Asterix le Gaulois

Ou ‘Comment résister encore et toujours à l’envahisseur’

« Finalement, mon seul rival international c’est Tintin ! » avait présomptueusement lancé le Général De Gaulle en 1965. C’était compter sans la montée en puissance d’Astérix, ce petit gaulois moustachu et sa bande de copains, sur les albums duquel la France, puis le monde entier, allaient se précipiter. De phénomène de société, leur histoire allait aussi devenir un énorme succès commercial, puisqu’Astérix a fini par dépasser en millions d’exemplaires vendus son seul rival international Tintin (Et donc De Gaulle aussi, par transitivité).

Avec le recul du temps (Eh oui ! Déjà plus de 32 ans !), on s’aperçoit pourtant que tous les ingrédients d’une réussite inélluctable était inscrit dans l’Oeuvre.

Tout d’abord, le Papa d’Astérix est tout simplement René GOSCINNY, qui fut aussi le Père Fondateur de la BD moderne Française en créant PILOTE, creuset inépuisable de talents apparus dans les années soixantes. De fait, Astérix est né le même jour que Pilote, et en est devenu très rapidement la mascotte. Goscinny, c’est avant tout un professionnel sans faille, curieux et cultivé, doté d’une imagination débordante, et servie par un humour polymorphe (des calembours aux mots d’auteurs en passant par les  absurdités et les anachronismes), le tout lui permettant de jeter sur les hommes de ce temps, un regard ironique et tendre à la fois. Une telle ascendance ne pouvait que favoriser les réussites de ce rejeton.

C’est ensuite Albert UDERZO qui anime cet univers. D’un style très pur et original, fait de rondeurs et de mouvements, les dessins d’Uderzo servent à la perfection les scénarios de son compère. Les décors aux couleurs vives sont élaborés et accrocheurs, les personnages typés et évocateurs. A noter particulièrement le don de caricature d’Uderzo, qui n’hésite pas à donner régulièrement à certains de ses personnages (tout le temps des méchants) des têtes de personnalités du monde du spectacle. Loin de se cantonner à la mise en image, Uderzo a fortement marqué la nature même de la série, qu’il anime d’ailleurs seul maintenant depuis la mort de René Goscinny. On lui doit notemment le personnage du petit chien idéfix, qu’il s’est amusé à accrocher aux pas de nos héros tout au long du Tour de Gaule d’Astérix, alors que le scénario ne le prévoyait pas (d’où son nom).

Les personnages principaux, maintenant. Astérix et Obélix : un petit et un gros. L’un a le physique d’un enfant et raisonne en adulte, l’autre a le corps (hypertrophié) d’un adulte et se comporte comme un enfant. Le premier est mailngre et se sert de son intelligence, le second est fort et se sert de ses muscles. Quoi de plus classique narrativement que ce couple de héros si différents et si complémentaires ? Quoi de plus simple à articuler ! De ces contraires va naître la vie de la série.

Le Cadre de leur aventures, ensuite, est aussi dual. D’un côté un petit village peuplé d’une centaine de Gaulois aussi prompts à se chamailler qu’à se reconcilier. De l’autre, le Monde Romain (et au delà, puisque Astérix, bien avant Christophe Collomb découvrira l’Amérique dans la Grande Traversée). C’est de l’opposition et du choc de ces deux mondes que naitront le plus souvent les aventures de nos amis, même si parfois, le village en lui-même constituera un très classique et suffisant huis-clôs (le Devin, la Zizanie).

Elément essentiel, la Potion Magique ! Elle donne une force surhumaine à qui l’absorbe et est la cause douloureuse (Arrêtez les baffes !) du problème des Romains, incapables de venir à bout de cette poche de résistance. Pour importante qu’elle soit, la potion magique n’est pas en elle-même la clé de cet échec à l’invasion, qui doit plutôt être cherchée dans la capacité des Gaulois à mobiliser hommes et intelligence pour resister, encore et toujours, à l’envahisseur.

Dans le village Gaulois, outre Astérix et Obélix, certains caractères émergent nettement du lot tels l’indispensable druide Panoramix (le sage du village tout autant que sa pièce maîtresse puisqu’il détient le secret de la fameuse potion magique), le chef Abraracourcix (notable rusé et cabot) ou le barde Assurancetourix (qui essaya de faire naître le hard-rock avant son temps) que tout le monde adore quand il se tait. C’est en cela que le village constitue à lui seul une petite mécanique dramatique qu’il sera facile aux auteurs d’animer.

