Interview du Grand Lyon sur la robotique de service (2011)

Dominique Sciamma partage avec nous sa vision des robots de demain. De formes multiples, ils auront des comportements, contribueront à notre bien-être et développeront avec nous de véritables relations. En bref, Dominique Sciamma annonce un monde radicalement neuf où les objets sont susceptibles d’être nos égaux et où ces nouvelles relations appellent des nouvelles responsabilités pour les concepteurs, les dirigeants, les penseurs, les utilisateurs… Enfin, s’appuyant sur des projets d’étudiants du Strate College, il nous montre combien les designers savent se saisir de ces nouveaux enjeux et représentent des alliés indispensables de la robotique de service. Cette interview s’inscrit dans le cadre d’une large étude sur la robotique de service conduite par la Direction de la prospective du Grand Lyon et son réseau de veille.

Propos recueillis par Caroline Januel le 4 juillet 2011

La robotique de service : la rencontre de l’offre et des usages

Quelles tendances sociales favorisent ou favoriseront à l’avenir la diffusion des robots de services ? Existe-t-il une demande de robots ?

Je ne pense pas qu’il y ait une demande de robots. Le robot renvoie d’abord à l’imaginaire et je ne suis pas sur que les gens soient en demande de robots tels qu’ils les imaginent. Les œuvres de fiction l’illustrent bien, le robot n’y est pas l’ami de l’homme en général. Quand vous me dites robot, moi je pense plutôt à une chaise, une étagère, une poubelle, une lampe… à des objets qui ne sont pas vus en général comme des robots. Je n’oublie pas pour autant que ces objets permettent de m’asseoir et de travailler, de ranger mes livres et de les consulter, d’éclairer mon bureau ou la pièce entière… en bref, ce sont les usages des objets qui m’intéressent. Je crois davantage à une promesse robotique généralisée : les robots seront partout, là où on ne les attend pas, sous des formes que l’on n’imagine pas, assurant des services que l’on ne soupçonne pas. Une chaise par exemple détectera mon humeur et sera susceptible de délivrer ma musique préférée au bon moment, celle que je n’arrête pas d’écouter sur deezer. Mon étagère me rappellera que j’ai acheté ce livre depuis un moment et que je n’ai pas encore pris le temps de le consulter en me projetant un extrait du texte sur le mur de mon bureau, etc.

Quelle est votre définition d’un robot ?

Pour moi, un robot est un objet qui perçoit son environnement, qui en a une représentation, qui en tire de l’information, et sur la base de cette information, prend des décisions et met en œuvre des actions. Ma machine à pain n’est donc pas un robot.

Les 1ères études sur les portables dans les années 1990 montraient que les personnes n’en exprimaient pas le besoin, ni même l’envie. Quels usages pourraient conduire les robots à être aussi présents dans nos vies que les téléphones portables aujourd’hui ?

On a envie d’être bien, on a envie que les objets qui nous entourent soient porteurs de services, aient des comportements adaptés, qu’ils nous apportent attention et confort. Contrairement aux concepteurs et promoteurs du robot humanoïde, je suis convaincu que l’éducation à la robotique se fera à partir des objets du quotidien. C’est pourquoi on les appelle des « robjets » au sein de Strate Collège. C’est par ce biais-là que les usages vont s’imposer et que l’on va trouver normal d’avoir chez soi de tels objets. Ils nous apporteront du confort, des services, de la facilité, de l’adéquation. Bien sur, ces besoins seront induits par la technologie et l’acculturation. Comme cela s’est passé pour les TIC, nos envies vont croître au rythme de notre éducation. Au sein de Strate Collège, nous formons des futurs designers d’objets intelligents parce que nous pensons qu’il y aura une demande non pas de robots, mais d’usages intelligents, voire magiques parce que adéquats, ici et maintenant, là où j’en ai besoin. Il peut s’agir d’un banc public, d’une voiture, d’une chaise, d’une route, d’une poubelle, d’un réverbère… Il y aura une forme de continuité avec les usages existants, mais avec cette dimension magique en plus que vient apporter la robotique.

Quels leviers peuvent favoriser la diffusion de la robotique de service ?

Pour moi, le principal levier pour la diffusion de la robotique de service est et sera les objets du quotidien. Je ne crois pas vraiment à l’effet levier de l’appropriation, de la personnalisation, ou encore de la co-conception. L’enjeu n’est pas là. Je ne suis pas sur que choisir telle ou telle application pour son smartphone soit si déterminant que cela : il s’agit juste de choix d’appropriation. Je le taille à ma mesure, à mes besoins. Si je m’intéresse à la bourse, je choisis des applications permettant de suivre les cours de la bourse, la presse financière, etc. Je m’approprie mon téléphone et il me ressemble. Si je personnalise mon téléphone, je pense l’objet comme une extension de moi-même, je m’exprime à travers lui… ce n’est pas non plus ce qui se joue avec un robot. Enfin, la co-conception n’a pour moi strictement aucun enjeu. Cela n’a pas d’intérêt parce qu’un robot n’est pas un ordinateur ou un objet : le robot implique une relation.

C’est la relation qui s’instaurera entre l’homme et le robot qui déterminera son acceptation ?

