Natacha

ou « Toute ma vie, j’ai rêvé d’avoir les fesses en l’air »

« Grace » à la loi du 16 Juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, toute une population de bambins de l’après guerre dévoreurs de bandes-dessinées faillit ne jamais savoir que l’humanité était divisée en 2 catégories : d’un côté les hommes, reconnaissables à leurs moustaches, et de l’autre, les femmes reconnaissables à un renflement mystérieux au niveau de la poitrine (ne riez pas, je vous assure que c’est vrai !).

En effet, les journaux de B.D. étaient alors emplis de héros tout aussi vengeurs que masculins, sortes de machos sans proies à séduire, et naviguant dans un monde sans femmes. Car du fait de la dite loi, les pistolets menaçants, autant que les femmes « féminines » (étrange et antinomique rapprochement) étaient considérés comme dangereux pour la morale des ces chères petites têtes blondes.

Certes il y eût Barbarella et ses Strip Tease en apesanteur, suivie de sa petite soeur Laureline, compagne de Valérian (voir Lien de Septembre). Mais alors que la première voyait ses aventures publiés (et bientôt censurées) dans une publication « pour adultes », la seconde naissait en 1969 dans le journal Pilote de plus en plus lu par ces mêmes adultes.

C’est pourquoi l’apparition de Natacha dans le journal Spirou à la toute fin des années soixante a constitué une réelle petite révolution. Comment ! Voilà, une accorte jeune femme blonde, ronde de partout (mais puisque je vous dit que c’est vrai, le coup de la poitrine !!), court vêtue comme une jolie Singapourienne, quel que soit le temps et la mode du moment, voilà cette femme donc qui affirme sa féminité à une population d’enfants et de pré-adolescents chaque semaine que Dieu fait (et il est très régulier depuis un certain temps, puisqu’il en sort 52 par an).

Créée par François WALTHERY, Natacha est en fait la petite fille des Seventies et de ses libérations. Libération de la femme surtout, passant insensiblement du statut de mère et d’épouse à celui de professionnelle et d’amante. De fait, Natacha est une femme indépendante et sexy, et qui travaille. Son métier ? Hôtesse de l’air ! Quoi de plus libre qu’une hôtesse de l’air (tellement libre que ce métier a un réel statut de fantasme). Quoi de plus indépendant qu’une femme, qui n’a pas de foyer et à qui appartient le monde ! Natacha ne se contente pas de plus d’être simplement gironde (33), elle pense et agit aussi rapidement. Jamais en révolte, Natacha est au contraire à l’aise dans cette société, parce qu’indépendante et femme.

(Ca y est ! J’en ai fini avec le côté intellectuel de l’article genre « Ah vous croiyez que c’était une simple histoire de P’tit Miquets et ben pas du tout …. »).

Natacha est donc hôtesse de l’air. En tant que telle, elle va évidemment voler littéralement d’aventures en aventures (pas mal le jeu de mot, non ?). Mais loin de constituer le mileu constant des aventures (comme dans Buck Danny par exemple), l’aviation ne sera surtout que pretexte à déplacer sans difficulté notre héroïne d’un coin du monde à un autre. Tous les continents de cette terre seront donc  les lieux du mystères et de l’action. Elle ira ainsi de l’Amazonie profonde (Natacha Hotesse de l’air) à l’Orient mystèrieux (Natacha et le Maharadja), en passant par la Grèce (Le Treizième Apôtre). Il est clair aussi, que l’aviation fournit des thèmes dramatiques aisés à exploiter tels que détournements (Double Vol) ou traffics (La Mémoire de Métal).

Natacha est très classiquement entourée d’une famille de papier, constitué de personnages que l’on retrouve avec plaisir à presque chaque album. Le premier d’entre eux est Walter, steward soupe-au-lait, paresseux de profession et amoureux de Jazz (et peut-être bien de Natacha aussi! ). De toutes les aventures, Walter se bat contre le monde entier qui semble lui en vouloir, alors qu’il n’aspire qu’à des vacances perpetuelles dans sa baignoire ou son lit, bercé par les rythmes syncopés d’un Charlie MINGUS ou d’un Miles DAVIS. Mais l’auteur autant que la compagnie qui l’emploie ne l’entendent de cette oreille, et vont l’entrainer contre son gré dans des péripéties multiples où son mauvais caractère ne pourra que se renforcer.

Un autre personnage, celui-là plus anecdotique, est le Commandant Turbo, pilote de Concorde et de B747 qui se complait à répéter inlassablement et dans toutes les situations la même antienne : « J’ai déjà vu çà …« . Parfait portrait du vieux beau qui a tout essayé, vu, bu ou mangé, le Commandant Turbo n’est jamais aussi désopilant que lorsque « il n’a jamais vu çà !« , c’est à dire lorsqu’il ne comprend plus rien à rien!

Heureusement pour nous, WALTHERY a eu la bonne idée de travailler avec des scénaristes aux sensibilités différentes, ce qui donne à la série une diversité rafraichissante, et ce qui contribue grandement à crédibiliser l’univers dans lequel évolue Natacha. Le Grand Maurice TILLIEUX a par exemple ciselé quelque réels bijoux avec ses histoires de gangsters et de flics constellées d’humour et parsemées de personnages denses et attachants dont il a le secret. Presqu’inconnu dans le monde de la BD, Eric BORGHERS a écrit pour Natacha des histoires d’espionnage et de traffic très enlevées, pleine de cascades et de violences. Il faut particulièrement noter le magnifique et solide scénario de JIDEHEM (Instantanés pour Caltech, Les Machines Incertaines) qui bascule complètement dans la science fiction (Soucoupes volantes, robots, voyages dans le temps) tout en restant parfaitement crédible.

En matière de graphisme, Walthery, formé à l’école des schtroumpfs de Peyo, a bien assimilé la leçon des maîtres de l’Ecole de Marcinelles (celle de Spirou et consorts). Parmi ceux-ci, M.TILLIEUX semble l’avoir marqué plus que tout autre. Les paysages urbains de Walthery y font inéxorablement penser, même s’il sont plus modernes et fluo que ceux, glauques, zonards ou parisiens des années cinquantes que l’on retrouve au fil de l’oeuvre du père de Gil JOURDAN.

Mais malheureusement, WALTHERY, qui a juste dépassé la quarantaine, connait aujourd’hui une vrai crise d’inspiration (ses scénariste en tous cas), et la série s’essouffle très nettement. Espérons pour lui et pour nous, que cette créature de papier aux reliefs si paradoxalement parlants saura à nouveau éveiller chez lui le démon de minuit de la création, afin qu’il nous fasse encore vibrer et rires aux exploits de cette belle, longue, ronde et intelligente jeune femme (tout çà à la fois, vous vous rendez compte !!).

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