Régulièrement, donc, nos héros vont devoir quitter ce havre pour aller règler quelques problèmes, qui viennent toujours troubler leur quiétude villageoise (on est jamais tranquilles). Il faut noter que dans leurs périples, ils tombent systématiquement sur la même bande de Pirates, qu’ils prennent à chaque fois le même plaisir à tabasser ! (Il s’agit d’ailleurs d’un clin d’oeil explicite à une autre série de Pilote : Barbe Rouge)

Nos deux compères vont ainsi être amenés à parcourir le Monde, et partir à la rencontre de peuples différents. Ceci va alors permettre aux auteurs de faire la démonstration de leur sens de la caricature. Des Allemands aux Anglais, en passant par les Espagnols, les Egyptiens, les indiens (des deux sortes) les Suisses ou les Belges (Si ! Ils sont différents !), leur verve et leur esprit satirique vont s’exercer à merveille. (Très logiquement et bizarrement à la fois, seuls les italiens échappent par définition à cette caricature, puisqu’ils sont … romains). Cependant, loin de se moquer simplement des traits de caractères de nos voisins plus ou moins lointains, c’est aussi (et surtout) à une caricature de nos propres préjugés que les auteurs se livrent.

Car plus que des autres, les aventures d’Astérix nous parlent de nous, se moquent de nous. Nous, les Français. Dans le cadre du huis-clos du village, c’est explicitement nos traits de caractères qui sont moqués … ou exhaltés. L’esprit de clocher, le chauvinisme, la Bouffe, la Gaudriole d’un côté. La camaraderie, la raison (Descartes était gaulois!), la Bouffe, la défense des grandes causes,la résistance, et l’irrespect de l’autre. Et ce, que ce soit au travers de personnages, ou bien de comportements collectifs. Dans ce contexte, la confrontation avec d’autres peuples et cultures n’est que le stratagème mis en oeuvre pour révèler nos propres défauts et qualités.

Toujours poussés à l’extérieur, Astérix et Obélix reviennent invariablement au village, dont il ne peuvent se passer. La dernière image de tout album d’Astérix – un banquet au clair de lune- symbolise bien cette nécessité absolu du retour aux racines.

Ce village ne serait-il donc pas le symbolique receptacle de certaines valeurs, intouchables, mais soumises sempiternellement à la menace de la disparition ? Ces valeurs ne seraient-elles pas des valeurs humanistes, profondément enracinées dans notre histoire, et auxquelles nous tiendrions farouchement, telle la liberté (de jugement, de parole et d’action), le droit à la différence, la puissance éclairante de la raison ? Si tel est bien le cas, et si le succès international de la série se maintient, tous les espoirs nous sont donc permis : Ce village risque un jour de ressembler à la Terre (mais où seraient les envahisseurs ? Chercher l’erreur !).

(mai 1990)

Publié dans BD

Boule et Bill

ou « La famille a du Chien »

Boule et Bill : deux noms qui roulent. Un enfant et un chien. Deux amis inséparables qui habitent depuis 30 ans dans le journal SPIROU. Deux personnages qui n’ont pas grandi et qui ont pourtant tellement changé, et dont l’univers est le lieu de plus d’un millier de gags. Oyez ! Oyez ! les Petits qui deviendrez Grands, et les Grands qui ont su rester Petits. Oyez l’histoire de l’aventure derrière les conventions.

Il est en effet un genre en Bandes Dessinées -et particulièrement pratiqué aux Etats-Unis- qui a pour nom Family Strip (non ! Pas la famille en lambeaux !). Les lois en sont simples, les ressorts connus, pusique la famille y est en effet le lieu du drame. Par famille, il faut comprendre d’abord des personnages (un papa, une maman, quelques enfants -pas trop-, , et un animal -indispensable-, quelques copains et des voisins- déagréables de préférence- ).

Ces personnages sont en règle générale trés conventionnels, et n’ont pas de caractéristiques sociales ou culturelles qui les fait sortir d’une norme. Ils sont en fait le miroir de leur lecteur, des individus moyens. La famille c’est aussi un lieu (une maison, un jardin, des meubles), lieu aussi fixe que les personnages le sont dans leurs comportements. C’est donc dans un univers très bien délimité que les gags, et les aventures domestiques vont se développer. Le fait même que tout soit connu contribue mécaniquement au plaisir du lecteur, qui est en fait chez lui.

La série Boule et Bill appartient ainsi totalement à ce genre. Qu’on en juge. Boule est le fils d’un cadre moyen, propriétaire d’un petit pavillon de banlieue. Ce papa est très classique, il a une 2CV citroën (ce qui le classe tout de suite socialement), regarde le foot à la télévision, fait la sieste après la lecture de son quotidien, et a des ennuis avec le fisc. La maman de Boule est elle aussi une caricature, elle dépense de l’argent (pour des frivolités, considére évidemment son mari) et a peur des souris. Rien que des conventions, on l’admettra.

