Vivre en Intelligence

Petit à petit, l’évidence s’impose, à tous, partout sur la planète : nous sommes arrivés au bout d’un modèle de développement simpliste qui vient aujourd’hui taper dans les murs de la complexité, et qui éprouvent les limites de la planète. Les preuves de cet épuisement sont d’abord physiques : les ressources se tarissent, mais pire, leur exploitation et leur usage déséquilibrent gravement l’écosystème global dont nous sommes totalement dépendants. Elles sont ensuite démographiques : plus de 7 milliards de personnes se partagent inéquitablement cette planète, se concentrent dans les villes, et sont violemment confrontés à la nécessité de partager espaces et ressources. Elles sont enfin systémiques : l’avènement d’une société ouverte, pour le pire comme pour le meilleur, voulu ou subi, a généré une complexité d’interactions culturelles, sociales, économiques et politiques sans précédent qui, si elles génèrent sans conteste de la valeur, induisent une complexité telle que seule une foi dans un génie humain digitalisé nous rassure quant à notre capacité à en maîtriser les effets.

Comment croire un seul instant – car il s’agit bien d’un acte de foi – qu’il nous suffit de trouver le bon réglage de la machinerie politique et économique actuelle pour atteindre les objectifs d’émancipation individuelle et de bonheur collectif que les Lumières ont définis il y a plus de deux siècles ? Comment penser que des systèmes de représentation, de prise de décision, de contrôle, nés et éprouvés les siècles précédents suffiront à relever le défi ? Comment espérer que les technologies – et le numérique particulièrement – contiennent en elles-mêmes, des vertus mécaniques induisant inexorablement un avenir meilleur ?

Confondre les moyens avec les objectifs est une erreur systématique, que l’humanité reproduit à chaque crise qu’elle rencontre. Et il nous faut, cette fois-ci encore, réaffirmer que la seule solution est de vivre en intelligence.

Vivre en Intelligence : que de sens cachés dans cette simple injonction !

« Vivre en intelligence » signifie d’abord vivre en interaction harmonieuse, où le respect de l’autre, l’articulation des projets individuels au projet collectif sont affirmés et mis en œuvre. Cette tempérance sociale est autant un préalable qu’un aboutissement, et c’est sur ce paradoxe que sont pensées et construites les sociétés démocratiques, paradoxe qui en induise la force et la fragilité. L’injonction est alors collective et s’adresse à tous.

« Vivre en intelligence » signifie ensuite se comporter individuellement en intelligence, c’est à dire s’imposer de lire le monde dans sa complexité, de se doter des outils pour le faire, en conciliant sa raison et sa sensibilité. Si l’injonction est ancienne (« Connais-toi toi même »), et si les Grecs ont les premiers tentés de construire les théories et les outils pour le faire, elle n’en est pas moins difficile, tant l’accès au savoir a longtemps été un parcours difficile, coûteux et chaotique. L’injonction est alors individuelle et s’adresse à chacun.

Ces deux injonctions, loin de s’opposer, s’articulent, et leurs accomplissements conditionnent nos succès collectifs et individuels. En fait, nos talents individuels sont les conditions de nos réussites collectives (et vice-versa).

L’éducation publique a connu depuis 200 ans une accélération exponentielle, et le nombre de personnes éduquées dans le monde a extraordinairement grossi en 100 ans. Nous pourrions penser alors que l’humanité est sur la bonne voie et que l’extrapolation de cette courbe devrait suffire à nous rassurer, et mieux encore à assurer notre avenir collectif. Il n’en est rien, et pour la bonne et simple raison que notre système éducatif porte en lui, autant qu’il l’induit, le système fou dont il nous faudra sortir.

Le rapport au savoir induit le rapport au pouvoir, et conditionnent nos organisations politiques et sociales, en en assurant évidemment la reproduction. Le problème est que nos organisations politiques et sociales datent – au mieux – d’un XXe siècle pyramidal et industriel. Dans un tel système, il faut définir une place à chacun, lui donner le savoir nécessaire à l’accomplissement de sa tâche et l’intégrer comme une élément de la hiérarchie pérenne de production de valeur : chacun à sa place, et une place pour chacun, et pour longtemps.

Cette approche est aujourd’hui intenable, car dans un XXIe siècle réticulé, nous devons changer de place très régulièrement, si ce n’est tout le temps. Les savoirs, les missions, les places sont changeantes, et il faut donc former des gens dotés d’intelligence bien plus que de savoir(s).

Notre responsabilité est alors plus que grande, elle est monumentale : Réinventer l’éducation pour la mettre en phase avec une organisation humaine en réseau.

Il nous sera alors possible de vivre, tous et chacun, en intelligence(s).

