages de BD. L’album est intéressant, aussi parce qu’il fait exploser le genre auquel s’était jusqu’à présent nourri la série. Au revoir l’intérieur bourgeois, bonjour le Monde !
Cousin canin de Gaston (il en a le côté non-conformiste et jouisseur, voir le Lien du mois de Mars), Bill est aujourd’hui entré dans la légende, et figure dès à présent au côté de ses autres frères de races au Who’s Who (ou plutôt au Wouaf Wouaf) de la BD que sont Milou et Snoopy. Moins hermétique et désespéré que l’univers de Georges Schultz, le monde de Roba, auteur de ce petit chef d’oeuvre, est au contraire bourré d’optimisme et de joie de vivre. Et nul doute qu’il nous invite à suivre le modèle qu’il nous dessine (car c’est bien son dessein).
Nous sommes tous des cockers !!! (Non ! pas des bergers allemands).
(Mars 1990)