Mais voilà, deuxième personnage du couple, le chien Bill va petit à petit se révéler être le grain de sable (le grain de folie ?) qui va dérégler cette mécanique du quotidien, et qui va révéler derrière les conventions, un monde d’humour, de poésie, de non-conformisme : bref, l’antinomie de cet univers bourgeois, confortable, rembouré et faux, comme un fauteuil en Skaï.

Cocker roux, Bill est en effet paresseux, il ne pense qu’à dormir, manger et s’amuser : toutes choses qui ne s’affiche pas quand on est un type comme il faut ! Qui plus est, Bill n’aime pas les uniformes. Qu’ils s’agissent des porteurs de soutanes, de galons ou de revolvers, ils ont tous droit à l’expression canines (comme les dents) de sa phobie. Les Chasseurs n’ont aussi droit à aucune circonstances atténuantes. Car Bill est un ami des bêtes. N’abrite-t-il pas régulièrement dans sa niche toute une famille d’oiseau en quête d’un refuge ? N’est-il pas amoureux de la tortue Caroline (lente, mais séductrice), elle aussi, autre personnage en marge de ce monde des hommes où va trop vite, inutilement trop vite ? Bill déteste l’eau, et finit toujours par succomber aux honteux stratégèmes fomentés par ses frères supérieurs pour le mettre au bain. C’est donc par Bill que le scandale arrive, que l’univers se détraque.

La chose est clair  ! Bill est le véritable héros de cette série. Au départ partenariat équilibré, les projecteurs se sont de plus en plus focalisé sur ce petit animal jouisseur. L’évolution même des titres des albums de la série illustre parfaitement cette dérive. Jusqu’au 7ème album, ceux-ci s’appellent tout simplement « 60 Gags de Boule et Bill », et seul un numéro les différencie. Le 8ème Album annonce le changement qui va s’opérer, puisqu’il porte le titre de « Papa, Maman, Boule … et Moi ». Sur la couverture, les humains sont représentés dans des cadres accrochés au mur, pendant que Bill (et Caroline) sont eux bien vivants ! La signification en est claire : ceux-là sont prisonniers de leur cadre ! nous, nous sommes libres ! A partir de cet album, à peu près tout les titres vont être centrés sur Bill (jeux de Bill, Une vie de Chien, coquin de cocker, …)

Bill apporte donc de la fraicheur à cet univers, et cette fraicheur s’exprime par ses incongruités et son non-conformisme. Parfois l’auteur -qui se cache, c’est sûr, derrière ce chien rigolo- introduit l’étrange dans ses bandes, comme pour mieux faire se faire entendre : Tout ceci n’est évidemment que convention. Regardons de l’autre côté du miroir ! Ainsi, la maison de Boule est elle souvent décoré de cadres champètres (non! pas de gardes-champètres) desquels des petits oiseaux sortent parfois leur têtes pour observer les agitations de ce petit monde (des dessins animés dans une bande dessinée quoi !).

Parmi les meilleurs albums de la série, citons particulièrement « Globe-Trotters ». Histoire complète (et non plus une série de gags d’une page), il relate les aventures de Boule et Bill enmenés dans un tour du monde fou, fou, fou ! Vainqueurs d’un concours (celui du meilleur ami), nos deux amis vont être pilotés par un accompagnateur obsédé des horaires dans un pélérinage circumterrestre. Ce voyage n’est d’ailleurs pas que géographique, puisqu’en fait, Boule et Bill vont  y rencontrer un kyrielle de personnages de BD. L’album est intéressant, aussi parce qu’il fait exploser le genre auquel s’était jusqu’à présent nourri la série. Au revoir l’intérieur bourgeois, bonjour le Monde !

Cousin canin de Gaston (il en a le côté non-conformiste et jouisseur, voir le Lien du mois de Mars), Bill est aujourd’hui entré dans la légende, et figure dès à présent au côté de ses autres frères de races au Who’s Who (ou plutôt au Wouaf Wouaf) de la BD que sont Milou et Snoopy. Moins hermétique et désespéré que l’univers de Georges Schultz, le monde de Roba, auteur de ce petit chef d’oeuvre, est au contraire bourré d’optimisme et de joie de vivre. Et nul doute qu’il nous invite à suivre le modèle qu’il nous dessine (car c’est bien son dessein).

Nous sommes tous des cockers !!! (Non ! pas des bergers allemands).