Depuis toujours, l’homme est en interaction avec les objets pour des raisons fonctionnelles essentiellement. Il s’agit d’une relation de contrôle, de commande : j’appuie sur un bouton ou je l’actionne et il me délivre une fonction. Les objets « numériques » d’aujourd’hui n’échappent pas à cette réalité, et les interfaces représentent les formes les plus sophistiquées de ces contrôles. Les objets intelligents captent activement les informations relatives à leur environnement (physique, humain et autres objets), mais ils adoptent des comportements en fonction de ces informations : adaptation à l’utilisateur et à l’environnement. Plus que des fonctionnalités, les objets qui nous entourent vont désormais avoir des comportements. Le fait que ces objets soient caractérisés par leurs comportements, et non plus par leurs fonctionnalités va changer la nature du rapport entretenu avec les hommes. L’objet intelligent ou robot n’est plus un outil qu’on pilote, mais un acteur qui s’intéresse à nous, et cherche à délivrer ses services sans que nous ayons à lui demander. Nous allons donc entrer en relation avec ces objets. Pourquoi ? Parce ce qu’ils font attention à nous, nous prennent en compte et agissent sans nous consulter. Que les objets fassent attention à nous va tout changer car la relation va se symétriser. C’est de la qualité de cette relation-là que va dépendre l’acceptation de ces objets si singuliers. Dans la mesure où je les sens amicaux, attentifs à moi et à mon bien-être, je ne vais sans doute plus pouvoir m’en passer comme je ne peux plus me passer de mon smartphone (alors qu’il n’en fait pas autant pour moi). Comment ne pas aimer un objet participant activement à votre bien-être.

Quels sont les principaux freins à la diffusion des robots de service ?

Le 1er frein serait que le robot soit mal conçu. Il y a un enjeu de design énorme parce qu’il s’agit d’objets jamais vus et inattendus, qui s’investissent dans une relation. Il faut que cette relation soit bonne : je ne dois pas craindre ma poubelle, le banc public, ma lampe, etc. Il va donc falloir inventer un nouveau métier : des designers d’objets interactifs attentifs à la construction de cette relation. Et cela peut complètement échouer : un robot cubique métalliques aux arêtes saillantes ne sera pas considéré comme sympathique a priori, un robot humanoïde parfait n’est peut-être pas la meilleure forme pour un robot destiné à des humains car il peut mettre mal à l’aise. Il faut sortir des sentiers battus quant à la formalisation de ces objets et de l’imaginaire qui y est attaché. Se tourner vers des objets softs car il s’agit d’objets du quotidien : les formes et les matières contribueront à en faire des objets doux. Ensuite, vouloir aller trop vite pourrait constituer un frein à la diffusion de la robotique de service : brutaliser l’usager en confondant sa volonté de concepteur et de geek et celle de l’usager. Le risque est de penser que parce que l’on travaille sur des objets enthousiasmants, tout le monde partage notre enthousiasme… ce n’est pas le cas ! Un autre risque est la « gadgétisation » c’est-à-dire inventer des objets emblématiques mais inutiles et oublier la démarche du designer qui est d’observer, d’interroger, de tester… Nous devons enfin nous méfier de notre imaginaire. L’imaginaire associée aux robots est très riche et ancien. Il est né, dans sa dimension technologique avec les automates il y a deux siècles, il est alimenté et stimulé par les robots de fiction, etc. Cette mythologie est encore très forte, il faudra peut-être s’en séparer un peu, pour revenir à quelque chose d’anodin, et non anecdotique, grâce aux objets du quotidien. Ces objets favoriseront l’habituation : nous nous habituerons à ce qu’ils prennent des initiatives, cela ne sera plus exceptionnel et n’occasionnera plus de réaction d’étonnement, d’enthousiasme ou de rejet de notre part.

Robots, objets intelligents, objets interactifs… de nouvelles relations et de nouvelles responsabilités

Les robots sont-ils si singuliers ? S’agit-il d’une révolution ou d’une évolution qui s’inscrit déjà dans l’histoire ?

Il n’y aura pas de rupture, il s’agit plus d’une évolution douce. Nous pouvons comparer à ce qu’il s’est passé avec l’informatique. A la fin des années 1970, l’informatique des grands systèmes est née avec des machines et des programmes conçus par des informaticiens et des électroniciens pour d’autres informaticiens et électroniciens. Avec l’invention du PC en 1981 (la machine d’IBM), ce marché s’est complètement transformé puisqu’il s’est ouvert à plusieurs millions de personnes, qui n’étaient pas des informaticiens, mais des comptables, des commerçants, des enfants, etc. Les PC sont devenus peu à peu des objets du quotidien dans les années 1990 : c’est une évolution fantastique qui s’est étalée sur une vingtaine d’années. L’arrivée d’internet, à partir de 1995 en France, a accentué un peu plus ce phénomène. Cela se passera probablement comme cela pour les robots : le « PC de la robotique », le 1er robot, le robot emblématique, « l’Adam » des robots trouvera sa place dans nos maisons et rien ne sera plus comme avant. Ce robot sera peut-être une chaise, un jouet ou un autre objet, je l’ignore, mais je ne pense pas qu’il sera un robot humanoïde.

On a parfois le sentiment que la technologie et les usages vont plus vite que le cadre légal ou le débat éthique… N’y a-t-il pas urgence à réfléchir collectivement à la question : souhaitons-nous vivre avec des robots et en lien permanent avec un réseau intelligent ?

