Entre les cases de Tintin – L’interview de Sedar Goronu M’Tobu
Ambassadeur du Congo à Paris

Interview de Sedar Goroni M’Tobu

Q :       Votre Excellence, Bonjour. Afin que nos lecteurs puissent vous situer dans le cadre à l’intérieur duquel notre entretien va s’insérer, je vous propose d’abord de mieux cerner votre personne.

A :       Bien volontiers.

Q :       Tout d’abord, qui êtes vous ? Quel a été le chemin de votre vie ?

A :       Je m’appelle Sedar Goroni M’Tobu. Je suis originaire de ce qui s’appelait autrefois le Congo, et je dois avoir 69 ans … Du moins, je crois…

Q :       Vous n’en êtes pas plus sûr que ça ?

A :       C’est à dire que l’état civil Congolais de l’époque n’avait rien d’informatisé, savez-vous !!!

(Rires)

A :       Mes parents sont morts alors que j’étais encore un très jeune enfant, et je fus recueilli par la Mission Catholique qui me dispensa jusqu’à mon adolescence soins et enseignement. Je crus à cette époque avoir été touché par la Grâce de Dieu et décidai d’y dédier ma vie.

Je fus ainsi amené à poursuivre mes études en Europe à l’Université de Louvain. Mais je m’aperçus bien vite que, loin d’être fait pour le service de Dieu, ma vocation était bien d’aider les Hommes. Je retournais donc dans mon « Congo » natal dans la vie publique duquel j’eus le privilège d’avoir un certain rôle à jouer. J’ai été nommé il y a bientôt deux ans Ambassadeur du Zaïre dans la République de San-Théodoros.

Q :       Revenons à votre enfance si vous le voulez bien. C’est au cours de cette période de votre vie que vous eûtes le l’occasion de rencontrer notre personnage ?

A :       En effet, j’eus rétrospectivement cette chance.

Q :       Racontez-nous un peu comment cela s’est passé.

A :       Et bien ce jour là, comme chaque jour, nous étions en classe. Un de nos professeurs était malade et nous attendions. Nous savions qu’un nouvel arrivant avait été recueilli par le Père Supérieur pendant une promenade sur le fleuve au cours de laquelle il l’avait sauvé des dents acérées des crocodiles.

Q :       Mais vous ne saviez pas à l’époque qu’il s’agissait de Tintin ?

A :       Nous le savions d’autant moins que, contrairement à ce qu’indiqua Hergé dans sa biographie romancée de Tintin, aucun de mes petits camarades ni moi-même n’en connaissions l’existence.

Q :       On croit pourtant comprendre à la lecture de l’album que beaucoup d’entre vous le connaissaient ?

A :       Liberté d’écrivain, j’imagine. Le Roman a des exigences qui peuvent lui permettre de prendre des aises avec la vérité, qui n’est pas toujours palpitante.

Q :       Voulez-vous dire par là que bon nombre d’évènements sont fictifs, qu’il y a eu falsification ?

A :       Loin de moi cette idée ! Non .. Je crois savoir au contraire que, pour l’essentiel, les Aventures vécues par note héros, du moins au Congo, sont conformes à la réalité.

C’est sur la forme surtout que l’auteur a donné libre cours à sa fantaisie créatrice. Il a donné au récit une forme suffisamment fantasque et humoristique pour que chacun puisse y trouver son plaisir, je crois.

En fait, les tribulations de Tintin dans notre pays furent à bien des égards bien plus dramatiques et dangereuses que ne veut bien le laisser montrer le livre qui les relate.

Q :       Revenons en à la mission …

A :       Oui ! Et bien, comme nous le disions, nous ne connaissions pas Tintin. Sa première Aventure nous était parfaitement inconnue. Il faut se rappeler que les communications de l’époque étaient très faibles comparativement à ce qu’elles sont devenue dans le Zaïre moderne que nous avons fait. Je dois dire que par la suite, il eût toujours la gentillesse de nous faire parvenir le récit de ses aventures au Congo recueillies par son biographe, puis chacun de ses albums suivants. En fait, il ne nous avait pas oublié.

Q :       Le contact fût-il chaleureux ?