(Mars 1990)

Le génie de Lagaffe

où « De la Gaffe considérée comme un acte créateur »

GASTON LAGAFFE : Ce seul nom fait immédiatement venir un sourire hilare aux lèvres d’au moins 3 générations de lecteurs de bandes dessinées francophones. D’une candeur et d’une ingéniosité sans pareilles, ce  champion universel de la gaffe  (c’en est presque monstrueux) a en effet été capable de provoquer chaque semaine les pires catastrophes, sans pour autant que le Monde ne s’en porte plus mal, bien au contraire. En produisant 15 albums en plus de 30 ans, son auteur, le génial Franquin, a pu donner naissance à un personnage attachant, qui a non pas vieilli, mais bien rajeuni au cours de toutes ces années. Au départ Simple gaffeur, Gaston Lagaffe a vu sa personnalité s’étoffer, et ce qui n’était qu’un gros défaut est devenu au contraire le marque définitive de son génie créateur.

Et tout d’abord, qui est Gaston Lagaffe ? Il apparait brusquement en tant qu’employé (mais personne ne sait qui l’a embauché !) de la rédaction de l’hebdomadaire Spirou, celui-là même qui publie ses aventures. Héros sans emploi, il va très rapidement donner la mesure de son talent : faire des gaffes.

Le ressort de cette série est donc simple, et se rapproche d’un genre littéraire très prisé au Etats-Unis (malheureusement mal aimé en France) : la Short-Short story.  Chaque gag faisant une page, il faut en quelques images construire une histoire et amener une chute inattendue. Comme en littérature, ce genre nécessite un style évocateur et un très grand sens de la construction. Ici, tout doit concourir à l’avènement de la chute et le superflu n’a pas sa place.

Afin de pouvoir donner l’occasion à Gaston de créer des événements, Franquin a dû concevoir un certain nombre d’invariants dans l’univers du personnage. Ce cadre permanent va ainsi permettre à Franquin d’exploiter des thèmes qui seront autant de références pour le lecteur, qui retrouvera avec confort un univers connu et qui sera ainsi d’autant plus surpris par l’émergence de la gaffe tant attendue. Cette répétition des thèmes permet aussi à l’auteur d’utiliser une technique humoristique vieille comme le monde : le comique de répétition. Passons en revue quelques uns de ces thèmes.

Le travail : il est très rare de voir Gaston travailler. D’ailleurs, le mot travail lui-même provoque chez lui une allergie monstrueuse qui le fait éternuer violemment. Tous les moyens sont bons pour échapper à la monotonie mécanique d’une journée standard d’employé de bureau. Et les moyens ne manquent pas.

La Chimie : Gaston est un curieux, les sciences le passionnent. Il est donc un fervent amateur du Petit Chimiste, qu’il a emprunté à son petit neveu. Son objectif : concevoir la première cire pour parquet qui ne glisse pas. Objectif ambitieux si l’on en juge par les résultats qu’il obtient, puisqu’à chaque vaporisation de sa dernière formule, les plancher s’effondrent ou se transforment en patinoire olympique.

La Musique : Gaston aime la musique. Après avoir essayé (sans succès) la guitare et le trombone, il crée ce qui est son chef d’oeuvre : le Gaffophone, sorte de harpe africaine dégénérée qui a la particularité de tout détruire au moindre pincement de ses cordes. Seul le tympan de Gaston reste insensible (bien au contraire !) aux ouragans que l’instrument déchaîne. Par ailleurs, Gaston est aussi grand amateur d’appeaux, qu’il conçoit lui-même, et qui font accourir toutes sortes de volatiles, mais rarement ceux attendus.

Manger : Avec la sieste (mais l’un ne va pas sans l’autre) la nourriture constitue l’un des péchés mignons de Gaston. Là encore, il laisse libre cours à son imagination débordante, puisqu’il n’hésite pas à concevoir les recettes les plus audacieuses, que les palais et les estomacs les plus blindés auraient du mal à supporter. Pour assouvir sa passion il doit d’ailleurs déjouer l’attention policière de ses supérieurs hiérarchiques et imaginer les plus complexes stratagèmes pour se procurer boites de conserves et ouvres-boites.

Les copains : Le monde pourrait s’estimer heureux s’il n’y en avait qu’un. Mais voilà ! Ils sont plusieurs ! Que ce soit Jules-de-chez-Smith-en-face ou Bertrand Labévue, ils partagent tous cette même caractéristique : semer la confusion.

