Spirou et Fantasio

ou « Laissez le Groom vous ouvrir la porte »

 Qui a plus de 52 ans et rivalise avec d’autres Mythes de la BD tels que Tintin ou Astérix ? Qui  est passé d’auteurs en auteurs en gagnant en personnalité ? Qui a traversé le siècle et a été le témoin de l’emergence de la modernité ? Qui est entouré d’une ribambelle de personnages tout aussi loufoques qu’intéressants ? Qui a été habillé en Groom durant la plus grande partie de son existence, sans jamais renvoyer l’ascenseur à quiconque ? Qui , Hein Qui ?  Oui  ! Je vois une main qui se lève au fond de la classe … Comment … SPIROU !!! Oui ! C’est bien lui ! (…. Houâââ l’autre hé, c’est pas juste hè,  la réponse est dans le titre de l’article, héééé).

Spirou n’est qu’au départ un petit groom astucieux, dont les premières aventures sont dues à Rob-Vel. Ensuite pris en main par JiJé, le maître à dessiner de toute la génération d’après-guerre, celui-ci lui adjoindra un compagnon inséparable, l’inéffable Fantasio. Mais c’est grâce au Génial et modeste Franquin, que Spirou va vivre les plus belles de ses aventures, et que son univers va acquérir la densité et la cohérence qui caractérisent toutes les grandes oeuvres de BD. C’est sous sa plume que les personnages essentiels de la série vont naître, s’épaissir et s’articuler. C’est avec la collaboration de plusieurs scénaristes (dont Greg, le père d’Achille Talon), que Franquin va envoyer ses héros aux quatre coins du monde.

Franquin devant abandonner la série pour des raisons personnelles, une petit poête Breton, Fournier, tenta de reprendre le flambeau pendant moins de neuf aventures. Puis vint le pire avec les deux albums signés Broca & Cauvin qui marqueront d’autant moins l’histoire de la BD que les critiques tairont ce lamentable intervalle dans la série (ben pourquoi t’en causes alors, banane ?). Spirou a finalement été aujourd’hui adopté par un couple d’auteurs talentueux, à l’humour caustique et destructeur, Tome et Janry (non, pas Tom et Jerry !). Ceux-ci ont en effet su renouer avec tout ce qui faisait le charme de Spirou et qui pourrait se définir comme un harmonieux mais explosif cocktail d’humour, d’aventures exotiques et d’actions, le tout ficelé dans un scénario sans faille.

Au départ héros solitaire, Spirou a donc vite été rejoint à la tête d’affiche par Fantasio, personnage loufoque et longiligne, reconnaissable à ses huit cheveux perpétuellement dressés sur sa tête. Loin de n’être qu’un personnage secondaire, Fantasio est au contraire un formidable ressort dramatique. Autant Spirou est un personnage raisonnable, sensé et maître de lui, autant Fantasio, du moins dans leurs premières aventures, est un original bavard, bruyant et colérique. Cette classique complémentarité entre personnages (cf. Laurel et Hardy, Bouvard et Pécuchet, Pince-Mi et Pince-Moi, Polliet et Chausson) va apporter aux récits équilibre, diversité et rebondissements. Les inventions de Fantasio comme ses coups de gueules ou de sang, sont autant d’éléments qui permettent d’animer le récit sinon de l’emballer (même si c’est pour consommer tout de suite).

Apparu dès le deuxième album de Franquin (Il y a un sorcier à Champignac), le Comte Hégésispe Adélard de Champignac reste un des personnages les plus importants des aventures de Spirou et Fantasio. Savant et allumé, il a une conscience à la dimension de ses connaissances, qui sont vastes. Car si aucune science ne lui est inconnue, il est surtout un spécialiste des champignons, grâce auxquels il est capable de concevoir armes ou gadgets. A ce titre, Le Comte de Champignac est sans aucun doute le premier personnage écologique de la bande dessinée. L’équilibre de la planête, le limites déontologiques de l’usage de la science sont autant de préoccupations explicites de ce doux savant. Sur les 20 aventures de Spirou animées par Franquin, plus de 11 font intervenir le Comte de Champignac.

De plus, le Chateau du Comte, aussi bien que son village et ses habitants sont aussi des points de repères permanents de la série, comme le Chateau de Moulinsart l’est dans Tintin.