>>Lire l’article dans la Revue du Cube

« Sharing Politics », le pouvoir en partage

Nous assistons à la fin d’une époque, d’un âge même. Un âge construit sur une vision du monde, une culture, un rapport au savoir, des modèles politiques et un système technique bientôt obsolètes.
Cette vision est née il y a plus de 250 ans, quand les grands esprits du temps se sont débarrassés de Dieu, forts de l’espoir, sinon de la certitude, que la raison et le savoir qu’elle produit enfanteraient un monde meilleur construit par des esprits émancipés et libres. Un monde où les sciences produiraient de la technologie qui produirait des techniques et des procédés qui permettraient la transformation du monde matériel, social et politique. Un monde pensé d’abord par des philosophes, ensuite matérialisé, cahin-caha, par des industriels et des politiques.
Tout le monde développé est aujourd’hui issu de cette vision. Et ce monde croit voir dans la révolution numérique, souterraine pendant 50 ans, et au grand jour depuis 20 ans, le dernier rejeton de cette vision, sinon son apothéose, ou alors sa fin programmée. La différence est de taille !

La puissance du numérique serait la puissance ultime, celle qui accomplit et dissout à la fois le grand projet des Lumières.
Elle l’accomplirait dans la mesure où la totalité des savoirs du monde serait maintenant à la disposition gracieuse de chacun, permettant à tout individu d’apprendre, de s’informer, de se forger une opinion, de prendre position, et mieux encore de produire et de se faire entendre de tous. L’émancipation promise enfin atteinte.
Mais elle le dissoudrait aussi, dans la mesure où la quête du savoir ne serait plus celle de sa production consciente, structurée, partagée, mais le résultat d’analyses algorithmiques de masses de données colossales, celles de nos comportements, de nos humeurs, de nos pérégrinations, de nos consommations. Plus de sciences, de démonstrations, de compréhensions et de controverses, mais de la donnée interprétée, productrice de schémas et de patterns qui se substitueraient à des modèles et des théories.

Les chantres d’un néo-libéralisme digital y voient la victoire d’un laisser-faire vertueux, évidemment vertueux, parce qu’enfin sans entrave, sans frottement, grâce au moteur algorithmique et au lubrifiant numérique. Le marché serait enfin parfait, et ne nécessiterait plus de régulateurs quelconques, d’empêcheurs d’entreprendre, de censeurs de nos comportements et surtout de producteurs et de garants de nos droits. Nous ne serions plus alors que des consommacteurs en réseaux, produisant nous-mêmes, et sans le savoir, les conditions et les objets de nos bonheurs quotidiens.
Les tenants d’un néo-anarchisme numérique pensent, au contraire, y voir l’avènement d’une société émancipée de la nécessité de gouverner, où des individus non seulement devenus des sachants mais aussi des actants, capables de se saisir de tout problème, et de les résoudre, individuellement et collectivement. Des intelligences à l’œuvre. Plus besoin, là non plus, de cadres définissant des rôles, des droits, des devoirs, des pouvoirs. Par la vertu du réseau, des savoirs connectés, des projets partagés, tout se résout horizontalement, sans intermédiaire, sans régulateur, encore une fois. Un ordre naturel émerge de la concurrence de nos comportements, de la mise en réseau de nos initiatives.
Dans les deux cas, cela relève de l’illusion d’un « Vivre ensemble » qui ne serait qu’émergent, et jamais conscient.

Il est étonnant de voir combien nos progrès technologiques, toujours, nous aveuglent sur la part d’irrationalité qui est en nous, et qui le sera toujours, sur cette part d’émotion et de passion qui nourrit et détruit à la fois nos projets, sur ce qui fait que nous ne sommes pas (que) des acteurs de raison.

Il est étonnant de constater combien nous pensons pouvoir et devoir nous débarrasser d’institutions politiques au prétexte que celles qui sont les nôtres aujourd’hui se révèlent incapables d’être en phase avec ces révolutions comportementales et technologiques.
C’est paradoxalement de politique dont nous avons urgemment besoin aujourd’hui, c’est-à-dire d’Institutions (oui d’institutions !), de règles, de pratiques, d’instruments de mesure de nos actions. Il ne faut, en effet, pas succomber à l’illusion que nos pratiques sociales et économiques, parce que interconnectées, pourraient à elles seules générer de  l’ordre économique, social et donc politique. Ce qui fait le « Vivre ensemble », ce n’est pas, ce ne peut être, le simple fait que nous vivions ensemble, même connectés ! Ce qui fait le « Vivre ensemble », ce sont les règles qui définissent les conditions de sa possibilité, c’est ce qui s’appelle le Droit.

Il nous faut donc inventer ces nouvelles Institutions et ce nouveau Droit, pour qu’ils soient à la mesure de nos révolutions technologiques, de nos nouvelles pratiques, mais aussi de nos nouvelles limites, de nos nouveaux trous noirs.

Refondation (de mes) 2.0

Nous vivons un temps exponentiel, comme jamais l’humanité n’en a connu.

Chaque jour, grâce à une révolution numérique qui a commencé pourtant, lentement, il y a 70 ans, mais qui croît aussi exponentiellement, Loi de Moore oblige, les sciences, les technologies, les matériaux, les outils, les produits, les services, les expériences se développent et nous sont proposés à un rythme toujours plus effréné.