C’est évident, mais cela dépend aussi des pays. Certains se sont saisis du problème comme la Corée par exemple qui réfléchit au cadre légal, aux droits des utilisateurs et des robots. La France est un pays assez rétrograde dans son rapport à la technologie et manque d’anticipation en général. Sur cet aspect-là, je suis assez pessimiste sur les capacités de notre pays à comprendre ce qu’il se passe au niveau des nouvelles technologies. Je me félicite que le Grand Lyon s’intéresse à ce sujet et fasse cet effort là. Le e-G8, consacré aux enjeux d’Internet, a eu lieu en mai 2011 : on peut bien-sûr se réjouir que les plus grandes puissances économiques se saisissent de ces enjeux, mais le font-elles bien ? N’est-ce pas un peu tard ? Quelles en sont les conclusions ou les répercussions sur la déclaration finale du G8 ? Elles paraissent bien minces. Quant à la robotique, il faut s’en saisir dès maintenant, avec humilité, curiosité et une forme d’iconoclasme. Il faut être fou pour rêver des usages, cela ne peut pas être pensé en continuité de ce qui existe car sinon, on risque de faire comme les cinéastes de science-fiction des années 1950 qui pensaient les ordinateurs du 21e siècle avec des cartes perforées. Il va falloir être très créatif. Et en général, les gens qui nous gouvernent ne le sont pas. C’est pourquoi il faut interpeller les instances de gouvernance et de régulation, faire du lobbying, créer des syndicats comme Syrobo1 , communiquer, éduquer, démontrer par l’affluence comme l’a fait le salon Inno-Robo en mars dernier à Lyon… il faut aussi travailler en direction de la population : la faire rêver, parce qu’il y a une part de magie dans ces objets, et la faire réfléchir, parce que ces objets appellent de nouvelles responsabilités.

Quelles sont ces nouvelles responsabilités suscitées par les robots ?

Il y a tout d’abord la responsabilité du concepteur : celui-ci conçoit un objet qui va prendre des initiatives, apprendre et qui sera donc susceptible de se tromper. Et il ne s’agit pas d’un seul objet mais d’un objet inter-connecté à d’autres : ce n’est pas juste un robot mais un élément d’un réseau. Les robots auront des comportements unitaires mais également combinatoires et systémiques. Le concepteur sera incapable de tout envisager et de tout maîtriser. Nous devons donc être transparents face aux risques possibles. Il y a aussi la responsabilité de chacun face à la prolifération possible des robots dans notre société du gaspillage et du futile. Trop d’objets est un problème mais imaginez trop d’objets qui prennent des initiatives… Ils constitueront un réseau d’objets complexes (aussi nombreux que nous) donc peu maîtrisables. Ceci est un très beau sujet de réflexion pour les designers, les sociologues, les philosophes, les politiques… Nous essayons dans notre école de réfléchir à ces enjeux. Les concepteurs et promoteurs de la robotique doivent répondre à l’enjeu d’éducation du public, via des expérimentations, des expositions, des documentaires, des jeux, etc. Mais il faut aussi qu’ils dialoguent avec les hommes politiques, les sociologues et les philosophes pour répondre à l’enjeu du vivre ensemble qui est complètement modifié par ces objets qui rentrent en relation avec nous.

L’espace public n’est-il pas le terrain d’expérimentation idéal pour les « robjets » ?

L’espace public est un espace fantastique pour cela car il contient des objets qui appartiennent à tout le monde : le mobilier urbain. On est dans l’affirmation explicite du vivre ensemble car le mobilier urbain y concourt. On est loin de la logique : « ma » voiture, « mon » vélo, etc. mais dans une logique de service public. On court-circuite donc un certain nombre de débats relatifs à la demande de robots, à la question de faire entrer ou non un robot chez soi, etc. car on est dans le partage et ces objets sont au service de tous. Lors de la dernière édition du Festival Futur en Seine, nous avons présenté un mobilier urbain robotisé exprimant le théâtre de Marivaux : « le Jardin des Amours »2 . Ce projet, conçu par Florent Aziosmanoff, est développé conjointement par le Cube3 , le Strate Collège et le Criif4 . Le Jardin des Amours est composé d’un banc, d’un luminaire-parasol et d’une poubelle proposant bien sûr les services attendus (s’asseoir, obtenir de la lumière ou se protéger du soleil, jeter des déchets), mais aussi des services numériques (wifi, bluetooth…) et des services qu’on n’attend pas : ils peuvent vous prendre en photo, vous la proposer, vous inviter à jeter votre canette, etc. Ils évoluent librement, perçoivent leur environnement et leur entourage par des capteurs et sont capables de s’exprimer par des signaux lumineux et sonores et au travers de leurs déplacements, mouvements et vibrations. Ce mobilier peut donc en permanence se répartir dans l’espace de manière optimale, selon les besoins des usagers : se reposer dans un endroit calme à l’ombre, profiter au contraire de l’endroit le plus animé, avoir une conversation intime à deux, regrouper des bancs pour un groupe, etc. En prenant des initiatives, en anticipant des besoins, en se mettant en avant ou en restant en retrait, les mobiliers du Jardin des Amours créent des relations entre eux (parce qu’ils se reconnaissent) et avec les usagers. Les objets marivaudent car leurs comportements ont été construits en s’inspirant du théâtre de Marivaux où les relations humaines, et en particulier amoureuses, sont centrales. En d’autres termes, ils mettent en scène les relations humaines : séduction, complot, jalousie, pouvoir, rejet, etc., et « s’humanisent ». La relation avec eux peut se développer très facilement comme nous le constatons à chaque expérimentation. Et grâce à ce dispositif, nous reposons une question fondamentale : face à cet autre, qui suis-je ? Ce dispositif est une bonne illustration de votre question : l’espace public, parce qu’il est partagé, régulé, parce que les règles sociales y sont à l’œuvre, est un excellent terrain pour expérimenter des relations avec des objets intelligents. Bien sûr, cela sous-entend que la puissance publique soit garante de leurs comportements : il ne s’agit pas de faire peur aux personnes âgées ou de provoquer les enfants…

A quels risques nous exposent potentiellement ces objets intelligents ?

