Valérian et Laureline

Ou Toujours de Temps en Temps

Malgré sa connaissance sans cesse plus grande des mystères de ce monde, malgré les sciences et les techniques, malgré la maitrise toujours plus affirmée de son environnement, l’Homme et ses projets se heurtent depuis toujours au plus infranchissable des murs : le Temps. Face au temps, l’Homme est comme un peintre chinois, à la main plus ou moins assurée et qui sait qu’il n’a le droit qu’à un seul mouvement de pinceau, qu’il ne lui sera pas donné l’opportunité de tout effacer et de recommencer. Il est clair alors que le rêve démiurgique par excellence consiste en la maitrise du Temps. Qui maitrise le Temps, maitrise l’Histoire. Il n’est donc pas d’outil politique plus puissant que cette maitrise pour influer sur la destinée des hommes et de l’univers. Cet outil politique est justement dans les mains de Valérian et Laureline, agents spatio-temporels de l’impériale Galaxity.

Valérian est né de la réunion de deux plumes: Pierre CHRISTIN, scénariste prolifique et qui a fait bénéficier de sa prose bien d’autres auteurs, et Jean-Claude MEZIERES qui en est littéralement l’enlumineur. L’un des plus grands intérêt de cette oeuvre collective réside dans la pérénité de l’univers qu’elle décrit, et paradoxalement dans l’infinité des thèmes qu’elle peut explorer. Cette pérénité est apporté à la fois par le principe même qui préside à toute la série, et surtout par ses personnages centraux.

La diversité infinie de ses thèmes réside évidemment dans le principe même de la série. Puisque Valérian et laureline se balladent dans l’espace et le temps, rien n’empêche que l’histoire se déroule au moyen-âge, ou durant la grande Guerre, sur la Terre ou au coeur de la galaxie. Cette liberté de mouvement, les auteurs vont s’en servir à satiété, mais tout en assurant la consistence globale de l’Univers qu’ils décrivent.

Le rôle de Jean-Claude MEZIERES est d’ailleurs à ce titre exemplaire. Doué d’un style si original et dense qu’il est aujourd’hui une référence, et mêlant précision du trait, harmonie du délire, foisonnement contrôlé des détails, J.C. Mezières arrive à rendre crédibles des univers entiers et pourtant si lointains. Ces mondes baroques sont souvent un alchimique mélange de classique et de moderne, de rococo et de Hi-Tec. Costumes, coiffures, armures ou véhicules peuvent être autant de références à la Rome antique, au Bazaar de Karachi ou la plus technique des cités du futurs. La richesse de la faune extra-terrestre créée par Mezières est entre autre remarquable et a mon avis souvent imitée. La fameuse scène du bar glauque de la Guerre des Etoile semble par exemple tout droit sortie d’un album de Valérian.

Un des points qui me semble donner le plus d’authenticité aux Mondes de J.C. Mezières est certainement la qualité crédible de ces constructions architecturales. Souvent monumentales, les cités de J.C.Mezieres sont harmonieuses et vivantes. En ruines  ou d’inaltérables aciers, ces mégalopoles sont omniprésentes dans la série quelles soutiennent comme des caryatides. Rien de ce qui architectural ne semble étranger à JC.Mezières, qui va donc nourrir ses cités improbables d’un cocktail de temples grecs, de pagodes chinoises, ou de grands Louvres Martiens. On a assisté ces dernières années à une poussée de l’architecture dans la BD, que les critiques n’ont pas manqué de noter et d’analyser. Je pense quand à moi que JC.Mezières en est sans aucun doute le précurseur ignoré, mais inégalé.

C’est dans cet univers mouvant et divers que vont s’animer les chaleureux personnages de la série. Valérian et Laureline sont donc en charge de la stabilité des sociétés humaines (au sens large du thème) à travers l’espace et le temps. Ce principe est acquis pour le lecteur, il est le moteur de chaque album. Valerian et Laureline ont aussi  et surtout une personnalité, qui loin de s’effacer devant l’écrasante diversité des mondes qu’ils explorent, s’en trouve au contraire consolidée, affinée au fil des albums. Chacune des aventures nous renvoient finalement aux héros, que nous nous surprenons à aimer de plus en plus au fil de leurs histoires.

Valérian a ainsi une personnalité complexe. Il est assez loin d’un Superman, d’un Luke Skywalker ou d’un Indiana Jones de l’Espace. Il est courageux certes, mais aussi peureux à l’occasion. Ses discours sont d’une lamentable pauvreté, et il n’a pas toujours un sens de discernement aigü. Paresseux de nature, il est pourtant actif parce que il croit surtout à des valeurs qu’il cherche par dessus tout à défendre, et ces valeurs sont profonfément humanistes.

Laureline, sa (très) jolie coéquipière est un complément indispensable à Valérian. Charmeuse ou bougonne, elle est finalement beaucoup plus détérminée que notre beau brun, à qui elle va donc apporter acuité de jugement, sens critique, et humour.

Valérian et Laureline forment donc un couple. Leurs qualités s’additionnent et leurs défauts s’annulent. Mais inséparables dans l’action, le sont-ils aussi dans la vie ? C’est un des charmes de cette série que de laisser planer le doute. Leur relation est si forte à travers le partage de toutes ces aventures qu’on pourrait croire qu’ils forment aussi un couple amoureux. Mais l’habilté des auteurs est sans limites, puisque rien, du moins dans les premiers albums de la série, ne vient explicitement confirmer cette hypothèse. Au contraire, c’est le lecteur qui va inférer cette relation, et elle apparaitra d’autant plus forte qu’elle sera souterraine et non-dite. D’abord parce que le lecteur désire cette relation (nous sommes tous des romantiques) et ensuite parce que beaucoup de signes nous la révèlent : gestes tendres et furtifs et petites colères jalouses. Toutefois, il clair aujourd’hui que Valérian et Laureline s’aiment profondément et explicitement, et nous, on en est bien contents !

Petites pièces d’un rouage humain à la dimension d’une Galaxie, Valérian et Laureline essayent donc d’en être aussi les horlogers prométhéen. Mais plus que l’ordre de ce monde, c’est bien à la survie de certaines valeurs qu’ils consacrent leur énérgie. Liberté, bonheur, droit à la différence, toutes ces valeurs passent à leur yeux avant tout. Et pour les défendre, ils n’hésiteraient alors pas un seul instant à devenir les adversaires acharnés d’un ordre dont la rigueur confinerait à la mort. Il n’y a en effet pas plus tranquille qu’un cadavre.

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