Animal mythique recherché par nos deux compères dans l’album les Héritiers, le Marsupilami est sans aucun doute le personnage le plus célèbre des Aventures de Spirou. Au départ, simple marsupial facétieux, il va très vite se révéler être une véritable mine d’idées pour les scénaristes de Franquin. Doué d’une force surhumaine et doté d’une queue de plus de 12 mètres, qui lui sert suivant les circonstances de massue ou de ressort (Houba, Houba Hop !), le Marsupilami va dévoiler tous ses étranges talents au fil des albums. Ce petit pervers polymorphe va ainsi nous apprendre qu’il est amphibie (le repaire de la Murène), puis ventriloque (les Pirates du Silence), et enfin un père de famille jaloux de sa progéniture dans le délicieux album le Nid de Marsupilami. Partenaire indispensable de Spirou et fantasio, le Marsupilami est un élement de folie et de fantaisie dans l’oeuvre de Franquin, si personnel que celui-ci interdira aux successifs auteurs de Spirou de s’en servir dans leur récits.

Amie et rivale en journalisme de Spirou et Fantasio, Sécotine est aussi un personnage surprenant dans l’univers de Franquin. Belle, intelligente, professionnelle et indépendante, Sécotine va aussi souvent tirer nos amis des mauvais pas où il se seront fourrés, que de les doubler sur des scoops journalistiques où elle se montrera toujours plus maligne qu’eux. L’intérèt du personnage réside donc dans sa grande modernité, car être femme, belle, indépendante et reconnue professionnellement ne devait pas être chose facile au début des années cinquantes (comment ? maintenant non plus ?).

Autre monument dû à Franquin : ZORGLUB ! Ancien camarade de classe de Champignac, Zorglub est un mégalomane pour qui la science sera le moyen de prendre le pouvoir. Plus mégalo que réellement méchant, il n’hésitera pas à constituer une armée de Zorglhommes, Zombies rééduqués grâce à sa Zorglonde et parlant la Zorglangue (toutes les lettres des mots sont inversées, genre : « Sneit, sarua’t ud niduob !« ). Véritable génie scientifique, créateur de machines volantes stupéfiantes, Zorglub est surtout un impatient qui cherche à se faire reconnaitre. Il trouvera évidemment devant lui, Spirou, Fantasio, et surtout Champignac, qui utiliseront contre lui la seule arme mortelle anti-mégalos : le ridicule.

Zantafio, cousin double et en négatif de Fantasio est l’exemple même de l’aventurier arriviste qui ne recule devant rien pour obtenir puissance et argent. Personnage antipathique, il va cristalliser à lui tout seul tout ce contre quoi Spirou et Fantasio vont se battre. C’est pourquoi il va revenir régulièrement offrir des causes à nos héros. Et de la simple tricherie (les Héritiers) il ne finira jamais de croître en scélératerie, passant de l’état de Dictateur d’une République bananière (le Dictateur et le Champignon), au machiavélique manipulateur de conscience des masses, caché dans l’Ombre de Zorglub (l’Ombre du Z, un petit bijou sur les ravages de la publicité).

Plus qu’une simple histoiredepetitmickeys, Spirou est aussi une fenêtre ouverte sur une époque. Plus qu’aucune autre oeuvre de BD, les albums parus dans les Fifties (n.f.p. anglicisme signifiant, « les années cinquantes ») sont aujourd’hui autant de descriptions des mouvements, attentes et désirs du français moyen au milieu des « Trentes Glorieuses ». Ainsi, Spirou et Fantasio possèdent une voiture sportive et bourrée de gadgets (la TurboTraction), habitent une maison moderne qui aurait pu être dessinée par Le Corbusier. Le mobilier de cette maison, (fauteuils aérodynamiques, rideaux cubistes, chaises métalliques et tables de formica profilées) est caractéristique des goûts modernistes d’une grande majorité de la population de l’époque qui projetait sur ces objets futuristes et colorés leur désir de confort, comme leur certitude proclamée en un avenir meilleur (alors que dans un film comme Mon Oncle de Jacques TATI, ces mêmes valeurs sont tournées en dérision)

C’est cet optimiste moderne et aujourd’hui un peu kitsch qui donne tant de charme aux albums de Spirou dessinés par Franquin. Cet optimisme n’avait d’ailleurs rien de simpliste, car les dangers de cette civilisation y étaient aussi dénoncés : Arrivisme (Les Héritiers), dictature militaire (Le Dictateur et le Champignon), folies scientifiques (Z comme Zorglub), manipulation médiatique (l’Ombre du Z). Notre monde est aujourd’hui plus complexe et le bonheur est donc en conséquence un concept plus difficile à appréhender. Il n’y a toutefois pas d’autre alternative que d’agir comme Spirou, Fantasio, Le Comte de Champignac et le Marsupilami, pour que ce bonheur différent s’instancie, ici et maintenant, au simple cri de ralliement : HOUBA, HOUBA, HOP !!!

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