Ces objets perçoivent l’environnement et donc chacun d’entre nous : ils sont potentiellement les témoins permanents de nos vies ! Tout ce que je fais pourra donc être connu d’un réseau intelligent… Cela renvoie aux débats tout à fait légitimes sur la vidéosurveillance, les traces laissées sur internet, les technologies sans contact. Comment faire en sorte que la liberté, l’intimité et l’anonymat des individus soient respectés ? Comment veiller à ce que ces informations ne servent pas des intérêts mercantiles ou partisans. Cela représente un énorme travail pour le législateur qui doit jouer le rôle de régulateur. La technique peut aider à brider, limiter, par exemple en détruisant les informations après un certain temps, mais n’apportera pas de solutions suffisantes : la réponse est clairement politique. De notre rapport aux systèmes interactifs et aux règles que nous déciderons de mettre, ou de ne pas mettre, en place dépendra la forme de la société humaine.

Pourrons-nous, si nous le souhaitons, nous soustraire à ce réseau intelligent ?

Nous le pourrons, de la même manière que certains échappent à la voiture, vivent sans téléphones portables ou ordinateurs, etc. mais en acceptant peut-être d’être moins visible, moins performant, moins rapide… car notre époque et l’existence d’objets intelligents présupposent d’être relié, joignable, d’utiliser ces outils…

Déléguer certaines tâches à des objets intelligents n’est pas neutre. Ne risquons-nous pas de perdre certaines de nos capacités à long terme et d’en acquérir d’autres ?

C’est une question que l’on se pose à chaque nouvel objet technique ou presque. Elle est un peu vaine dans le sens où elle présupposerait qu’il existe une sorte d’optimum. Or, il n’y a pas de limites : peu importe ce que nous perdons ou gagnons, il s’agit d’une évolution. La réponse est nécessairement dans l’action. De nombreux indicateurs tels que le niveau de vie, le taux de mortalité, etc. montrent que notre évolution est favorable. Nous évoluons mais nous sommes toujours confrontés aux mêmes défis humains qu’il y a 4000 ans : comment vivre ensemble ? Réguler nos passions ? Accéder au bonheur ? La technologie nous aide à cela autant qu’elle nous Direction de la Prospective et du DialoguePublic 20 rue du lac – BP 3103 – 69399-LYON CEDEX 03 http://www.millenaire3.com/ complique la vie, et les robots seront là aussi pour cela.

Devez-vous votre vision des enjeux de la robotique de service à votre parcours professionnel très varié ? Informaticien de formation, vous avez travaillé plusieurs années dans l’intelligence artificielle, vous avez développé de nombreuses activités NTIC, vous dirigez aujourd’hui le département « systèmes et objets interactifs » de Strate Collège, une des premières écoles de design industriel française…

Si je m’intéresse à l’informatique, aux mathématiques et à l’intelligence artificielle, c’est parce que je crois en l’hypothèse suivante : l’être humain, sa conscience, tout cela est juste un phénomène émergent de la complexification de la matière. Nous n’avons pas d’âme, mais nous sommes le résultat d’un long processus complexe d’évolution. Nous sommes une forme de mécanique. Je pense que les robots sont, au-delà de l’intérêt de leurs usages, une manière de répondre à la question philosophique : d’où venons-nous ? Pourquoi sommes-nous là ? Ce qui peut tendre une recherche sur ces objets n’est pas seulement une approche utilitaire mais aussi une approche philosophique. Je fais partie de ceux qui pensent qu’un jour l’humanité sera capable de produire son égal. On n’aura rien résolu pour autant. On fait même cela depuis longtemps… et nous ne comprenons toujours pas nos enfants ! Mais quand l’intelligence artificielle sera réellement à la hauteur de l’intelligence biologique, cela voudra dire que nous sommes capables de produire nos égaux, d’expliquer l’émergence de la conscience, issue de la matière, et donc de tuer définitivement Dieu.

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In I.T., « I » Stands for Intelligence

SIFAI 90 – Kyoto Japan – November 90
Colloque Franco-japonais sur le thème « Harmonie entre Technologie et Culture »

Les technologies de l’information se développent aujourd’hui à un rythme tel que l’on n’hésite pas à en parler comme de « La troisième révolution Industrielle ». Mais quel est le sens de cette proposition : En quoi s’agit-il d’une révolution ? Et est-elle bien industrielle ? Je voudrais dans cette courte présentation avancer et défendre l’idée qu’il s’agit de bien plus que de cela. Que les technologies de l’Information ne doivent pas être considérées comme les dernières nées d’une société dirigée par la technologie mais bien comme les symptômes avant-coureurs d’une autre société, où les valeurs humaines reprendront la seule place qu’elles méritent : la première. Tout simplement parce qu’elles seules pourront dissoudre la complexité croissante à laquelle va devoir faire face notre monde, et qu’elles seules lui permettront donc tout simplement de survivre.

Quand on examine l’Histoire de l’Humanité, on s’aperçoit rapidement que les organisations, sociales, économiques et politiques, émergent dans le seul but de lui assurer sa stabilité structurelle (c’est à dire sa survie), quand elle est confrontée au problème de sa croissance. Car plus que la croissance, c’est bien la survie qui motive les sociétés. De multiples exemples de sociétés qui ne croissent pas -et que l’on dénomme à tort primitives- nous montrent à l’envi que le bonheur ne se mesure pas toujours au taux de croissance.

La maîtrise de l’agriculture a été la première réponse au défi de la survie des groupes humains, et cette révolution a eu un impact social et politique énorme sur nos sociétés. De fait, nombre de Français ou de Japonais vivent encore aujourd’hui avec des valeurs venant de cette révolution. D’un point de vue socio-politique, l’organisation d’un telle société était de nature familiale et communautaire (on dirait aujourd’hui « à taille humaine »). L’effet de bord de cette révolution a été de lui permettre de croître en nombre et donc en complexité. La réponse d’alors à cette complexité a été la révolution industrielle du 19ème Siècle.