Cette vitesse, et plus encore, cette accélération vertigineuse, nous mettent, individuellement, comme collectivement, dans des états mentaux différents sinon opposés. Certains, ignorants ou sachants, crient « au loup », plus qu’inquiets du type de société induit par ces révolutions, plus très certains que l’humanité s’y sublimera, mais qu’elle s’y dissoudra. D’autres, sachants ou ignorants, s’extasient devant les promesses infinies sinon magiques qu’elles portent, certains qu’elles sont les prémices d’une humanité nouvelle, et d’un bonheur incontournable. Entre les deux, des esprits flottent entre peur et fascination, en aimant alternativement se faire peur, où en cédant à l’hypnotisme digital.

Si il est facile de comprendre la première des postures, qu’elle soit savante ou ignorante, parce que les résistances sont toujours nécessaires à une intégration équilibrée des révolutions scientifiques, technologiques et sociales, il y a toutes les raisons d’être plus exigeants et même plus sévères avec ceux des sachants qui se font les avocats (quand ce n’est pas les grands prêtres) de la seconde. Car il faut être à la hauteur de ces révolutions permanentes, pour ne pas en être les victimes mais les bénéficiaires.

Parce que ces révolutions sont continues, rapides, diverses et même mutantes, nous sommes confrontés à une forme de persistance cognitive et paradigmatique (comme on parlerait de persistance rétinienne) qui nous font voir des « objets », des « concepts », des « modèles » à des endroits où ils ne sont plus, parce qu’ils sont passés plus loin ou ailleurs. La vitesse, c’est bien connu, génère une forme d’ébriété, qui nous fait à la fois perdre nos repères et nous remplit d’une joie démiurgique. Il y a donc une forme d’illusion de puissance, et même de maîtrise, chez beaucoup, si ce n’est la plupart des avocats de la nouvelle cause NBIC. Parce que nous sommes excités par les réalisations et plus encore par les perspectives, nous n’y voyons que des accomplissements et jamais des défaites ou des pièges. Pire, nous pensons construire des paradigmes, des théories, des modèles, des pratiques qui en permettent à la fois l’émergence et le développement maitrisé, et ce dans toutes les dimensions de la société humaine : philosophique, idéologique, culturelle, politique, éthique et sociale.

Nous balbutions pourtant. Nous n’en sommes qu’à tracer les premiers bâtons de la première lettre d’un nouvel alphabet, et pour autant, nous croyons déjà écrire « À la recherche du temps perdu ». Nous avons donc la responsabilité de penser avec audace et humilité à la fois, ces révolutions en cours et pour cela, nous ne devons pas céder à ces ivresses numériques que je décris et dénonce depuis quelques années déjà.

Si une Refondation est nécessaire, c’est bien celle des Refondateurs !

C’est parce qu’il nous faut penser, intensément et dans la longueur, cette révolution civilisationnelle, c’est parce qu’il nous faut être à la hauteur des immenses défis comme des immenses promesses qu’elle porte, c’est parce qu’elle est tout sauf simple, mais bien la Mère de toutes les complexités, que ceux qui se veulent justement les penseurs de cette révolution doivent ne pas céder à l’ivresse qu’elle induit et se positionner comme des refondateurs permanents de leur propre pensée.

Il nous faut donc ne pas succomber à nos persistances paradigmatiques, ne pas confondre vertige et bonheur, vitesse et progrès, accélération et émancipation, en exerçant un esprit critique permanent sur ce que nos esprits entrevoient ou produisent, que ce soit des technologies, des analyses ou des modèles, quand ce ne sont pas des visions. Arrêter de prophétiser, mais bien plutôt resynchroniser nos pensées avec la dynamique d’un réel changement, à partir d’ici et de maintenant.

Cette mise en abyme intellectuelle, cette refondation réflexive, est une ardente nécessité, si ce n’est une exigeante responsabilité pour tous ceux qui pensent, produisent, enseignent, communiquent sur ce qui est, de fait, un changement d’Ere.

Une refondation 2.0.

Penser

Oui, nous vivons une 3ème Révolution industrielle, probablement la plus importante de toutes. Oui, la numérisation du monde avance imperturbable, avec ses innovations permanentes qui structurent et perturbent tour à tour nos quotidiens. Oui, les promesses du Numérique et particulièrement leur transformation de toutes les autres technologies – dans ce qu’elles produisent, comme dans la manière dont elles produisent – semblent sans limite. Oui, tous les imaginaires sont invoqués pour s’instancier ici et maintenant, au gré de nos maîtrises technologiques.

Mais tout ceci arrive dans des conditions culturelles et économiques particulières, sinon uniques, elles aussi. Contrairement aux autres révolutions paradigmatiques qui l’ont précédée (écriture, imprimerie), cette révolution est en même temps une économie, un marché de masse et un tsunami culturel. Nos désirs sont plus que jamais instrumentalisés, nos curiosités plus que jamais exploitées dans ce qui ressemble diablement à un véritable programme de renforcement, et où nous cédons à toutes les sollicitations, expérimentons toutes les tentations, ivres de nouveautés exponentielles.

