Il y a 300 ans le mouvement des Lumières lançait le grand projet de la modernité, celui de la libération des croyances, de la lutte contre l’ignorance, et de la contestation d’un ordre social et politique construit sur des réalités vues, ou désirées, comme immuables.
Filles des Lumières, les révolutions technologiques, industrielles, économiques, sociales et politiques ont accouché d’un monde longtemps plein de certitudes, et maintenant incertain, instable, ouvert comme jamais – et de son étrange double numérique. Un monde où les aspirations de liberté engendrent de l’ordre et de la violence, de la création et de la destruction, de l’élégance et de la vulgarité, de la richesse et de la pauvreté, du cynisme et de l’irénisme.
Nous en sommes de fait à un point où certains se posent alors en critiques de ce mouvement né il y a 300 ans, « Contre les Lumières ». Que vaudrait en effet la quête par chacun du savoir et de la raison quand ce savoir et cette raison n’engendreraient que du désordre ? Que vaudrait cet objectif d’émancipation si le prix à payer serait le désordre du monde ?
La réponse tient dans une apostrophe.
Ou de son absence.
S’émanciper.
Se libérer du joug paternel, du diktat familial, des conventions sociales, des habitus, du politiquement correct, des codes moraux, des interdits des églises, de l’arbitraire du patron, du pouvoir de l’Etat, de l’héritage des valeurs, du poids de l’histoire, du devoir de mémoire, de la culpabilité du corps, des pêchés de l’ascendance, de la responsabilité de la descendance, du temps, et même de la mort.
Il faut jouir sans entrave, il est interdit d’interdire, et nul ni rien ne peu se mettre en travers d’une quête individuelle et égotiste effrénée. Partir à la recherche de soi, envers et contre tout, faire de sa propre identité l’Alpha et l’Omega de toute construction, le barycentre de toute représentation, l’aune de toute mesure. Solipsisme, égoïsme, individualisme, hédonisme, arrivisme et même Transhumanisme sont les avatars caricaturaux de cette quête de soi, en soi, par soi, pour soi.
Que l’apostrophe tombe et tout s’éclaire.
Emanciper.
Accompagner un mouvement, illustrer une démarche, éclairer le monde, donner l’accès au savoir, encourager la critique, montrer le chemin, pousser à prendre des initiatives, inciter au risque, rassurer dans ses échecs, stimuler la créativité, pousser à l’empathie, voir dans l’autre un autre soi.
Bref, éduquer.
L’émancipation n’est pas un vain mot quand elle est pensée comme un fait et un objectif social. Ce sont les autres qui nous émancipent et qui nous poussent tout autant à la liberté qu’à la responsabilité. C’est parce que j’émancipe que je m’émancipe et c’est parce que JE suis un autre que cette émancipation m’est promise.
L’émancipation ne se prend donc pas, elle se donne, et ce cadeau, très lourd cadeau, est la condition d’une société d’égaux reliés entre eux par cette promesse de liberté consentie par tous à chacun.
L’émancipation est donc la condition de nos réussites collectives. Loin de l’affirmation simpliste d’une société d’acteurs indépendants, et qu’un néo-libéralisme mourant tente de nous vendre encore, c’est dans l’articulation de projets personnels et celui d’une société qui les encourage.
Il est une formule, si simple et si puissante pourtant, qui résume à la perfection cet entrelacement de responsabilité individuelle, de la symétrie de nos droits et de la nécessité de nos solidarités, qui créé les conditions de l’émancipation et qui paradoxalement en émane.
Et cette formule est : Liberté, Egalité, Fraternité.
Lire, ici l’article original dans la Revue du Cube