Après la production de nourriture, vint donc le temps de la production de machines et de produits. Les impacts sociaux de cette révolution seront évidemment immenses, les formes même des sociétés de ce XXème siècle en étant directement issues. La révolution industrielle a en fait été comme la louve allaitant les fondateurs de la civilisation romaine, Romulus et Remus, mais les rejetons s’appelaient ici Marxisme et Capitalisme. Le XIXème Siècle est aussi le siècle où apparait le phénomène urbain, où naissent les états modernes, où se crée un florissant commerce international. Bref les sociétés se structurent et interagissent.

Un des points les plus importants cette révolution industrielle est sans conteste les diverses places des hommes dans l’organisation qu’elle implique. De fait, la majorité -la classe ouvrière- produisait des biens consommés par une minorité. Cette majorité était donc dans tous les sens du terme exploitée, bien qu’à l’origine de l’expansion incroyable de la société.

Mais dès le début de ce siècle apparurent les premiers symptômes des limites d’une telle organisation. Parce que la logique industrielle est aussi une logique de croissance, il fallait absolument que de nouveaux et grands marchés soient créés. De ce fait, le statut social de la majorité s’est trouvé amplement modifié, puisque de simple producteur, le citoyen des pays industrialisés a dû devenir un consommateur, c’est à dire la cible d’un nouveau marché. Ce statut lui assurait certes un confort matériel nouveau et appréciable, mais il était surtout le moyen d’assurer aux sociétés industrielles la croissance nécessaire à leur survie. Par ailleurs, avec l’apparition du taylorisme, une nouvelle conception du travail s’impose alors, qui contenait certes en elle une logique de déshumanisation, mais qui allait d’abord faire preuve d’une efficacité économique diabolique.

Mais encore une fois, stabilité structurelle a rimé avec croissance. Ainsi, à l’aube du XXIème Siècle, la société humaine, de par sa croissance et sa globalisation, est devenue aujourd’hui si complexe, qu’un nouveau défi est à relever.

Quel est-il ? Ce défi est essentiellement de nature combinatoire. Parce que les démographies sont globalement en croissance. Parce que les moyens de transports et de communications permettent de mettre en oeuvre à un rythme sans précédent des échanges commerciaux et culturels. Bref parce que la société humaine se globalise de plus en plus. Elle ne se trouve en effet plus constituée d’îlots aux destinées indépendantes. Bien au contraire, et au-delà des idéologies mises en oeuvre et des orgueils nationaux, aucun état ne peut aujourd’hui ignorer le reste du monde. Et quand il lui prend l’envie de le faire, il le paye toujours à ses dépens.

Cette complexité, aucune idéologie de ce siècle ou de l’autre ne se trouve aujourd’hui prête à l’affronter. La tentation de croire que la planification était la réponse au défi (« à défaut de comprendre le monde, feignons d’en être les maîtres » disait Jean Cocteau) s’est écroulé un soir de Novembre 1989. De même, l’approche libérale, à tort regonflée par l’événement précédent, donne tous les jours les signes de son immense fragilité.

Ma conviction au contraire est que ce défi, comme tous ceux qui l’ont précédé, va exiger de nouvelles formes de comportements et d’organisations sociales.

On aurait pu croire à tort que la réponse à ce défi était de nature technologique, et que justement, les technologies de l’Information en constitueraient  les fondations. Après la maîtrise de la matière (l’agriculture), puis des objets (l’industrie), puis de l’énergie, ne serait-ce pas autour de la maîtrise de l’Information que se jouerait le sort des sociétés, et ce, qu’elles soient humaines ou économiques ? « Qui contrôlera l’information contrôlera le monde » pourrait-on dire. Et la compétition très serrée que se livrent les nations pour la maîtrise de leur informatique ou de leur filière électronique ne devrait pas être la moindre preuve de cette évidence !

Mais ce serait faire fausse route. Le changement à effectuer n’est pas de nature quantitatif (plus vite, plus haut, plus fort) mais bien qualitatif (autrement). J’ai essayé de montrer, comment, à chaque nouveau défi, celui-ci était résolu en créant de nouvelles formes de comportements, et d’organisation humaines, et comment le rôle des individus se voyait à chaque fois modifié. La première chose que l’on a demandée ou imposée au citoyen a été de travailler fort, puis de consommer fort. La prochaine et inévitable étape sera de lui demander de penser fort. Autrement dit, la stabilité structurelle des sociétés qui a d’abord été basée sur la capacité de l’homme à travailler, puis sur sa capacité à consommer, le sera bientôt inévitablement, sur sa capacité à penser. La réponse au défi est donc inexorablement humaine et a pour nom : l’Intelligence.

Car en effet, le seul moyen de résoudre la complexité est bien de la dissoudre ! Plus personne, plus aucun gouvernement, plus aucun conseil d’administration ne sera bientôt plus capable non seulement de comprendre les situations l’impliquant, mais aussi d’anticiper sur celles-ci (ce qui est la base d’un gouvernement). Ces situations seront en effet trop complexes pour être appréhendées, et donc pour pouvoir être maîtrisées. La seule solution consistera alors à briser les problèmes jusqu’à leur donner une taille humaine, à distribuer les responsabilités et les prises de décisions à d’autant plus de personnes que la situation sera complexe. Une telle méthode exige évidemment que les acteurs impliqués soient en pleine possession de la seule arme nécessaire : leur intelligence. C’est à dire de leur capacité à identifier les problèmes, à proposer des solutions et à prendre des décisions. Ce type d’organisation relève en fait complètement d’une approche parallèle de la prise de décision.

On m’objectera peut-être que la démarche qualité, par exemple, est une parfaite illustration de cette approche. Qu’on se détrompe ! La démarche qualité relève plus d’un taylorisme éclairé que d’un pari sur l’intelligence. La preuve en est donnée dans la bureaucratie que génère régulièrement, sinon systématiquement, l’application d’une telle démarche. De plus, je parle ici d’Intelligence et non de Qualification. Dans Intelligence, j’entends personnellement les mots souplesse, versatilité, adaptabilité, inventivité, ouverture. Parce que le challenge sera bien de faire face à de plus en plus de situations nouvelles et denses, il faudra alors faire preuve de cette intelligence là.