Ces ivresses numériques, comme toutes les ivresses, nous émeuvent et nous euphorisent, tout en nous désorientant, en nous faisant perdre nos repères. Nous semblons avancer à marche forcée vers un futur sans cesse réécrit, et vivons de fait plus vite que nos pensées, comme le pilote d’un avion volant plus vite que le son.

Et c’est là un dangereux paradoxe. A l’heure où nos savoirs et nos technologies semblent prêts d’accomplir nos rêves les plus magiques, nous sommes sous la menace de ne pas penser les conditions de ces accomplissements, sinon de leur refus. Le bruit numérique est intense, qu’il soit marketing ou conceptuel, médiatique ou intellectuel, qui nous empêche de ne pas confondre l’écume de la vague, l’anecdotique du structurel. Dans ce brouillard digital, nous prenons le risque d’avancer et d’avancer encore, comme si ce mouvement en avant ne pouvait être que vertueux.

Les nouvelles technologies sont un « Pharmacon », comme le dirait Bernard Stiegler, c’est-à-dire un remède tout autant qu’un poison. Ne voir en elles qu’un remède sera à coup sûr le meilleur moyen de succomber au poison.

Tous les signes sont là, d’un monde qui meurt et qui résiste – qui littéralement agonise. Nos institutions, nos organisations sociales, nos modèles d’enseignements, nos modèles économiques, tout ce qui faisait notre société humaine est bousculé par ces secousses paradigmatiques. Il ne faut pourtant pas s’en réjouir béatement, car le monde qui vient ne nous demande pas simplement d’agir (c’est à la portée du premier agrégat de muscles venu), mais de construire en conscience, fut-elle dynamique ce qui pourrait être le siècle des Nouvelles Lumières.

Il s’agit donc de penser.

Dominique Sciamma

La 5ème Internationale

Nous vivons une époque révolutionnaire.
Un changement de civilisation, comme l’Homme n’en a connu que rarement.
Ce changement de civilisation a un agent  (le Numérique), un contexte (la Mondialisation) et un moteur (le Marché).

D’un côté, nous vivons une situation d’ivresse, où tout nous semble possible, et ce d’autant plus que d’immenses opportunités économiques et financières apparaissent et font la fortune de ceux qui savent s’en saisir. L’illusion de la toute puissance nous guette, si elle ne nous a pas saisi définitivement. Rien ne nous est désormais interdit, et il suffit que l’Esprit Numérique envahisse les machines, les rende puissantes, vertueuses  et aimantes, et elles apporteront mécaniquement le bonheur aux hommes.

De l’autre, nous craignons pour notre suprématie, celle qu’une évolution théologisée aurait imposée à cette planète. Car voilà que nous sommes au moment où apparaît notre capacité à créer notre égal, et pourquoi pas notre maître. Ne risque-t-on pas de créer un monde technologique où toute humanité pourrait disparaître, ou tout simplement être inutile ?

On nous annonce que les machines vont se saisir de très nombreuses tâches jusqu’ici assurées par les hommes. On le sait depuis longtemps pour tout ce qui relève de la répétition, et donc de la production. Mais c’est désormais vrai aussi pour tout ce qui touche à l’aide à la conception, à la résolution de problèmes, ou à la régulation.

Pour les optimistes, les machines nous libéreraient ainsi de tâches subalternes, pour nous permettre de nous consacrer à des tâches plus nobles où la créativité aurait la part belle. Pour les pessimistes, les machines nous déposséderaient de toute initiative, y compris créative, pour nous transformer en troupeaux dociles et indolents, à l’instar des « Eloïs » imaginés par H.G Wells dans « la Machine à explorer le temps ». Elles seraient alors nos « Morlocks ».

Ce serait, dans les deux cas, penser de travers, et passer à côté des véritables enjeux que révèle la révolution numérique. Nous sommes en effet dans un moment paradoxal où l’homme n’a jamais créé autant de complexité, tout en ayant sous la main l’outil qui la génère et peut la réduire à la fois. Non seulement il crée de la complexité, mais il la mondialise. Elle dépasse définitivement les limités des nations, les frontières des Etats, désormais incapables de la résoudre par eux-mêmes.

Cette complexité, induite par des (r)évolutions technologiques continues, nous oblige à changer radicalement de modèle. Là où la maitrise technologique était hier la condition du pilotage de la société, parce qu’elle la structurait, la stabilisait et la rendait prédictible, c’est aujourd’hui la capacité à créer qui sera la condition de notre capacité à piloter une société plus que jamais mobile et changeante.

Nous ne pouvons plus parier sur le fait de caractériser des états du monde, de le quantifier, pour le stabiliser, et de laisser à des acteurs « en charge » (professionnels et entreprises, fonctionnaires et administrations, élus et institutions) le soin de le piloter parce qu’ils l’auraient compris. Il nous faut au contraire surfer sur une vague de changements continue et incessante,  en inventant à chaque instant, en tous lieux, à tous niveaux et de manière généralisée les réponses adaptées aux situations que chacun d’entre nous vivons.