Les animaux : Gaston aime la nature. Il n’hésite pas à élever toute une véritable basse cour au sein des bureaux de la rédaction. Que ce soit la vache de son oncle qu’il tente de guérir d’une dépression, où son poisson rouge Bubulle, pour qui il conçoit un complexe de tuyauteries transparentes à travers les locaux (sinon il s’ennuierait ! proclame-t-il), ou bien Cheese, sa souris grise qui fait ses choux gras des archives de la maison, Gaston fait preuve de la plus grande tendresse envers ses frères inférieurs. Il nous faut à ce sujet particulièrement citer les pensionnaires permanents de la Ménagerie Lagaffe que sont sa mouette rieuse (au caractère détestable) et son chat. Ces deux-là aident efficacement gaston dans l’animation de ce petit théâtre.

Les Contrats : Expliquons nous. Mr Demaesmeker – industriel (mais que vend-t-il ?) –  cherche à signer un contrat avec la maison qui emploie Gaston. Hélas ! chaque tentative est définitivement vouée à l’échec. Le talent dévastateur de Gaston aura raison (même en son absence, même en plein ciel !) de toutes les bonnes volontés. Le plus incroyable, c’est que les protagonistes essayent toujours et malgré tout de les signer , ces fameux contrats !

Mademoiselle Jeanne : Au départ obscure secrétaire de la rédaction, M’oiselle Jeanne est amoureuse de Gaston, qui le lui rend bien. Seule présence féminine consistante, M’oiselle Jeanne s’est sensiblement modifiée en quelques années. Et de véritable boudin (qu’est-ce-qu’elle était moche !) elle s’est transformée en rousse émoustillante toute de fantaisie évaporée. La relation des deux jeunes gens est ainsi assez forte pour que Gaston emprunte momentanément la grue d’un de ses pompiers amis afin de jouer aux cartes avec  une Jeanne condamnée à rester dans sa chambre, par une mère sans pitié (elle habite donc chez ses parents !).

On l’aura compris, Gaston est un créateur. Plus qu’une simple propension à la catastrophe, ses gaffes sont plus l’expression d’un décalage entre un certain monde (celui de la routine quotidienne) et l’idéal, l’insouciance, l’enthousiasme qui le caractérisent. Telles des plaques tectoniques, ces deux mondes sont en friction, et les gaffes de Gaston ne sont que les symptômes de cette faille culturelle.

Cette dimension plus socio-culturelle apparait de plus en plus explicitement au fur et à mesure que l’auteur lui-même évolue. Implicites ou inavoués au départ, les thèmes sur l’écologie, les droits de l’Homme, le droit à la différence, la défiance des ordres policés (ou policiers!) se font de plus en plus présents dans les derniers albums.

De paresseux congénital subissant sa gaffomanie, Gaston est devenu un être plus volontaire, plus libre et pour lequel les gaffes n’apparaissent alors que comme le signe de l’utilisation de son libre arbitre. La gaffe devient alors un pur acte de création.

Publié dans BD

Les Schtroumpfs

ou « Du Conte Philosophique au Merchandising »

Schtroumpfs, Smurfs, Puffi, Pitufos … Tels sont les noms de ces fameux petits lutins bleus, qui ont fait  en quelques années le tour du Monde, et sa conquête. Mais ce public schtroumpfophile portant T-shirts, montres, cartables, chaussures ou portes-clés aux effigies de ce petit peuple sait-il qu’ils sont nés en Belgique, il y a bientôt trente ans, et qu’ils ont vécus 20 années d’aventures épisodiques à travers moins d’une dizaine d’albums de BD ? Sait-il, qu’avant de faire la joie et la richesse de leurs auteurs à travers leur merchandising, qu’ils furent les personnages de fabuleux petits contes philosophiques, ciselés et construits comme les Fables de la Fontaine, en y développant des idées simples et en y proposant une morale ? C’est ce que nous allons essayer de vous montrer à travers un petit voyage au pays des Schtroumpfs.

Et avant toute chose, plantons en d’abord le décor. Construction dramatique classique, l’univers des schtroumpfs est un monde clos. Clos, il l’est d’abord géographiquement : les Schtroumpfs vivent en effet dans le « Pays Maudit » (on l’évite donc, puisqu’il est maudit), zone boisée entourée de déserts et de montagnes. Seule la faune partage avec eux ce pays, qu’a priori aucun être humain ne doit pénétrer.

Clos, il l’est aussi d’un point de vue social. La société des schtroumpfs est en effet une communauté très structurée, dirigée par un vieux schtroumpf, sage et respecté (le grand schtroumpf). Les différences entre Schtroumpfs sont d’ailleurs à la base de la structuration de cette société. Chacun d’entre eux possède en effet une caractéristique unique, psychologique ou professionnelle, et ils sont identifiés en fonction de cette caractéristique : le schtroumpf costaud, le schtroumpf timide, le schtroumpf bricoleur, le schtroumpf jardinier. Enfin, le monde des schtroumpfs est un monde sans femme (enfin presque).