Plus que l’application d’une méthode, cette nouvelle approche est donc un pari sur l’homme. L’intelligence est la seule solution flexible et distribuée au problème de la complexification de notre société. On imagine l’impact social et culturel de cette approche de la complexité. Parce que devant par nécessité être constituée d’une majorité d’individus ouverts et inventifs, cette future société va complètement changer de nature. Loin d’une société sacrifiant ses individus pour ce qu’elle croit être le bien collectif, et tout aussi loin d’une société où la collectivité est sacrifiée sur l’autel de l’individualisme, cette société que je pressens réconciliera individu et collectivité dans leurs objectifs, sans jamais sacrifier l’un à l’autre.

Dans cette société, la plupart des hommes devraient alors se retrouver dans l’ancienne position de l’artisan, d’un Homme de l’Art. C’est à dire non seulement d’un professionnel aguerri, mais surtout dans celle d’un individu donnant du sens à ses actes, c’est à dire une intention. Qu’on ne croit pas qu’il s’agisse là d’une utopie sympathique. Bien au contraire, cette situation s’imposera comme une nécessité historique à une société humaine trop complexe pour qu’aucune personne morale ou physique ne puisse la gérer.

Quelle est dans ce contexte, la place des technologies de l’Information et parmi celles-ci de l’Intelligence Artificielle ? Il est clair à mon sens que l’Informatique va se révéler être l’extension essentielle à la compréhension et à la gestion de ce monde. L’information sera la matière première de cette Intelligence à l’oeuvre. Elle devra être criblée (tout n’est pas information), stockée et communiquée sous toutes ses formes. Pour des raisons opérationnelles de communication et d’efficacité, les technologies de l’information vont se standardiser, et certainement à un rythme que l’on ne soupçonne pas encore. L’objet étant ici de comprendre le monde, aucune barrière ne devra en effet s’opposer artificiellement à cet impératif. Toute prise de décision se prendra bientôt plus sur la base d’informations digitales que sur celles venant directement du monde réel. Cette addition du virtuel au réel ajoutera une dimension au monde, celle de l’information, ce qui le rendra paradoxalement plus clair. L’information aura donc dans cette société bien plus d’importance que le pétrole n’en a dans celle-ci.

Mais n’est-il pas paradoxal, dans un monde où l’Intelligence humaine sera systématiquement mise en avant et exploitée, d’investir aujourd’hui dans l’Intelligence Artificielle ? N’y a-t-il pas antinomie dans les termes ? Je ne le crois pas. l’Intelligence Artificielle a d’abord été un rêve simpliste et simplificateur qui n’a même pas eu le droit de se transformer en cauchemar. Il n’y a aujourd’hui aucune avancée sur l’étude de l’intelligence qui ne soit une retombée des études d’Intelligence artificielle (ce serait même d’ailleurs plutôt le contraire !). Les retombées, car il y en a, sont ailleurs, et sont d’ordre technologique. l’Intelligence Artificielle (I.A.) est aujourd’hui un ensemble de techniques, de méthodes et d’outils qui permettent à l’Homme d’affronter la complexité. Non seulement dans la solution de problèmes complexes (mais n’est-ce pas l’objet de l’informatique en général) mais surtout dans la gestion de cette complexité, gestion qui exige souplesse, versatilité, dynamisme, bref un peu d’intelligence. A ce titre l’I.A. se caractérise tout en se banalisant à la fois, et devient un outil parmi d’autres, devant aider l’homme dans la prise de décision. L’I.A serait donc à l’homme moderne ce que la flèche était pour Cro-Magnon : une extension. Mais une extension, non plus de son bras mais de son intelligence. Mais comme il n’y a pas d’arc sans archer, il n’y a pas d’Intelligence Artificielle sans une Intelligence humaine pour la manipuler.

Tous les outils, au sens large du terme, inventés par l’Homme ont jusqu’ici été créés pour permettre à l’homme d’amplifier sa force musculaire, de le faire aller plus vite et plus loin qu’il ne peut courir, de le faire communiquer plus vite plus loin qu’il ne peut crier. L’Intelligence Artificielle s’inscrit elle aussi dans ce schéma, tout en passant à un autre ordre de qualité, puisqu’il s’agit d’aider l’homme à penser plus vite et plus loin. Ainsi loin d’être une menace à la suprématie de l’Humain dans ce monde qui s’avance, l’Intelligence Artificielle va se révéler être un tremplin pour l’Intelligence Humaine qui l’amènera alors plus haut, plus loin, plus fort.

On me reprochera peut-être de ne pas m’être étendu plus avant sur les aspects prospectifs de l’I.A. en tant que technologie. Qu’on m’en excuse. Mais c’est que je crois les technologies de peu d’intérêt lorsqu’elles se trouvent détachées des projets qui les motivent. L’I.A. est certes un sujet technologique excitant, mais c’est son statut d’extension ou de tremplin qui la rend importante. Ce que je pourrais dire ici sur l’application de telles ou telles techniques ou outils serait à la fois vain et de courte durée de vie. Alors que La place de l’Humain et de son intelligence dans une société où l’information est un fluide vital reste un sujet qui ne se démodera pas.

