Ricky, Lucien, Gilou et les Autres

ou « Sous le Cuir, le Coeur »

Souvenez vous. C’était dans la charmante ville de A… ou se tient annuellement un salon consacré à la BD. Monsieur Jack L.., alors Ministre de la Culture, du Bicentenaire et du Quand-dira-t-on laveur, et qui portait pour l’occasion un magnifique perfecto rose, dessiné par Jean-Paul Gaultier, des Santiag en croco Fuschia de chez Winston, et des chaînes (plaquées or seulement) de chez Cartier, délivrait à une audience curieuse et intéressée le message suivant : « En vérité, je vous le dis, le Rock et la Bande-Dessinée sont les Castor et Pollux d’une Mythologie Moderne, enfants naturels de la croissance industrielle et de son mal de vivre, de la récession et  de son très mal de vivre aussi« . (Y parle vachte bien, Jack LLL , hein !?!).

Et qui, mieux que Franck MARGERIN, cet Emile Zola moderne, aura dépeint avec autant d’humour, sinon de véracité, l’univers de ces rockers de banlieues, ces héros de la zone au coeur pur , qui portent le blouson comme une second peau, et dont les mésaventures, qui s’enracinent pourtant dans un quotidien crédible, nous font rire simplement, sans nous effrayer.

C’est dans les pages du très novateur METAL HURLANT que paraissent, à la fin des années 70, les premières planches de la Saga des banlieues pas tristes. Tout en rondeur, le graphisme de celui que les critiques n’ont pas hésité à appeler le Léonard de Belleville, aguiche le regard, et rehaussées de couleurs vives bien maîtrisées, l’oeuvre a une indéniable cohérence. Découpés en histoires de longueur variant d’une à plusieurs dizaine de pages, ces albums syncopés s’avalent d’un trait, comme une Tequila Rapido. Foisonnant de détails, dotées de plusieurs niveaux de lecture (attention la marche), les cases regorgent d’histoires secondaires et le plus souvent absurdes, en marge de celle que l’auteur nous conte. A ce titre, le style de Franck MARGERIN nous renvoie à la furieuse école de MAD, qui a fait du nonsense son credo, où plus près de nous à GOTLIB.

Mais, l’univers de Franck MARGERIN, ce sont d’abord des personnages, attachants et typés, caricatures tendres et presque exhaustives de toute la faune urbaine que notre société a engendrée.

Ricky banlieue, par exemple, est un grand costaud à la mèche rebelle (je vois assez bien Gérard DEPARDIEU dans le rôle d’ailleurs), qui vaque à de petits boulots alimentaires pour survivre, mais dont la vie est ailleurs, parmi les copains et son groupe de rock « les Riverains« . Mise à part une participation écourtée sous la pluie dans la commune sinistrée de Gazoil/Mer sur la côte bretonne à l’occasion des « Jeux de Vingt heures« , son groupe est d’ailleurs toujours à la poursuite de la prestation qui le fera enfin connaître au grand public.

Gilou, blond, les cheveux plus long que ses camarades mais partageant le même trip (de Caen), des lunettes noires sempiternellement juchées sur le nez (et où voudriez donc qu’elles fussent ?) est un fou de mécanique. Et en dehors de son emploi de mécano, il passe ses journées à peaufiner la customization de sa « Dauphine » dans son garage. Il a d’ailleurs dotée son terrible engin d’un train arrière tellement large que le petit bijou de voiture ne peut pas sortir de son écrin.

 

Membre aberrant de la ménagerie, NANARD, n’est pas un rocker mais un Baba ! Cheveux longs (raie au milieu d’origine), barbu, manteau afghan, Tongs et petites lunettes rondes métalliques, il sentirait sûrement le Patchouli si les techniques d’impression le permettaient. Amateur en vrac, de macrobio, d’élevage de chèvre, de crottin du même métal, de solos de Bongo, il tentera d’initier ses camarades aux valeurs cool du retour à la nature. Il est certain d’ailleurs que toute la bande le préfère parmi ses chèvres qu’au milieu d’un concert destroy, où il détonne un peu (surtout quand il bombarde malencontreusement le Chef des Hell’s de Malakoff avec du crottin maison) !

LUCIEN enfin, est le rocker type : Perfecto de cuir clouté, Jeans et Santiag, il est doté d’un Banane phénoménale, ronde et lustrée à souhait, large et longue comme un ressort de matelas, et qui surplombe son auguste visage comme la figure de proue d’un vaisseau urbain. Cette banane est la marque caractéristique de Lucien. Plus qu’une simple sculpture capillaire, elle est presque un organe. Et quand Lucien sort légèrement amoché d’une baston, la banane elle aussi à droit à la bande Velpo !

Ces personnages sympathiques, tous issus de milieux modestes, sont donc le noyau du petit monde de Franck MARGERIN. Ce milieu du rock quotidien, de la zone ensoleillée, de la fraternité motarde, est suffisamment riche et vivant pour que mille anecdotes, certainement puisées à la source, animent cette oeuvre sautillante. Leur rencontres, leurs espoirs, leurs combines, leurs galères, leur amitiés, leurs amours enfin, sont autant de thèmes simples (mais les belles histoires sont toujours simples) que l’auteur va exploiter avec astuce, en les combinant.

Loin d’être une BD réaliste sur les banlieues modernes, l’oeuvre de Franck MARGERIN est au contraire une sorte d’hommage nostalgique à un age d’or, celui des années 60. Même si beaucoup de détails nous rappellent que le discours est moderne (y avait pas de Punk ni de Skin Heads dans nos villages à cette époque, si tu veux …), l’Univers et Lucien et de ses petits camarades est en pleine dérive temporelle schizophrénique (non çà fait pas mal). Des lambeaux d’années soixante viennent alors hanter, jusqu’à s’imposer, nos années de crises. Ainsi, le rock que Ricky et ses Riverains jouent, c’est bien celui des Chaussettes Noires et des Chats Sauvages (« Est-ce que tu le sais ? »). Les voitures, celles qu’ils achètent, comme celles qui roulent dans les rues, sont des Dauphines, des 4cv ou des Ami 6.

Nos rockers sont donc sympathiques, parce qu’ils sont anachroniquement les enfants des « Trente Glorieuses« , de ces années de croissance continue, où le chômage n’existait pas, et où chacun à sa manière pouvait accéder à sa part de bonheur. Leur Rockattitude est positive parce qu’elle est plus un phénomène d’accompagnement de la croissance, que le rejet d’un système qui marginalise les improductifs. C’est à ce titre que l’oeuvre est finalement très datée, et que l’univers de Franck MARGERIN n’est en ce sens pas réaliste. Mais comme l’intention de l’auteur n’est pas celle de l’analyse critique, mais bien celle de la dérision tendre, personne ne songera un seul instant à lui chercher des crosses ( Y a pas intérêt d’ailleurs, car notre auteur pratique la Savate).

Espérons finalement qu’avant la fin de ce siècle, une certaine idée du bonheur, qui s’exprime dans les aventures anachroniques de Ricky, Lucien et les Autres, ne rattrape enfin notre époque, et transforme l’art nostalgique de Franck MARGERIN en une simple vision anticipatrice. O Yeah !

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