Petit à petit, l’évidence s’impose, à tous, partout sur la planète : nous sommes arrivés au bout d’un modèle de développement simpliste qui vient aujourd’hui taper dans les murs de la complexité, et qui éprouvent les limites de la planète. Les preuves de cet épuisement sont d’abord physiques : les ressources se tarissent, mais pire, leur exploitation et leur usage déséquilibrent gravement l’écosystème global dont nous sommes totalement dépendants. Elles sont ensuite démographiques : plus de 7 milliards de personnes se partagent inéquitablement cette planète, se concentrent dans les villes, et sont violemment confrontés à la nécessité de partager espaces et ressources. Elles sont enfin systémiques : l’avènement d’une société ouverte, pour le pire comme pour le meilleur, voulu ou subi, a généré une complexité d’interactions culturelles, sociales, économiques et politiques sans précédent qui, si elles génèrent sans conteste de la valeur, induisent une complexité telle que seule une foi dans un génie humain digitalisé nous rassure quant à notre capacité à en maîtriser les effets.
Comment croire un seul instant – car il s’agit bien d’un acte de foi – qu’il nous suffit de trouver le bon réglage de la machinerie politique et économique actuelle pour atteindre les objectifs d’émancipation individuelle et de bonheur collectif que les Lumières ont définis il y a plus de deux siècles ? Comment penser que des systèmes de représentation, de prise de décision, de contrôle, nés et éprouvés les siècles précédents suffiront à relever le défi ? Comment espérer que les technologies – et le numérique particulièrement – contiennent en elles-mêmes, des vertus mécaniques induisant inexorablement un avenir meilleur ?
Confondre les moyens avec les objectifs est une erreur systématique, que l’humanité reproduit à chaque crise qu’elle rencontre. Et il nous faut, cette fois-ci encore, réaffirmer que la seule solution est de vivre en intelligence.
Vivre en Intelligence : que de sens cachés dans cette simple injonction !
« Vivre en intelligence » signifie d’abord vivre en interaction harmonieuse, où le respect de l’autre, l’articulation des projets individuels au projet collectif sont affirmés et mis en œuvre. Cette tempérance sociale est autant un préalable qu’un aboutissement, et c’est sur ce paradoxe que sont pensées et construites les sociétés démocratiques, paradoxe qui en induise la force et la fragilité. L’injonction est alors collective et s’adresse à tous.
« Vivre en intelligence » signifie ensuite se comporter individuellement en intelligence, c’est à dire s’imposer de lire le monde dans sa complexité, de se doter des outils pour le faire, en conciliant sa raison et sa sensibilité. Si l’injonction est ancienne (« Connais-toi toi même »), et si les Grecs ont les premiers tentés de construire les théories et les outils pour le faire, elle n’en est pas moins difficile, tant l’accès au savoir a longtemps été un parcours difficile, coûteux et chaotique. L’injonction est alors individuelle et s’adresse à chacun.
Ces deux injonctions, loin de s’opposer, s’articulent, et leurs accomplissements conditionnent nos succès collectifs et individuels. En fait, nos talents individuels sont les conditions de nos réussites collectives (et vice-versa).
L’éducation publique a connu depuis 200 ans une accélération exponentielle, et le nombre de personnes éduquées dans le monde a extraordinairement grossi en 100 ans. Nous pourrions penser alors que l’humanité est sur la bonne voie et que l’extrapolation de cette courbe devrait suffire à nous rassurer, et mieux encore à assurer notre avenir collectif. Il n’en est rien, et pour la bonne et simple raison que notre système éducatif porte en lui, autant qu’il l’induit, le système fou dont il nous faudra sortir.
Le rapport au savoir induit le rapport au pouvoir, et conditionnent nos organisations politiques et sociales, en en assurant évidemment la reproduction. Le problème est que nos organisations politiques et sociales datent – au mieux – d’un XXe siècle pyramidal et industriel. Dans un tel système, il faut définir une place à chacun, lui donner le savoir nécessaire à l’accomplissement de sa tâche et l’intégrer comme une élément de la hiérarchie pérenne de production de valeur : chacun à sa place, et une place pour chacun, et pour longtemps.
Cette approche est aujourd’hui intenable, car dans un XXIe siècle réticulé, nous devons changer de place très régulièrement, si ce n’est tout le temps. Les savoirs, les missions, les places sont changeantes, et il faut donc former des gens dotés d’intelligence bien plus que de savoir(s).
Notre responsabilité est alors plus que grande, elle est monumentale : Réinventer l’éducation pour la mettre en phase avec une organisation humaine en réseau.
Il nous sera alors possible de vivre, tous et chacun, en intelligence(s).