Ou ‘Comment résister encore et toujours à l’envahisseur’
« Finalement, mon seul rival international c’est Tintin ! » avait présomptueusement lancé le Général De Gaulle en 1965. C’était compter sans la montée en puissance d’Astérix, ce petit gaulois moustachu et sa bande de copains, sur les albums duquel la France, puis le monde entier, allaient se précipiter. De phénomène de société, leur histoire allait aussi devenir un énorme succès commercial, puisqu’Astérix a fini par dépasser en millions d’exemplaires vendus son seul rival international Tintin (Et donc De Gaulle aussi, par transitivité).
Avec le recul du temps (Eh oui ! Déjà plus de 32 ans !), on s’aperçoit pourtant que tous les ingrédients d’une réussite inélluctable était inscrit dans l’Oeuvre.
Tout d’abord, le Papa d’Astérix est tout simplement René GOSCINNY, qui fut aussi le Père Fondateur de la BD moderne Française en créant PILOTE, creuset inépuisable de talents apparus dans les années soixantes. De fait, Astérix est né le même jour que Pilote, et en est devenu très rapidement la mascotte. Goscinny, c’est avant tout un professionnel sans faille, curieux et cultivé, doté d’une imagination débordante, et servie par un humour polymorphe (des calembours aux mots d’auteurs en passant par les absurdités et les anachronismes), le tout lui permettant de jeter sur les hommes de ce temps, un regard ironique et tendre à la fois. Une telle ascendance ne pouvait que favoriser les réussites de ce rejeton.
C’est ensuite Albert UDERZO qui anime cet univers. D’un style très pur et original, fait de rondeurs et de mouvements, les dessins d’Uderzo servent à la perfection les scénarios de son compère. Les décors aux couleurs vives sont élaborés et accrocheurs, les personnages typés et évocateurs. A noter particulièrement le don de caricature d’Uderzo, qui n’hésite pas à donner régulièrement à certains de ses personnages (tout le temps des méchants) des têtes de personnalités du monde du spectacle. Loin de se cantonner à la mise en image, Uderzo a fortement marqué la nature même de la série, qu’il anime d’ailleurs seul maintenant depuis la mort de René Goscinny. On lui doit notemment le personnage du petit chien idéfix, qu’il s’est amusé à accrocher aux pas de nos héros tout au long du Tour de Gaule d’Astérix, alors que le scénario ne le prévoyait pas (d’où son nom).
Les personnages principaux, maintenant. Astérix et Obélix : un petit et un gros. L’un a le physique d’un enfant et raisonne en adulte, l’autre a le corps (hypertrophié) d’un adulte et se comporte comme un enfant. Le premier est mailngre et se sert de son intelligence, le second est fort et se sert de ses muscles. Quoi de plus classique narrativement que ce couple de héros si différents et si complémentaires ? Quoi de plus simple à articuler ! De ces contraires va naître la vie de la série.
Le Cadre de leur aventures, ensuite, est aussi dual. D’un côté un petit village peuplé d’une centaine de Gaulois aussi prompts à se chamailler qu’à se reconcilier. De l’autre, le Monde Romain (et au delà, puisque Astérix, bien avant Christophe Collomb découvrira l’Amérique dans la Grande Traversée). C’est de l’opposition et du choc de ces deux mondes que naitront le plus souvent les aventures de nos amis, même si parfois, le village en lui-même constituera un très classique et suffisant huis-clôs (le Devin, la Zizanie).
Elément essentiel, la Potion Magique ! Elle donne une force surhumaine à qui l’absorbe et est la cause douloureuse (Arrêtez les baffes !) du problème des Romains, incapables de venir à bout de cette poche de résistance. Pour importante qu’elle soit, la potion magique n’est pas en elle-même la clé de cet échec à l’invasion, qui doit plutôt être cherchée dans la capacité des Gaulois à mobiliser hommes et intelligence pour resister, encore et toujours, à l’envahisseur.
Dans le village Gaulois, outre Astérix et Obélix, certains caractères émergent nettement du lot tels l’indispensable druide Panoramix (le sage du village tout autant que sa pièce maîtresse puisqu’il détient le secret de la fameuse potion magique), le chef Abraracourcix (notable rusé et cabot) ou le barde Assurancetourix (qui essaya de faire naître le hard-rock avant son temps) que tout le monde adore quand il se tait. C’est en cela que le village constitue à lui seul une petite mécanique dramatique qu’il sera facile aux auteurs d’animer.
Régulièrement, donc, nos héros vont devoir quitter ce havre pour aller règler quelques problèmes, qui viennent toujours troubler leur quiétude villageoise (on est jamais tranquilles). Il faut noter que dans leurs périples, ils tombent systématiquement sur la même bande de Pirates, qu’ils prennent à chaque fois le même plaisir à tabasser ! (Il s’agit d’ailleurs d’un clin d’oeil explicite à une autre série de Pilote : Barbe Rouge)
Nos deux compères vont ainsi être amenés à parcourir le Monde, et partir à la rencontre de peuples différents. Ceci va alors permettre aux auteurs de faire la démonstration de leur sens de la caricature. Des Allemands aux Anglais, en passant par les Espagnols, les Egyptiens, les indiens (des deux sortes) les Suisses ou les Belges (Si ! Ils sont différents !), leur verve et leur esprit satirique vont s’exercer à merveille. (Très logiquement et bizarrement à la fois, seuls les italiens échappent par définition à cette caricature, puisqu’ils sont … romains). Cependant, loin de se moquer simplement des traits de caractères de nos voisins plus ou moins lointains, c’est aussi (et surtout) à une caricature de nos propres préjugés que les auteurs se livrent.
Car plus que des autres, les aventures d’Astérix nous parlent de nous, se moquent de nous. Nous, les Français. Dans le cadre du huis-clos du village, c’est explicitement nos traits de caractères qui sont moqués … ou exhaltés. L’esprit de clocher, le chauvinisme, la Bouffe, la Gaudriole d’un côté. La camaraderie, la raison (Descartes était gaulois!), la Bouffe, la défense des grandes causes,la résistance, et l’irrespect de l’autre. Et ce, que ce soit au travers de personnages, ou bien de comportements collectifs. Dans ce contexte, la confrontation avec d’autres peuples et cultures n’est que le stratagème mis en oeuvre pour révèler nos propres défauts et qualités.
Toujours poussés à l’extérieur, Astérix et Obélix reviennent invariablement au village, dont il ne peuvent se passer. La dernière image de tout album d’Astérix – un banquet au clair de lune- symbolise bien cette nécessité absolu du retour aux racines.
Ce village ne serait-il donc pas le symbolique receptacle de certaines valeurs, intouchables, mais soumises sempiternellement à la menace de la disparition ? Ces valeurs ne seraient-elles pas des valeurs humanistes, profondément enracinées dans notre histoire, et auxquelles nous tiendrions farouchement, telle la liberté (de jugement, de parole et d’action), le droit à la différence, la puissance éclairante de la raison ? Si tel est bien le cas, et si le succès international de la série se maintient, tous les espoirs nous sont donc permis : Ce village risque un jour de ressembler à la Terre (mais où seraient les envahisseurs ? Chercher l’erreur !).
(mai 1990)