Quelle est maintenant la position de deux pays aussi différents que le Japon et la France face au défi qui s’avance. En quoi ces deux cultures si différentes sont elles préparées à l’affronter. Je ne possède malheureusement du Japon qu’une vue lointaine, et donc forcément incomplète sinon inexacte. Aussi ne me hasarderais-je pas à des comparaisons ou analyses trop précises, parce que sans substance. Ce que je puis dire à coup sûr c’est qu’aucune des deux cultures ne peut prétendre aujourd’hui mettre en oeuvre l’organisation que j’ai esquissée, même si chacune à déjà enclenché nombres d’actions qui l’en rapprochent.

Le Japon a ainsi mis en place, et bien plus volontairement que nous ne l’avons fait,  un plan économique et donc forcément politique pour pousser l’informatisation de sa société. Informatisation ne signifiant pas seulement utilisation de l’informatique mais aussi imprégnation culturelle des concepts informatiques. Ce plan a pour vocation d’anticiper et donc d’affronter en douceur les changement sociaux qui s’annoncent pour le Japon, comme le vieillissement de sa population par exemple. En ce sens, le Japon a entamé une démarche en des points bien proche de celle que j’ai tenté d’exposer. Par ailleurs, la formidable capacité du peuple Japonais à se mobiliser pour des causes collectives est certes un atout suplémentaire.

La France quant à elle, fidèle à ses traditions comme à ses tropismes individualistes, n’a pas sérieusement tenté de mettre en oeuvre des plans informatiques tels qu’au Japon. En ce sens, elle subit plus qu’elle ne contrôle l’informatisation de sa société. Mais elle foisonne par contre de talents créateurs en développements de logiciels et de hardware qui la positionnent très bien pour affronter un monde où il faudra non seulement extraire, stocker et diffuser l’information, mais aussi la créer. Hésitante dans sa volonté de mettre en oeuvre des projets collectifs necessitant une forte adhésion des populations, la France est par contre en excellente position en terme d’inventivité, de créativité et de souplesse, individuelle comme sociale, nécessaires à la distribution des pouvoirs de décisions.

Je ne suis en fait pas loin de penser qu’un harmonieux cocktail des diverses attitudes soit la solution finale à notre problème, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de synergiser les volontés individuelles dans un grand projet collectif.

« Harmonie entre Technologie et Culture« , le thème même de cette conférence n’est en fait qu’un des sous-aspects d’un objectif bien plus vital, qui a d’ailleurs fondé nombre de comportements au Japon, c’est à dire « Harmonie entre l’Homme et la Nature ». Et par « Nature« , j’entends parler autant de celle dont il a hérité que de celle qu’il crée continuement, et dont la technologie n’est qu’un avatar. C’est bien cette Harmonie qu’il s’agit au bout du compte d’atteindre, en se gardant toujours  de confondre moyens et objectifs.

Je voudrais maintenant conclure sur une simple petite remarque. Le mot «Intelligence» a en français deux significations : la capacité de comprendre, ainsi que la capacité à vivre en harmonie dans une communauté. Telle est à mon avis la seule solution au défi qui se pose aujourd’hui à l’Humanité : vivre en Intelligence.

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Dominique SCIAMMA

Après le « Deep Learning », le « Deep Leading » ?

In « Sciences du Design  » N°4 : Algorithmes – sous la direction de Remy BOURGANEL, Frédérique PAIN et Cléo COLLOMB

Il est absolument fascinant, pour un professionnel de très longue date du numérique (on appelait cela un informaticien, avant), de voir comment des pratiques, des objets, des sujets, des concepts et des mots, qui étaient hier l’apanage d’une toute petite minorité, sont devenus en moins de 15 ans totalement (grand) public.

C’est à coup sûr le signe d’une transformation numérique du monde, dans ses dimensions les plus quotidiennes et triviales, et donc d’une appropriation par le plus grand nombre, mais c’est aussi le symptôme d’une grande confusion culturelle.

Difficile en effet aujourd’hui de faire la différence entre les promesses des fictions hollywoodiennes, et de leurs réinterprétations rabougries des sciences et des avancées technologique et les réalités de nos avancées et de nos compréhensions. Impossible, pour le grand public et les média qui les informent, de prendre le temps et la distance nécessaire pour remettre en perspective, les avancées technologiques et leur répercussion philosophiques, culturelles et sociales.

C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui avec le  concept et le mot « Algorithme », et depuis 1 an avec le concept et mot « I.A ».

Au cœur du tsunami numérique né de la rencontre de l’internet, du haut débit, des Smartphones, du Big Data, et des applis, le concept d’algorithme fascine, comme nouvelle frontière, nouvel Eldorado et nouveau danger à la fois. On y voit une force nouvelle, fascinante sinon inquiétante, et dont l’I.A. est le dernier et très puissant avatar.

Il y a là quelque chose de désespérant et de mystérieux à la fois à voir le simplisme s’allier à l’ignorance pour magnifier, sinon sublimer, ce qui relève en fait de la mécanique la plus banale.

Un bel exemple nous a été donné cette année avec l’histoire d’Alphago.

Au printemps 2016, cette intelligence artificielle développée par Google, a battu deux champions humains de Go, franchissant ainsi une frontière que beaucoup de spécialistes pensaient infranchissable. Sur la base de réseaux de neurones et d’un algorithme ancien connu sous le nom « Deep Learning », cette intelligence artificielle a été en mesure de maîtriser le jeu de stratégie le plus complexe jamais créé, où l’explosion combinatoire semblait interdire toute stratégie gagnante basée uniquement sur le calcul. Les joueurs de Go et les spécialistes prétendaient jusqu’à présent que seul un cerveau humain, sinon un esprit humain, pourrait avoir les qualités, l’intuition, la créativité pour jouer à un tel jeu, et plus que cela, pour gagner.

La victoire définitive d’AlphaGo a tué à jamais ce préjugé, et semble ouvrir une nouvelle boîte de Pandore : la créativité n’est plus l’exclusivité de l’humanité, et il n’y a donc pas un seul territoire humain qui ne puisse être investi et dominé par les machines et leurs âmes automatisées !