Il est fini le temps de l’ingénierie où il allait « résoudre » des problèmes d’un monde stable. Voici venu le temps de la créativité généralisée, seule à même de répondre aux enjeux d’un monde en perpétuel changement.

Il est temps de créer la 5ème Internationale ! Créatifs de tous les pays, unissez vous !

Dominique Sciamma

Singulier, comme d’habitude…

Ainsi, une rupture majeure serait imminente ! Des technoprophètes la prédisent avec espoir, l’invoquent religieusement, la proclament même, comme un nouveau royaume. D’autres Cassandres, au nom de l’Humanisme, noirs prédicateurs apocalyptiques, nous promettent le pire et la damnation de cet accouplement avec le Diable technologique.
Le corps humain serait pour les premiers la prochaine frontière à dépasser, à fertiliser, et la technologie sera cette nouvelle semence qui le métamorphosera. Plus que des prothèses, qui ne sont que des substituts, ce sont de nouveaux organes, supérieurs ou différents, qui viendront nous augmenter et nous mener vers l’accomplissement du Grand Plan de la maîtrise de la nature, en passant par la nôtre, en devenant – petit détail – immortels.

Mais le lieu du projet ne se résumerait pas qu’à notre corps pour ces grands prêtres ! C’est Dieu que nous voudrions remplacer, en donnant naissance à des machines qui cesseront de l’être en devenant conscientes, qui nous seraient infiniment supérieures, et qui, probables adversaires de leur géniteur, se lanceraient elles-mêmes ensuite dans la genèse de leur successeurs supérieurs, telles des Matriochkas dans Matrix. Dieu devrait donc mourir plusieurs fois.

Pour les seconds, au bout du compte pas moins religieux que les premiers, le corps serait un sanctuaire, l’aboutissement d’un projet, qu’il serait sacrilège de violer, d’enrichir, de littéralement dénaturer, c’est à dire de n’être plus un objet de nature. Pour en empêcher l’avènement, ils oscillent entre deux stratégies.

La première est construite sur l’affirmation que tout cela est possible et que les conséquences en seraient terribles : sociales, politiques et économiques d’abord, dans l’apparition d’une nouvelle classe supérieure « augmentée », plus intelligents, plus beaux, éternels même, et de grands groupes industriels et commerciaux de ce nouveau « cosmétisme profond ». Morale et Philosophique ensuite, dans la dissolution de nos responsabilités vis à vis de nos corps devenus éternels, et donc de la moindre importance donnés aux corps des autres.
La seconde est construite sur le déni et la dérision : toute ces promesses sont des phantasmes qui ne se matérialiseront jamais, et ces technoprophètes sont de « faux prophètes » qui annoncent un royaume qui ne viendra pas. La vie est un mystère, impossible à maîtriser et reproduire, et la conscience est un miracle impossible à reproduire. Nous sommes et resterons les seuls porteurs de ce mystère et les seuls bénéficiaires de ce miracle.

Il y a en fait une raison commune pour laquelle ces deux communautés s’emballent, et cette raison est philosophique : Voulons nous tuer Dieu ? En prenant totalement possession du corps, en créant des machines conscientes, les premiers disent « Oui » mais en prenant sa place, là où les seconds disent « Non » parce que ce serait un blasphème ou un risque non maitrisable.
Entre ces deux postures religieuses, entre adoration et exorcisme, il y a évidemment la possibilité de ramener de la raison, et de renvoyer tout le monde à la maison !
Les technoprophètes du Transhumanisme – l’inénarrable Kurz Weil en tête – nous parlent de l’apparition d’une singularité, d’une « catastrophe » comme l’aurait définie René Thom, où l’espèce comme l’histoire humaine verrait son histoire faire un saut quantique. Cette singularité viendrait, pour la première fois, rompre le processus continue d’une évolution darwinienne en faisant de l’homme l’agent, le bénéficiaire (ou la victime pour les contempteurs de la Singularité) de ce saut.

Les Humanistes, qui en redoutent la possibilité, nous implorent d’y renoncer, au risque d’y perdre notre âme, en lançant un processus dangereusement et définitivement déshumanisant.
Les uns comme les autres semblent cependant oublier une chose : l’homme est une singularité permanente. Mieux, c’est sa capacité à créer des singularités qui conditionne, définit, construit son humanité.

Quand – et depuis des millions d’années – à l’aide d’un organe plastique comme son cerveau, l’espèce humaine exploite sa capacité à représenter, modéliser et théoriser pour produire les outils matériels de sa survie, de sa protection, de son développement, de son plaisir (ce que nous appelons la maîtrise de la nature), il ne cesse de créer des singularités. Quand il fait des plans de chasse, taille le silex, peint des parois, invente l’arc, l’écriture, l’imprimerie, les antibiotiques, l’ordinateur, internet, la réalité augmentée, le contrôle par la pensée, que fait-il, que crée-t-il, sinon des singularités ?

