In « Les Dossiers de l’Abécédaire parlementaire », 4e trimestre 2003
Par Laurent Cervoni et Dominique Sciamma Fondateurs de Cervoni Conseil, société de conseil en E-Stratégie dédiée à l’aménagement numérique du territoire
Nanotechnologies, Biotechnologies, Micro-électronique, … : voilà les nouveaux champs du savoir pour lesquels les outils de numérisation, et de création numérique sont devenus absolument indispensables. La création de très grandes d’infrastructures numériques et de services associés, pôles d’attraction et de création de valeur, s’avère alors un projet politique qui dépasse chaque nation individuellement.
L’Europe a besoin d’un projet communautaire ambitieux qui réponde aux enjeux de l’Économie Numérique, lui permettant maintenir et renforcer son poids économique et faire progresser son modèle social, sous peine de laisser l’initiative à l’Asie ou aux Etats-Unis.
De même que les infrastructures routières dépendent de la puissance publique, les infrastructures numé- riques doivent aussi relever de sa sphè- re, afin de ne pas dépendre d’objectifs de rentabilité à court terme. Seule la collectivté est donc à même de faire l’effort d’investissement nécessaire pour créer ces infrastructures. Si les services relèvent du secteur marchand, concurrentiel par essence, les « Autoroutes de l’Information » doivent constituer un service public.
Dès le début des années 90, Al Gore, en lançant le concept d’Autoroutes de l’Information, fixait pour objectif de conquérir des parts de marché et de relancer l’économie américaine. Le terme « Autoroutes » faisait explicitement référence à un des grands projets du New Deal qui facilita les interconnexions autoroutières entre les États, et, en fluidifiant les échanges, mit à disposition services et marchandises à moindre coût sur tout le territoire.
La création d’infrastructures européennes numériques à Très Haut Débit en fibre optique tient de la même ambition : la mutualisation des coûts, la cohérence des protocoles et des infrastructures, entraînent une baisse automatique des frais des équipements et de maintenance, et permettent l’émergence de nouveaux services à des coûts accessibles pour tous, engendrant par surcroît de nouveaux emplois, instaurant ainsi un cercle vertueux.
En France, le récent débat sur la Loi de confiance en l’Économie Numérique, la volonté de France Télécom d’engager les départements dans une Charte haut débit ou encore la variété des expérimentations financées par les Régions ou l’Europe démontrent une prise de conscience des enjeux. Il est donc impératif de définir une stratégie qui évite l’éparpillement des énergies et des financements, qui mutualise les coûts en imposant des standards, et qui anticipe les besoins pour les 20 prochaines années. Le choix de la fibre optique, moyen de transport homogène et très performant, était déjà dans les conclusions du rapport Thery, rédigé à la demande du gouvernement il y a 10 ans.
Si les stratégies et les déploiements d’infrastructures numériques ne peuvent se faire qu’au niveau Européen, il est aussi impératif qu’elles favorisent les initiatives locales et projets régionaux. Deux exemples illustrent cette analyse : Le projet Pau Broadband Country, et celui du ¨Pays Vendomois. Le réseau Pau Broadband Country, ouvert le 13/04/2004, démontre qu’une ville à Très Haut Débit crée de nouvelles richesses. Pour un coût forfaitaire, les habitants téléphonent, accèdent à Internet à haut débit, ou encore à un catalogue de 2500 films téléchargeables sur le réseau.
Réalisé sous l’impulsion du Sénateur Maire A. Labarrère, ce projet crée un pôle attirant des entreprises de dimensions mondiales et favorise l’emploi. De son côté le Pays Vendômois, région rurale, a voté à l’unanimité la création d’un projet similaire. La stratégie est de contrebalancer le poids de Paris, d’attirer des entreprises en mettant à leur disposition des outils de communication inégalés et d’offrir aux habitants les élé- ments d’intégration dans la société de l’information tout en continuant d’habiter en milieu rural. Ces projets qui relèvent à la fois d’une volonté de réaménagement du territoire et d’une stratégie de développement économique ont besoin d’une stratégie globale dans laquelle s’inscrire.
A chaque époque ses défis. La Politique Agricole Commune a permis en son temps à une Europe volontariste de remodeler et de moderniser sa filière agro-alimentaire. Aujourd’hui, seule une « Politique Numérique Commune » est en mesure de faire entrer l’Europe dans la société de l’Intelligence, c’est à dire de lui offrir les perspectives d’un développement économique durable – cocktail vertueux de valeur ajoutée et d’emplois très qualifiés – et de consolider en le modernisant son modèle social, où, plus que jamais, l’implication active des citoyens est nécessaire.