Si cela est vrai, nous sommes face à une question essentielle et existentielle : les machines vont elle également surpasser nos capacités à diriger ? Après le « Deep Learning », est-ce que le « Deep Leading » serait la prochaine étape ? Si oui, cela signifie que tous les projets humains – grands ou petits, industriels ou politiques – et donc nos destins individuels et collectifs, seront dirigés demain par des machines.

C’est une question très importante.

Nous vivons une époque où les promesses de l’automatisation et de la robotisation, rêvés par les auteurs de SF et les prospectivistes depuis le début du 20ème siècle, sont craints et désirés en même temps. Nous accédons au confort et à de nouveaux objets et services, alors que nous détruisons dans le même temps des emplois. Si cette situation schizophrène est le prix et la condition de la société de consommation, nous l’acceptons plus ou moins parce que nous considérons que le solde est globalement positif.

Avec le Deep Leading, ce ne sont pas nos capacités mécaniques que nous accepterions de laisser aux machines, mais bien notre capacité d’analyser, de créer et de prendre des décisions, i.e. de faire des projets (mieux, d’avoir des projets). Ce que nous abandonnerions, c’est notre nature même d’être humain. Cette possibilité est devant nous, que nous le voulions ou non, imposée par les machines elles-mêmes, comme dans le pire de nos cauchemars.

Jours étranges à l’évidence.

À une époque où le leadership a été identifié comme la qualité, le process, le comportement sur lequel il nous faut investir, en formant des leaders grâce  à une éducation réinventée et pour le bénéfice de tous, Alphago viendrait violemment nous dire que ce n’est plus un enjeu et que les machines vont prendre le relais.

Mais non.

Ceci est non seulement un fantasme, mais relève d’une ignorance totale de ce qu’est la nature humaine et l’histoire.

La définition même de l’humanité est que nous transformons nos connaissances en technologies, en outils, en théories, et ce de manière itérative, pour simplifier nos vies individuelles et collectives. Ils étendent notre corps et notre esprit, et ne nous rendent pas moins humains mais plus humains encore.

Les ordinateurs et leurs programmes, les robots et l’I.A. sont ces derniers outils, ces dernières technologies et théories qui, dotées d’une puissance incroyable, nous rendent plus humains, plus protégés, plus libres.

Ils nous aideront à relever le défi de la complexité, la frontière ultime de leadership dans un monde connecté. Non par la résolution de la complexité, ce qu’ils ne peuvent pas faire, mais en nous aidant à adresser et à résoudre la complexité. L’algorithme du deep learning est capable de traiter des situations répétitives et combinatoires plutôt que de la complexité. Affronter et jouer avec la complexité exige une capacité à représenter, et non pas à reconnaître, d’inventer et non pas de consolider, de penser, et non pas de calculer.

La bonne nouvelle est donc que NON, l’IA ne nous supplantera pas dans notre capacité à diriger, mais que OUI, l’IA y contribuera, comme les chiens contribuent à la chasse.

Comme toujours, la décision est entre nos mains.

Images VS Imagination

Ceci est une publication scientifique présentée lors de la conférence « Constructionism 2010« , en anglais, organisée par James CLAYSON de l’Université Américaine de Paris.
J’y décris en détail un exercice que j’ai inventé et pratiqué de nombreuses années auprès des étudiants de 1ère année de Strate Collège.

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Abstract :

This paper describes a pedagogic exercise given to designers to be (1st year), within a communication class. The exercise is only based on the use of 6 given images.

The exercise takes place after two sessions, the first of which being devoted to the participative construction of the famous communication diagram (emitter, coding, channel + noise, decoding, receiver).

In the second session, starting with this diagram, the emitter is then replaced by “the world” and the receiver by “you”. With the help of this redefined diagram, “demonstrate” the students that the first limit of our communication with the world is to be found in our perception mechanisms, and that, in that respect, we are always abstracting, and that what we call « reality » is literally and technically an abstraction.

To free ourselves from this prison, we then “demonstrate” to the students that the only way to go beyond the limits of our perception is to build theories, through which it is then possible to discover all the hidden dimensions of the world.

But, by doing so, we are in reality building a new but even more wicked prison: the prison of our vision of the world. In that respect, we are de facto projecting on the world what we know about it: after being an abstraction, the world is moreover a projection.

The actual exercise demonstrates this second proposition in a very obvious and direct way.

With the help of 6 very simple images including characters and various other representations, we demonstrate, again, that the students are prisoners of theories. This is done by asking them to create a story of their own, using all 6 images, without any other constraints than the images themselves. We urge them to be creative.

When that is done, after one hour, the comparison between all the stories shows clearly and simply that they are projecting what they know about the “theory” of images and narration, thus limiting themselves to a common – and therefore not creative – domain of narration.

After this explanation is given, students are asked again to produce more stories, but this time by freeing them from the theory, and the results are simply astonishing.

Téléchargez l’article ici !


J’ai aussi décrit cet exercice lors d’une conférence TEDX à Paris en 2010.

Iconoclaste(s)

En Novembre 2009, Frédérique PAIN et Arnaud GONGUET, chercheurs aux Alcatel Lucent Bell Labs, ont organisé un séminaire sur le thème « Produire de l’invention : état des lieux de la recherche pluridisciplinaire » avec et chez Telecom ParisTech.

J’y ai participé, en particulier dans une table ronde avec Sophie PENE (qui venait juste de prendre la Direction de la Recherche à l’ENSCI, Remy BOURGANEL (Orange) et Jean-Louis FRECHIN (ENSCI).

Iconoclaste(s)

Vous trouverez ici le texte de cette intervention.

Et les video ci-dessous.