Le fait que les technologies envahissent son corps, qu’elle l’augmente même dans toutes ses capacités, y compris cognitives, vient en fait en totale continuité avec l’histoire de son développement, qui n’est qu’une succession de singularités. Si la dernière est plus spectaculaire elle n’en demeure pas moins semblable à celles qui l’ont précédée. Pensons-là sans tabou et sans crainte non plus, car il n’y a aucune crainte à penser et à tout envisager, sans jamais rien croire.

Hier, aujourd’hui, demain, la nature de l’homme est de dépasser sa nature, son seul vrai risque étant de ne pas penser ce dépassement. Notre continuité humaine est faite de discontinuités successives, lissées par notre pensée. Ne redoutons pas de penser la singularité suivante, car nous verrons alors qu’encore une fois, après l’humain, il y a l’humain.

(Avril 2013)

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Apprendre plutôt qu’enseigner

Après l’écriture, l’imprimerie, la scolarisation de masse, l’explosion du nombre d’étudiants dans les universités, le fait d’apprendre va connaître lui aussi sa transmutation numérique, qui est inéluctable.
Inscrite dans l’Histoire, la numérisation ne devrait pas moins en être une rupture, et même une double rupture.

Institutionnelle d’abord.
Si le XXème siècle a vu s’affirmer et  s’institutionnaliser des politiques d’éducation systématique des populations, celles-ci, se sont construites sur des modèles de pouvoirs et un rapport aux savoirs issus d’un XIXème siècle industriel. C’est la figure de l’autorité qui est alors centrale : celle de l’Etat, du patron, du cadre, de l’Université, du professeur, de l’instituteur, du père. Le numérique et les pratiques en réseau, associées sinon productrices de l’élévation du niveau d’éducation va remettre en cause cette organisation, et donc la transmission.
La figure de l’autorité va donc mourir, et avec elle une certaine idée de la transmission.

Méthodologique ensuite.
Parce que la figure de l’autorité va disparaître, ce sont donc de nouvelles méthodes d’enseignement qui vont devoir être INVENTEES. La nature de ce qui est transmis, voire ce qui est enseigné sera moins important que la manière et les conditions dans lesquelles les étudiants et les enseignants travailleront ensemble. Avec un savoir accessible de partout, commenté, illustré, critiqué comme jamais, le problème n’est plus de transmettre mais d’accéder, d’exploiter, de produire, d’inventer, de créer, ensemble (apprenant, enseignant), les contenus, les pratiques, les projets.

E-Maquillage ?
On aura noté qu’à aucun moment je n’ai évoqué ici de quelconques instanciations du E-Learning (encore un E-Machin de plus…). Car il y a un danger réel à voir les anciennes pratiques se vêtir d’habits nouveaux pour survivre. La E-Labelisation est de ce point de vue un danger mortel qui voit des acteurs et des modèles dépassés se remettre en selle en se numérisant en façade, en se contentant de mettre un nouveau nom sur un vieil objet.

E comme « Emplatre » sur une jambe de bois ?

Lire l’article ici !

Apprendre plutôt qu’enseigner

Après l’écriture, l’imprimerie, la scolarisation de masse, l’explosion du nombre d’étudiants dans les universités, le fait d’apprendre va connaître lui aussi sa transmutation numérique, qui est inéluctable.
Inscrite dans l’Histoire, la numérisation ne devrait pas moins en être une rupture, et même une double rupture.

Institutionnelle d’abord.
Si le XXème siècle a vu s’affirmer et  s’institutionnaliser des politiques d’éducation systématique des populations, celles-ci, se sont construites sur des modèles de pouvoirs et un rapport aux savoirs issus d’un XIXème siècle industriel. C’est la figure de l’autorité qui est alors centrale : celle de l’Etat, du patron, du cadre, de l’Université, du professeur, de l’instituteur, du père. Le numérique et les pratiques en réseau, associées sinon productrices de l’élévation du niveau d’éducation va remettre en cause cette organisation, et donc la transmission.
La figure de l’autorité va donc mourir, et avec elle une certaine idée de la transmission.

Méthodologique ensuite.
Parce que la figure de l’autorité va disparaître, ce sont donc de nouvelles méthodes d’enseignement qui vont devoir être INVENTEES. La nature de ce qui est transmis, voire ce qui est enseigné sera moins important que la manière et les conditions dans lesquelles les étudiants et les enseignants travailleront ensemble. Avec un savoir accessible de partout, commenté, illustré, critiqué comme jamais, le problème n’est plus de transmettre mais d’accéder, d’exploiter, de produire, d’inventer, de créer, ensemble (apprenant, enseignant), les contenus, les pratiques, les projets.

E-Maquillage ?
On aura noté qu’à aucun moment je n’ai évoqué ici de quelconques instanciations du E-Learning (encore un E-Machin de plus…). Car il y a un danger réel à voir les anciennes pratiques se vêtir d’habits nouveaux pour survivre. La E-Labelisation est de ce point de vue un danger mortel qui voit des acteurs et des modèles dépassés se remettre en selle en se numérisant en façade, en se contentant de mettre un nouveau nom sur un vieil objet.

E comme « Emplatre » sur une jambe de bois ?

