(octobre 2003)
18 mois après que nous ayons quitté le pouvoir, deux échéances électorales, européenne et régionale, viennent nous rappeler, enfin, la nécessité urgente d’articuler et de défendre auprès de la population un projet socialiste alternatif à celui mis en œuvre par la droite au pouvoir.
Si celui de cette dernière est clair (réforme libérale et clientéliste tous azimut en matière économique, précarisation accrue au niveau social) et gagne en impopularité, celui du Parti Socialiste – qui devrait a priori trouver ses racines dans la motion majoritaire du dernier congrès – est pour le moins inaudible, non seulement auprès de l’électorat mais aussi auprès de ses militants, ce qui est aussi grave.
Quel discours pouvons nous alors tenir, maintenant, autour de nous pour regagner au moins la confiance populaire à défaut du pouvoir ? Et quels sont les grands principes sur lesquels le construire ? Nous suffit-il de parler de solidarité, de partage, des « grandes valeurs » qui ont fondé la gauche ? Nous suffit-il de réagir ponctuellement sur tels ou tels effets des choix gouvernementaux ? Faut-il encore surfer sur les vagues de l’altermondialisation et de ses entristes gauchistes ? Nous mesurons tous les jours, autour de nous, dans les journaux, dans les sondages, l’insuffisance ou l’inanité d’une telle démarche pour nous qualifier aux yeux de l’opinion. Il me semble au contraire plus que jamais nécessaire de tenir un discours courageux, clair et radicalement moderne.
Qu’est ce qu’une modernité radicale ? C’est l’affirmation haute et assumée de principes de base, qui ne sont aujourd’hui qu’admis, honteusement ou inconsciemment , et sans lesquels il sera vain de revenir au pouvoir.
- Nous vivons dans une société ouverte. Cette société ouverte implique l’autonomie et la responsabilisation des individus, en matière économique et politique. Elle implique aussi une interdépendance accrue entre les organisations humaines, comme les états. Cette ouverture induit une complexité organisationnelle et donc politique qu’il faut assumer et expliquer plutôt que de la nier.
- L’économie de marché est consubstantielle de la démocratie. Parce que cette société ouverte implique et nécessite pour survivre et se développer des formes d’activités économiques individuelles ou collectives libres, où plus que jamais l’intelligence est la clé des réussites. Intelligence à l’œuvre à tous les niveaux d’organisation et liberté sont aussi les caractéristiques d’une démocratie moderne et vivante.
- Les droits de tout homme à ses sécurités sont imprescriptibles. Intégrité physique, morale, sociale, économique et politique : c’est sur ce terrain là des insécurités qu’il nous faut nous battre. Ce sera le devoir, la spécificité et l’honneur des socialistes de les défendre tous.
- La régulation est une activité politique majeure, noble et nécessaire. L’économie de marché dans une société ouverte implique la mise en place de règles de vie collectives garantes de toutes les libertés : physiques, morales, sociales, économiques et politiques. C’est plus que jamais le rôle juste, noble, assumé, et au bout du compte unique, du politique, à tous les niveaux d’organisation, que d’édicter ses règles et de veiller à leurs mise en œuvre effective, au plus près des évolutions de la société.
En quoi cette affirmation de la modernité est-elle radicale ? Elle l’est déjà parce qu’elle prend à contre-pieds certains réflexes intellectuels de gauche archaïques, ne serait-ce que par rapport à l’économie de marché. Elle l’est encore parce qu’elle combat le nouveau populisme « de la gauche de gauche » qui se nourrit des peurs nées de la prise de conscience des premiers principes édictés plus haut, en affirmant au contraire l’importance de la prise en compte de la totalité d’entre eux, totalité sans laquelle un projet politique ne pourrait être au mieux que bancal, au pire injuste. Elle l’est enfin, parce qu’elle est adaptée à la société du XXIème siècle, mondialisée, en développement général, où les démocraties progressent partout, et où enfin une Europe politique va tôt ou tard émerger comme puissance politique, économique et morale sur l’échiquier mondial.
Comment alors s’appuyer sur ces principes pour affirmer publiquement notre projet ? Je prendrais deux exemples, particulièrement d’actualité : la relation avec l’extrême gauche et l’Europe.
S’appuyant sur les peurs de la société ouverte, l’extrême gauche, et ses cortèges associatifs, fait systématiquement le procès de la gauche de gouvernement au motif, justement, qu’elle gouverne et qu’elle accepterait de fait les règles de l’Ultra-libéralisme. Ne pas assumer les 4 principes précédents ne peut que nous mettre dans une position de repentant chronique vis-à-vis de ce reproche. Leur affirmation courageuse, au contraire, nous permettrait d’inverser les termes du procès en imposant à l’extrême gauche la démonstration de la preuve de l’efficacité de ses « propositions » quant au respect de ces principes. C’est à nous de mener le débat, c’est à nous de mettre ces organisations, leurs dirigeants, et leurs électeurs devant leur incapacité de réformer la société en refusant d’exercer le pouvoir au sein d’un monde ouvert. En résumé, il appartient au parti socialiste d’imposer l’agenda du débat, à gauche et plus largement dans la société française, plutôt que de réagir sur des termes qu’il ne maîtrise pas.
L’Europe est quant à elle le terrain patent de nos errances idéologiques, alors qu’elle devrait être au contraire le lieu idéal de l’affirmation de nos principes, voire celui majeur même de notre projet politique, au détriment du seul niveau national. Comment ? En affirmant haut et clair que le projet politique de l’Europe ne peut être que fédéral, parce que la somme des politiques nationales ne peut en aucun cas aboutir à un projet adapté à une société européenne à 25 (et demain à plus) ouverte et juste. En appelant à voter clairement oui au projet de constitution européenne proposée par la convention, en restant ainsi un acteur déterminé d’une construction européenne que rien ne doit retarder. Prétendre, sur ce dernier point, que le projet engagerait l’Europe dans une dérive libérale est non seulement faux, mais risible, tant cela revient à confondre institutions et politiques. Faut-il rappeler que François Mitterand a présidé au destin politique de la France pendant 14 ans sans changer une seule ligne d’une constitution qu’il qualifiait au moment de sa création de « coup d’état permanent » ? Ce qui n’a nullement empêché les gouvernements de gauche de l’époque de mettre en œuvre leurs choix politiques.
Pour emporter la confiance de nos concitoyens, il faut donc à la fois compter sur leur intelligence et sur la force de nos convictions. Celles-ci n’ont pas à être frileuses, passéistes, ou suivistes mais à la fois fortes, claires, et courageuses. Assumons, donc et affirmons les premiers, sinon les seuls, un projet de société ouverte, entreprenante, et respectueuse de toutes les libertés individuelles et collectives. Nous en serons les meilleurs pilotes.