Clos, il l’est enfin du point de vue du langage. Les schtroumpfs possèdent en effet leur propre langue. Dans celle-ci certains mots, ou une partie de certains mots sont remplacés par le radical Schtroumpf. Il faut d’ailleurs savoir que ces remplacements obéissent à des règles de substitutions très précises.

Ce décor étant planté, ce sont donc ces ressorts qui vont être systématiquement utilisés par les auteurs pour animer ce monde et développer des thèmes multiples.

L’intrusion d’un élément maléfique et étranger à cet univers est souvent à la base des récits des petits hommes bleu. Cet élément étranger se trouve être très régulièrement le Sorcier Gargamel qui a juré la perte de ces petits lutins. Il en a effectivement besoin pour les dissoudre (les pauvres !) dans une potion magique qui lui donnerait alors le pouvoir de transformer les métaux en or !!! Comme il lui est difficile de trouver le village des schtroumpfs, Gargamel essaye de les détruire par des créatures nés de sa magie. Ainsi, dans l’album « La Schtroumpfette », Gargamel essayent de semer la discorde entre les petits schtroumpfs en y envoyant une créature féminine (n’oublions pas que tous les schtroumpfs sont des garçons !). Cette schtroumpfette est en effet un véritable danger ambulant, et les auteurs nous donnent à penser que son danger provient de sa féminité. La recette magique qui lui donne naissance est d’ailleurs un petit morceau d’anthologie de la misogynie (Cf.l’illustration !). Frivole, bavarde, superficielle, elle n’en fera pas moins chavirer le coeur des petits bonshommes, qui vont alors se disputer violemment les amours de cette créature. La morale est ici implicite : « Méfiez-vous des femmes ! « .

« Le Schtroumpfissime » est un véritable petit conte philosophique, sur le pouvoir, ses tentations et ses déviations. Patriarche et chef de la communauté, le Grand Schtroumpf doit s’absenter longuement du village. A cette occasion, les schtroumpfs décident de se doter d’un nouveau chef, à travers des élections. Parmi les candidats, il en est un qui découvre les délices de la démagogie et des promesses faciles. Arrivé au pouvoir, ce schtroumpf se nommera Schtroumpfissime et mettra en place ce qui ressemble tout bonnement à une dictature. Qui dit Pouvoir, dit contre-pouvoir. Les Schtroumpfs vont donc s’organiser pour combattre le despote. Et c’est en pleine guerre civile que le grand Schtroumpfs fera son retour, et réconciliera évidemment tout le monde. Ce petit bijou d’humour et d’intelligence nous met en garde, à sa manière, contre les abus du pouvoir, ses ivresses, mais aussi contre les complicités que ces abus impliquent et nécessitent.

Dans « Vert Schtroumpf et Schtroumpf vert », c’est le langage qui sert de prétexte aux auteurs pour aborder le problème de la discrimination. Comme nous l’avons dit, le langage schtroumpf obéit à des règles de construction précises. Elles sont cependant assez floues pour laisser la place à l’ambiguïté (en effet, une pomme de schtroumpf peut aussi bien être une pomme de terre qu’une pomme de pin !). Le village schtroumpf se trouve être divisé en deux parties – le Sud et le Nord – chacune des parties appliquant les règles du langage de manière différente. Ainsi, pour un tire-bouchon, les schtroumpfs du Nord parlent d’un tire-bouschtroumpf, alors que pour ceux du Sud il faut dire schtroumpf-bouchon. De même, le Petit Chaperon Rouge sera le Petit Chaperon Schtroumpf pour les premiers, alors qu’il s’agira bien du Petit Schtroumpferon Rouge pour les seconds ! Cette légère différence va bientôt être le prétexte à un affrontement de plus en plus violent entre les deux parties du village, chacune accusant l’autre de toutes les tares et de tous les maux. Il faudra toute l’astuce du grand schtroumpf pour ressouder instantanément les deux parties, face à l’attaque du village par Gargamel. Là encore, il s’agit d’une petite fable humoristique et lucide, qui démontre combien les démons de l’exclusion peuvent se nourrir de simples différences entre deux groupes.