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Le Grain Humain

En quoi l’être humain, dans son corps, ses désirs, ses actions, ses relations aux hommes et au monde peut-il être comparé à un grain ? Entre solitude et multitude, « le grain humain » prend prétexte des concepts associés aux diverses tables de l’exposition « Grains de bâtisseurs » pour interroger la condition humaine.

Station B2 : (La peur du vide)

Vide…..
Blanc…..
Sans âme….
Sans vie….
Seul….
Devant une page blanche.
Celle de la vie ? (Celle de cette histoire en devenir ?)
Que faire ? (Que dire ?)
Ne rien faire ? (Ne rien dire ?)
Attendre ? Esquiver ? (Fuir ?)
Ou faire face, construire, stabiliser, (faire bonne figure) ?
Etre solide, un socle, une poutre, (un roc !)
Mieux, une pyramide……
Temple solaire, figure solide cachant une chambre secrète, dense tombeau du vide déifié, passage solitaire vers une autre vie pleine (mais ailleurs)……
La (vraie) vie est dans les interstices.

Station B1 : (Liquide ou solide)

Vivre…
Faire face ? (s’adapter ?).
Agir ? (Ecouter ?).
S’affronter ? (S’unir ?)
Camper sur ses positions ? (Suivre le mouvement ?)
Etre rigide ? (Etre flexible ?)
Occuper l’espace ? (Occuper TOUT l’espace ?)
Aimer le plein ? (Aimer le creux ?)
S’affirmer ? (Se fondre) ?
Etre soi ? (Etre l’autre ?)
Etre solide  (Etre liquide)

Station B3 : (Les petits n’aiment pas les gros)

Vivre ensemble…
Se côtoyer (se dominer ?)
Se ressembler (se suivre).
Se dominer (se fuir).
Se mélanger (être entre soi)
Se découvrir (se reconnaître)
La république (la communauté)…

Station B4 : (Les chaînes de force)

S’appuyer ? (Porter ?)
Compter sur l’autre ? (Soutenir ?)
Champ de force ou champs des possibles ?
La liberté d’avancer et de se perdre ou celle de résister et de construire ?
Prendre sa part et contribuer.
Répartir les efforts et partager…
£La peine comme la récompense ?
Ou s’arcbouter, et retarder l’inévitable…
Pour finir par tomber, et s’abandonner à la gravité du moment,
Pour un saut dans l’infini d’un monde devenu égoïste.

Station B5 : (L’eau ennemie ou amie)

Qu’est-ce qui nous relie ?
Qu’est-ce qui nous sépare ?
L’océan des mots….
Une remarque assassine, une phrase câline.
Des mots assénés, des promesses murmurées.
Des vers déclamés, des sentences proclamées.
La parole libère et les mots enchaînent.
La parole se libère et les mots s’enchaînent…
Entre noyade verbale et silence qui assèche,
Entre projet partagé et expérience solitaire,
La parole mesurée est la clé de tout…..

Station B6 : (Les forces électrostatiques)

Les attractions sont mystérieuses,
Et les séparations douloureuses.
Comment résister ?
Comment résilier ?
Ce qui nous attire nous détruit-il ?
Ce qui nous sépare nous libère-t-il ?
Comment bien aimer …
En se collant l’un à l’autre ?
Comment bien se quitter …
En se niant l’un l’autre ?
Du coup de foudre de la fusion
aux étincelles de la fission,
il y a de l’électricité dans l’air.

 

Paroles de Dieux

Deux candidats à être les mentors de l’humanité dialoguent dans plusieurs « lieux » d’une Terre qui se proclame Sainte. Qui est qui ? Qui pense quoi ? De quelle vision de l’homme sont-ils porteurs ? Quelles qualités leurs prêtent-ils ?  Les hommes sont-ils des grains indifférenciés dont on peut faire des châteaux de sable ? Où des graines  singulières d’où sortiront des arbres solides et autonomes ?

Station B2 : (La peur du vide)

Ils étaient là, au sommet de la montagne, devisant.

– Tu prétends toi aussi être le roi du monde ? Vois ce royaume à tes pieds. Vois comme il est vide !
– C’est un espace de liberté que tu ne peux pas comprendre. Tu voudrais que les gens restent à leur place et se contraignent les uns les autres. Comment existent-ils s’ils ne peuvent bouger ?
– Ils sont solidaires. Leur immobilité est la condition de leur survie.
– Mais que vaut-il mieux ? Vivre ou survivre ?
– Ne faut-il pas l’un pour assurer l’autre ?
– Survivre c’est sous vivre.
– S’associer est la condition de la liberté. Il n’y a de liberté que sociale.
– Il n’y a pas meilleure prison que celle que l’on se construit !
– Il n’y a surtout pas de meilleure prison que la solitude !

Station B1 : (Liquide ou solide)

Ils étaient là, sur la terrasse d’une des maisons de La Ville. Au loin, la figure massive du temple tentait de percer les brumes de la chaleur du matin. Et à leurs pieds, la multitude vivait, ignorante de leur dialogue.