A :       Nous fûmes surtout surpris par la jeunesse de ce professeur sans robe et sans barbe, ainsi que par sa tranquille assurance.

Q :       Vous rappelez vous de cette leçon ?

A :       Oui, oui ! Bien sûr !! Il s’agissait d’une leçon de géographie ..

Q :       Je crois pourtant me souvenir d’une leçon de calcul ?

A :       Ah Non ! Non ! (Rires) La leçon portait sur la Belgique, notre Mère Patrie ! Si, Si, je vous assure !!!

D’ailleurs, les premières éditions de la biographie « congolaise » de Tintin rapportent fidèlement cet épisode. Ce n’est que par la suite, pour des raisons de cohérence culturelle, voire de mauvaise conscience, que la leçon de géographie fût remplacée par une simple leçon de calcul. Vous voyez que je cultive ma Tintinologie à mes heures perdues !

(Rires)

Q :       Pensez-vous, Excellence, que Tintin fût raciste ?

A :       Non ! Evidemment non ! Je m’élève en faux contre une telle affirmation. C’est méconnaître l’Histoire ! Il est absolument essentiel de ne pas avoir de celle-ci une vision manichéenne et totalitaire.

Nous autres, noirs chantres de l’Afrique et de la Négritude sommes surement les mieux placés pour juger de ce qui est racisme, et de qui fût raciste.

Q :       L’image donné de votre Peuple ne frisait-elle pas pourtant la caricature ?

A :       Si elle frisait la caricature, c’est que notre peuple a, et continue par certains côtés, de fonctionner comme une caricature : celle de la société Occidentale. Et que dans ce cadre, les responsabilités sont partagées, même si notre Culture n’était fondamentalement pas prête à affronter équitablement le choc de l’Occident.

Ainsi Tintin, fût-il le témoin autant que le témoignage de son temps, de ses tares comme de ses mythes. Le lui reprocher reviendrait à ne donner de valeur qu’au témoignage « objectif », comme si cela pouvait exister, comme s’il était possible de se libérer des schémas de comportements, qui eux sont toujours contingents.

Q :       Vous vous montrez là un farouche défenseur de notre personnage ! Ceci, venant de votre bouche semblerait certainement paradoxal à l’ensemble de ses détracteurs ?

A :       Je ne suis pas sûr que cela soit aussi paradoxal qu’il ne semble. Je crois que Tintin a toujours été un être dépourvu d’arrière pensée. Et même si ses premiers contacts avec le Monde Africain fûrent schématiques à bien des égards, sa très grande jeunesse en étant pour l’essentiel la cause, il a su rapidement développer une vision humaniste du monde et de ses civilisations. A partir de ce moment, il a inlassablement su user de son image autant que de son action efficace pour oeuvrer pour les grandes causes. Dernièrement encore …

Q :       Excusez-moi de vous interrompre.. L’auriez-vous rencontré récemment ?

A :       Récemment non. Mais la dernière fois que je le vis, ce fût lors d’une Conférence Extraordinaire de l’UNESCO où il était invité en tant que conseiller pour les problèmes du Tiers-Monde, qu’il connaissait admirablement !

Q :       Vous semblez à l’évidence avoir de l’admiration pour le personnage. Croyez-vous que cette rencontre d’enfance avec Tintin vous ait marqué et ait été d’une importance particulière pour la suite de votre vie ?

A :       C’est difficile à dire … Le contact fût si bref .. Comment en déterminer les conséquences ? Mais l’important n’est là ! Un homme se forge toujours son destin, il n’est pas un objet balloté par les évènements, j’aime à le croire.

Non ! Mais ce que je veux dire, c’est que je me reconnais dans l’action de Tintin, j’en suis tout à fait solidaire même.

Il y a une candeur, une innocence, une si profonde humanité dans le personnage, qui en fait certainement sa force et sa popularité.

En ce sens oui, dans la mesure même où je participe à la destinée des hommes de ce continent extraordinaire, j’aimerais être un Tintin Noir.

Q :       Excellence, je vous remercie …

 

 

Propos recueillis par Dominique SCIAMMA
Et diffusé sur FG au printemps 1984.

 

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