Paru dans Les Echos.fr le 12/10/2016
Donner forme au monde.
La phrase ressemble à un slogan de campagne présidentielle autant qu’à un vœu pieux et semble relever d’un romantisme désuet et immature.
Un simple regard sur les flux continus d’images et de mots de nos chaines infos semble nous confirmer chaque jour l’impossibilité de lire, de comprendre, de piloter et encore moins de transformer un monde qui semble livré à des forces sans contrôle.
La futilité semble le disputer à la vulgarité, le simplisme à au populisme et les états semblent impuissants face à des entités pus grandes qu’eux, sans formes, sans frontières et sans états d’âme.
Et pourtant, de nombreux signes, de multiples signaux, peuvent légitimement nous donner de l’espoir. Un niveau d’éducation qui monte partout, une mortalité infantile qui régresse, des citoyens qui réclament plus de pouvoir, des alternatives à d’anciennes manières de travailler, de produire, de cultiver.
Un monde s’en va, laid parce que mourant, pendant qu’un autre surgit, tendre parce que naissant.
Un monde à mettre en forme.
Une ambition.
Et cette ambition est de réinventer la façon dont nous vivons ensemble.
Tel est le défi auquel nous sommes confrontés au 21e siècle : celui de la complexité, de l’ouverture, des technologies, de l’émancipation.
Les réponses à ces défis sont connus : l’intelligence – à la fois individuelle et collective – la créativité, l’éducation, la culture et l’empathie.
Les acteurs en sont connus aussi : ce sont les gens, tous les gens.
Additionnez-les, et vous avez la définition littérale de ce qui est au cœur de la politique : créer les conditions d’une vie meilleure pour tous, une vie meilleure pour chacun.
Bien sûr, le monde a changé, et plus que cela, il est différent presque tous les matins.
La vitesse du changement, ainsi que sa nature, rend impératif de nous remettre en question et de changer nos façons de penser, de créer, de produire et de communiquer.
Bref, de faire du design.
Le mot « Design » vient du mot italien Disegno, ce qui signifie à la fois « Dessin » et « Dessein ». A la manière d’un Léonard de Vinci, le design réconcilie l’Art et la Science, la raison et l’imagination, le cerveau gauche et le cerveau droit, la pensée et l’action. Ces concepts, ces connaissances, et plus encore, ces attitudes, sont aujourd’hui naturellement portés par une certaine catégorie de professionnels : les designers.
Le design c’est d’abord le dessin, et plus généralement la capacité de représenter. Un designer a cette capacité fantastique d’utiliser des techniques de représentation pendant l’ensemble du processus de conception : imaginer, penser, créer, résoudre, modéliser, tester et communiquer. Parce qu’il «dessine» toujours, le designer pense d’une manière différente, d’une manière singulière.
Le design est aussi le dessein. Cela signifie que, à chaque instant, l’homme est au cœur de toute pensée, de toute création et de toute proposition d’un designer.
Car oui, le design est un humanisme.
Parce que le design est le seul chemin pour affronter la complexité et rendre le monde meilleur, il aura d’énormes implication en termes de politiques d’éducation et d’organisations humaines.
Eduquer les êtres humains à travailler pour d’autres êtres humains implique de reconcevoir tous les programmes éducatifs sur une pédagogie par projet – en sachant toujours pourquoi vous faites ce que vous faites – en mettant toujours l’homme au cœur du projet : le cerveau droit et le cerveau gauche enfin réconciliés, toutes les disciplines et toutes les connaissances sont invoquées pour contribuer à sa réussite.
Imaginez un monde où chacun agira en tant que designer, quel que soit le projet sur lequel il travaille, grand ou petit. Imaginez le monde lui-même comme un grand projet, encapsulant des projets encapsulant des projets. Tous ces projets, comme dans un hologramme, contiennent le grand projet. Tous ces projets servent le même but.
La meilleure des métaphores est le chou Romanesco, le chou fractal. Le chou Romanesco est en effet lui-même composé d’éléments qui lui ressemblent totalement. Quel que soit le zoom que vous effectuez, vous trouverez toujours la même structure.
La révolution industrielle a divisé le processus de production en une séquence d’actions sans signification – c’est le taylorisme – et toutes les sociétés développées ont été construites, dan chacun de ses détail, au travers de ce paradigme.
Ce temps est révolu.
Notre siècle est un temps et un espace fait de projets pleins de sens, dans lesquels toutes les parties prenantes partagent consciemment et empathiquement la même intention.
Un temps Romanesco.
Designons le ensemble.