On le voit, avant de connaître un succès mondial, les schtroumpfs ont donné naissance à de merveilleuses petites histoires, véritables mécaniques de précision narrative. Malheureusement, en devenant des stars, les schtroumpfs ont beaucoup perdu de leur âme et de leur intelligence. Objets commerciaux, ils ont du passer à la Moulinette des études marketing et du merchandising. Gommés les différences ! Au revoir le conte philosophique ! Par ici la monnaie ! Depuis l’avènement de leur success story, les schtroumpfs n’ont donné naissance à aucun album majeur, les personnages se sont affadis, les scénarios aussi. Pouvait-il en être autrement ? Ou au contraire, doit-on en déduire que pour plaire au monde entier, il faut gommer ses caractéristiques et sa personnalité ? La destinée d’autres héros universels, tel Mickey Mouse ou Snoopy sont la preuve du contraire. Voilà une leçon – une morale même ! – qui aurait pu donner naissance à une belle histoire de schtroumpfs, mais du temps de leur grandeur.

Publié dans BD

Tintin

un témoin du XXème siècle

De tous les héros de Bandes Dessinées, Tintin est certainement celui qui a le plus été admiré … et décrié à la fois. Parmi ses détracteurs se trouvent ceux qui reprochent à l’oeuvre d’Hergé – ainsi qu’à la bande dessinée en générale – d’être un monde enfantin, et déconnecté de la réalité. Or, si l’on prend le soin de relire attentivement l’ensemble des aventures de ce héros universel, il apparait qu’il n’en est rien. Né en 1929, au moment même où certains businessmen déprimés se jetaient du haut des buildings de Wall Street, Tintin a été le témoin de ce Siècle passionnant (d’ailleurs n’est-il pas reporter ?). De la découverte de la Russie Soviétique (1929), jusqu’aux révolutions d’Amérique du Sud (1976), chacun de ses albums apparait comme une tranche d’histoire, grâce à laquelle les valeurs et les tendances d’une époque se révèlent. Feuilletons pour nous en convaincre quelques albums de cet éternel jeune homme.

Dans ses aventures au Pays des Soviets (1929), Tintin découvre et dénonce les malversations ‘imaginaires’ d’un régime Stalinien, au cours d’un périple rocambolesque. Cet album a longtemps été un symbole pour les détracteurs d’Hergé, qui lui reprochaient une vision simpliste de la réalité. Quoi que l’on puisse en penser, il est toutefois difficile de prétendre que l’oeuvre d’Hergé était incolore et inodore ! l’engagement d’Hergé y est complet et corrosif ! A y regarder de plus près, l’album est d’ailleurs beaucoup moins explosif aujourd’hui qu’à cette époque, où deux visions du monde – radicalement différentes – s’affrontaient sur le terrain … comme dans les salons.

Malgré ce début très ‘politique’, il a fallu attendre la parution du « Lotus Bleu » (1933) sous le titre « Les Aventures de Tintin en Extrême-Orient » pour revoir explicitement resurgir l’Histoire dans l’Oeuvre d’Hergé. Ayant décidé de transporter son héros dans cette partie du Monde, Hergé dut se documenter largement pour éviter les ‘incidents diplomatiques’. C’est à cette occasion qu’il rencontra l’Orient, dont la Civilisation et la Pensée l’auront fasciné et influencé jusqu’à la fin de ses jours. C’est d’ailleurs aussi à cette occasion que Tintin est véritablement né. La guerre sino-japonaise sert de décor politique à cette aventure, où Tintin prend ouvertement parti pour la Chine, ce qui lui vaudra après la guerre, une invitation permanente et officielle à s’y rendre en visite. A noter que, en chemin pour Shangaï, Tintin fit une halte  … à Singapour ! On ne sait d’ailleurs pas ce qu’y furent ses aventures, mais des recherches sont en cours …

L’oreille cassée (1936) permet à Hergé de jeter un oeil critique sur les républiques bananières d’Amérique du Sud de l’époque. Au San Théodoros, pays imaginaire, l’armée compte plus de colonels que de soldats et les révolutions s’y succèdent à un rythme infernal. On y voit ainsi un peuple blasé, acclamer à quelques minutes d’intervalles, le nom de son nouveau leader, au fur et à mesure de l’arrivée de nouvelles contradictoires. Tintin s’oppose dans cet album aux affrontements, par dictateurs interposés, de consortiums multi-nationaux convoitant des richesses minières.

Dans Le Sceptre d’Ottokar (1937), en visite dans un royaume balkanique (la Syldavie) Tintin va déjouer un complot visant à en destituer le Monarque. Fomenté de l’intérieur, le coup d’état devait être appuyé par les Milices de Fer d’un pays voisin (la Bordurie) soumis à la Dictature. C’est en fait l’Anschluss – l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne Nazie – qui a directement inspiré ce scénario à Hergé. D’ailleurs, le patron des Milices de Fer ne s’appelle-t-il  pas Müstler, compression de Mussolini et Hitler ?

