Les Bidochon

ou « Et la Tendresse, Bretelle !!! »

C’est noir. Cela devrait être feutré mais c’est lustré. C’est surmonté d’une petite queue de la même couleur. C’est vissé sur une masse défraichie ornée d’éléments pileux au dessus d’une grimace. C’est aussi élastique et tendu. Cela supporte deux tuyaux de tissus cousus l’un à l’autre, juste au dessus de deux fourreaux de feutres ecossais. C’est à côté de l’autre, c’est rond et gras et recouvert de plusieurs couches de tissus. Cela suit, cela se plaint, cela est triste.

Cela, c’est le couple Bidochon, Robert et Raymonde. Triste héros d’une série grinçante du sévère et précis BINET. Celui étant un cas à part dans la BD française. Tout ceci pour pouvoir glisser ce gag lamentable : c’est un cas Binet…

Créés, euh … il y a un certain temps (mais où j’ai foutu mes notes, nom d’un Kador), et publiés dans les colonnes de Fluide Glacial, les Bidochon sont un couple de Français (lui : enveloppé, habillé d’un sempiternel béret, les mains dans les poches d’un panatlon que seules des bretelles pur skaï empèche de tomber. Elle : grasse, les traits grossiers, habillé le plus souvent d’un tablier de ménagère), que l’on voudrait très moyens de peur de leur ressembler, à travers les mésaventures desquelles Binet va litérallement disséquer les mesquins rouages de notre société, et les comportements, insuportables, idiots ou attendrissants que celle-ci engendre. Nous allons ainsi découvrir, à travers les diverses tranches de vie de ces deux anti-phénomènes, les grandeurs et les décadences de la vie en HLM, des angoisses de l’accession à la propriété, des labyrinthes de l’administration, de l’enfer hospitalier ou de la jungle routière.

Parmi celles-ci retenons un instant si vous le voulez bien (d’ailleurs que vous le vouliez ou non ne changerait rien à l’affaire) l’album dénommé « Maison, Sucrée, Maison » où les Bidochon, las de la vie communautaire en Habitat à Loyer Modéré et jaloux du nouveau statut de propriétaire de leur ancien voisin, décident de se lancer eux-aussi dans cette aventure moderne. D’abord victime de marchand de rêves, R&R se contenteront d’une maison à boulonner sur une ancienne décharge. A noter que la maison a été complètement construite à l’envers par des maçons arabes qui lisait le mode d’emploi de droite à gauche, comme le coran.

Autre moment mémorable que la lecture de l’album « Les Bidochon en Voyages Organisé« , où le manque de scrupule des organisateurs est entre autres fustigé. Infantilisé à l’excès comme il se doit dans de telles circonstances, les Bidochon vont partager la vie d’une comunauté débile, sorte de poche bien-de-chez-nous transportée momentanément dans un pays de l’Est. Tous les petits comportements des français à l’étranger (et en fait de tous nationaux en goguette extérieure) sont dénoncés : le mépris des traditions ou la nourriture locale (Mais où est donc ma choucroute natale ?) comme la visite d’une culture au pas de course. Ceux-là sortent donc de chez eux pour nourrir leur nostalgie nationale.

Des aventures plus intimistes mais tout aussi cruelle nous seront aussi proposées, telles que la rencontre de nos deux tourtereaux (vous ne pourez pas manquer de me reconnaitre, je porterais un jambon de bayonne à la boutonnière), les aléas de leur vie sexuelle, ou la grisaille et les lenteurs de leur vie commune.

Ainsi, en va-t-il de la scène mémorable où nous est contée la participation des Bidochon à la lutte contre le Sida. Au jour-dit par le contrat de mariage signé entre Robert et Raymonde, celle-ci doit offrir son corps de Diane chasseresse qui aurait avalé la biche au lieu de la caresser, à son Apollon (mais plutôt genre capsule spatiale voyez vous ?) qui va lui apprendre que désormais dorénavant ils devront négocier leurs virages à l’aide d’une membrane protectrice, mais que pas nous ! lui dit Raymonde et que pourquoi pas nous ! lui répond le Robert que même qu’ils l’ont dit à la Télé que tout le monde pouvait l’attraper alors pourquoi pas nous ?

Robert et Raymonde sont seuls et sont d’ailleurs condamnés à le rester puisque Madame Bidochon ne peut pas avoir d’enfants (qui est le muffle qui a dit heureusement !?!). C’est pourquoi le couple décide-t-il d’adopter un chien un peu particulier qui répond au doux nom de Kador et qui lit Kant dans le texte, au grand dam de Robert qui aurait tant aimer avoir un chien comme il faut, jouant à la baballe, apportant pantoufles et plantant son nez là ou il ne faut pas (non ! pas la jambe, pas la jambe !!) comme le font de par le monde tous les chiens qui savent rester à leur place (aux pieds !). Kador est d’ailleurs le seul élément fantaisiste de cet univers par ailleurs si réaliste.

Véritable socioloque de la table à dessin, Binet donne l’impression de pousser ses recherches jusqu’à l’expérimentation complète des situations incroyables et pourtant si banales qu’il nous décrit. Ainsi, tous ces albums se terminent par une dédicace (et une anti-dédicace) à un certain nombre de personnes qu’il aurait rencontrées, et qui donne de la véracité à ces récits. Servi par un graphisme simple mais efficace, ce sont surtout les textes de Binet et ces dialogues qui donnent tout leur punch à ses albums. Le théatre ne s’y est d’ailleurs pas trompé qui a adapté avec succès quelques un de ceux-ci.

Droles, les textes et dessins de Binet le sont assurément, bien que grinçants soit le qualificatif qui leur convienne le mieux. Car rien de ce qu’il nous montre ne tombe dans l’outrance. Et nos rires s’éteignent bien vite devant l’affreuse vérité qui se fait rapidement jour derrière l’humour : tout ceci est véridique et nous l’avons déjà vécu ! Pire encore, ce Robert, cette Raymonde, c’est ma charcutière, mon voisin, ma soeur, moi en fait (et vous aussi par ailleurs, hein !). Le monde dans lequel ils vivent est notre monde. Certes, nous n’en partageons pas tous la pauvreté culturelle et la mesquinerie quotidienne, mais n’en sommes nous pas alors les créateurs ? Les Bidochons ne seraient-ils pas alors le héros involontaires et tragiques d’un progrès dont il n’aurait que des miettes qui auraient acquis le statut de Mythes (Holâ ! Audacieuse l’image !).

Et c’est alors à ce moment précis que notre regard s’attendrit sur ces ‘petites gens‘ comme l’on disait autrefois. Derrière ces comportements caricaturaux, ces journées sans différences, où le seul rythme ne vient que de la répétition, il y a deux êtres humains, victimes de leur naissance autant que de leur époque, qui cherchent eux aussi le bonheur, dans le noir et à tatons, et qui se prennent dans la figure tous les obstacles que cette société s’amuse à créer comme des déchets.

Et cette quête du bonheur dans la médiocrité les transfigure alors. Et nous condamne à la fois.

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