– Est-ce là une ville ? Une foule piégée dans le labyrinthe des rues ?
– Où vois-tu une foule ? Je ne vois que des individus qui s’affirment, là et maintenant.
– Qui s’affirment ? Qui s’ignorent dirais-je plutôt. Chacun est invisible à l’autre.
– Invisible ! Et ce marchand là ! Et ce porteur d’eau ici ! Et ce comédien entouré d’enfants rieurs !
– Que des solitudes adjacentes…
– Et là, regarde comme ils font bloc face à cette femme impudique ! Vois comme ils agissent à l’unisson !
– L’unisson de la morale, l’unisson de la règle : l’unisson du refus de la singularité.  Regarde plutôt ce maraudeur. Vois comme il file le long des murs, se coule dans l’ombre des gens, s’affirme en se cachant !
– Ah, oui ? Et que serait-il sans la bourse des autres.

Station B3 : (Les petits n’aiment pas les gros)

Ils étaient là, au pied de La Tour, les yeux levés vers un sommet presque déjà perdu dans les nuages, surmonté d’échafaudages qui ne partiront jamais.

– Mais pourquoi sont-ils toujours fascinés par les hauteurs ?
– Tu le demandes ? Toi qui te prends pour le Très Haut ?
– Veulent-ils nous ressembler ou se mesurer à nous ?
– Ton « nous » me gène. Tout se passe ici-bas pour moi.
– Leurs tentatives d’ascension me fascinent !
– Elles m’amuseraient plutôt ! Vois comme ils partent sûrs d’eux, la tête haute, le sourire vainqueur. Et regarde les quelques spirales plus tard, suant, pleurant, geignant, s’écroulant.
– Mais ne renonçant pas ! Et c’est essentiel.
– Preuve ultime d’orgueil plutôt. Renoncer, c’est paradoxalement avancer.
– Etrange et spécieuse éloge de l’échec.
– Regarde plutôt ceux qui ignorent cet appel des hauteurs. Ils s’occupent des leurs. Leur bonheur est horizontal.
– Leurs attentes sont petites.
– Mais leurs objectifs atteignables, au moins.

Station B4 : (Les chaînes de force)

Ils étaient là, entre les deux premières colonnes du temple, l’un observant la cour où se préparaient les sacrifices, l’autre regardant le Saint des Saints, caché aux yeux du vulgaire et pourtant si présent.

– Combien de morts données sont-elles nécessaires pour Le remercier ou avoir Ses faveurs ? Pourquoi une ne suffirait-elle pas ? Les souffrances s’additionnent-elles ? Ne sont-elles pas toutes égales et infinies à la fois ? Le salut serait-il donc comptable ?
–  Ne comprends-tu donc rien ? Ces morts sont des leurres ! Elles sont toutes solitaires ! Pendant que le sang coule et qu’il hypnotise les hommes, ceux-ci ne s’occupent plus de leur destin, mais nourrissent leurs peurs et construisent Sa liberté.
– Ces morts sont les lettres d’une question qu’il ne faut jamais cesser d’écrire : comment vivre ?
– Regarde comme ils voudraient ne pas être de cette question ! Regarde comme ces pauvres créatures protestent et nous disent : « Trouvez un autre alphabet ! ».

Station B5 : (L’eau ennemie ou amie)

Ils étaient là, au sein de l’assemblée, mais personne ne les voyait. Qui voulait commentait La Parole, pendant que d’autres ratiocinaient.

– C’est le lieu de la raison à l’œuvre.
– Où est la raison dans La Parole ? Tout n’est qu’interprétation. Chacun y voit ce qui l’arrange ! Et on ne s’arrange pas avec la raison.
– Ne vois-tu pas que La Parole n’est littéralement qu’un pré-texte ! Une Parole qui suscite la parole, une parole qui suscite l’interrogation. Et l’interrogation n’est-elle pas le moteur de la raison ?
– Mais pourquoi cet artifice ? Ces créatures ne peuvent-elles raisonner en direct ?
– La pensée est une violence faite à la nature, qui ne veut pas de maître. La Parole est l’ennemie de la nature et l’amie des hommes.
– Faut-il vraiment choisir son camp ?

Station B6 : (Les forces électrostatiques)

Il était là, aux pieds du bois où son interlocuteur venait d’être pendu.

– Où est ta puissance maintenant ?
– Sous tes yeux aveuglés par l’amour de la vie et des hommes.
– Toi mort, mon règne commence pourtant.
– Idiot que tu es ! De toi ils s’éloigneront ! Plus ils se rapprocheront, plus ils te fuiront. Parce qu’ils te ressemblent.
– Je saurai les convaincre. La raison est un aimant puissant.
– Mais sa force est si faible face à la peur de mourir. Les hommes sont prêts à renoncer pour être rassurés. Leur rassemblement est à ce prix.
– Ce rassemblement est leur mort.
– Et leur mort sera un rassemblement.
– Si c’est là la rançon de leur humanité, je les ferai renoncer à elle. Et ils ne t’appartiendront alors plus.
– Même là, tu ne les posséderas jamais.
– Ce sera justement ma victoire. Ils seront libres enfin…..