Interrompu par la 2ème Guerre Mondiale, Au pays de l’Or Noir permet à Hergé de nous donner une vision prémonitoire sur l’importance du pétrole dans l’équilibre du monde. En fait, cet album est la meilleure preuve de l’ancrage de l’oeuvre d’Hergé dans l’histoire directe. Au début de sa parution en 1939, l’histoire se déroule en Palestine sous protectorat anglais, et tintin s’y fait enlever par les militants de l’Irgoun, qui se battaient violemment pour l’existence d’un état israëlien. Dans sa version définitive (1950), la Palestine a cédé la place à un état imaginaire (le Kehmkah), et les soldats anglais ainsi que les militants sionistes ont disparus.

Conçu dans une Belgique occupée par le Troisième Reich, l’Etoile Mystérieuse est lui aussi un album qui fut remanié après guerre. Dans cette histoire on voit en effet deux expéditions scientifiques en compétition pour prendre possession d’un aérolithe constitué d’un minerai précieux. l’aspect politique de la chose vient du fait que la première expédition (la bonne) est constituée de savants originaires de pays soutenant les puissances de l’Axe, alors que l’autre (la mauvaise) est tout simplement … Américaine ! L’album valut d’ailleurs à Hergé d’être traité de collaborateur. Quoi qu’il en soit, d’Américaine, Hergé transforma l’expédition en Sao-Ricaine, pays mythique.

L’affaire tournesol nous permet de revenir en Bordurie, la dictature évoquée dans le Sceptre d’Ottokar. Nous y découvrons un pays marqué par la réelle omniprésence des moustaches de son dictateur (Pleksi-Gladsz). Il n’est pas un seul lieu, un seul objet où ne s’impose ces moustaches, symbole de la toute puissance du potentat. Le lecteur pourra d’ailleurs s’amuser à rechercher ces attributs dans le décor fouillé de cet album. Inventeur d’un procédé doté d’un potentiel effroyablement destructeur, le professeur Tournesol y est enlevé pour être délivré grâce à l’aide involontaire, bien qu’heureuse, de la Croix Rouge.

Dernier album de la série, Tintin et les Picaros est inspiré par l’aventure de Regis Debray, parti dans les années 60 à la rencontre des Guerilleros et fait prisonnier par le gouvernement qu’ils combattaient. De retour au San Théodoros, déjà décrit dans l’Oreille cassée, Tintin y vient pour délivrer ses amis emprisonnés arbitrairement par le dictateur du moment, et il aidera les guérilleros (les picaros) à destituer ce dernier. Dans cet album, Hergé prend cependant ses distances, et ne prend pas parti pour la clique en place ou les révolutionnaires. Au début de l’Histoire, des gardes armés déambulent dans des Favellas sordides où l’on chante le nom du Général Tapioca. Dans la dernière image de l’album, les gardes on changé d’uniforme, c’est maintenant le nom du général Alcazar qui est loué, mais les favellas sont les mêmes. C’est donc un regard désenchanté – certains diront lucide – qu’Hergé jette à ce moment sur l’Histoire.

A travers les aventures de son héros, le regard d’Hergé sur le monde est donc toujours resté ouvert et curieux. De la vision manichéenne de ses premiers albums, il ne reste plus rien dans les dernières oeuvres de l’auteur. Lucide, mais jamais désabusé, Hergé a toujours conservé une vision humaniste du monde des hommes. En 60 ans d’existence, Tintin a simplement fini par comprendre que ce monde était complexe, tous simplement …

Publié dans BD

« Les mathématiciens préparent la révolution » : entretien avec Eric cardot

Eric Cardot, documentariste, a le projet de réaliser un documentaire sur les mathématiciens qui ont choisi de faire autre chose que des mathématiques.

Il m’a contacté après avoir entendu mon intervention enregistrée lors d’une conférence de la Chaire « Modélisation des Imaginaires », dirigée par Pierre MUSSO, et à laquelle Strate Collège collabore.

Nous avons donc pris rendez-vous, en mai dernier, pour que nous fassions connaissance, au travers de sa caméra.

Informelle, cette discussion filmée a été pour moi l’occasion d’exprimer pour la première fois un discours sur les mathématiques, l’informatique, et le design.

Je le partage avec vous aujourd’hui.

Petite présentation personnelle 1 : des maths à la résolution de problème

Petite présentation personnelle 2 : du multimedia au design

Les mathématiques, l’informatique, et moi

 

Quel rapport avec le design ?