Blueberry

ou « Lieutenant En Emporte le Vent »

Si je vous dis : un Lieutenant de l’armée des Etats-Unis perdu dans un fort retranché au fin fond du Far West, peu de temps après la fin de la Guerre de Sécession, qui fait ami-ami avec les Indiens du coin jusqu’à devenir un des leurs. Si je vous dis encore : une histoire, qui dis-je une histoire, une épopée qui se déguste lentement, en faisant durer son plaisir, confortablement assis dans son fauteuil. Et si je rajoute : des paysages grandioses, des morceaux de bravoures, des drames, des joies et du sang – bref l’accouchement de l’Amérique en direct, que finissez vous par me répondre inmanquablement et tous en coeur ? Allez-y, je vous écoute ? Kevin Costner dans le beau film « Danse avec les Loups » M’sieur !!! Et vous avez tous faux !!! Ce qui fait que non seulement vous ne reviendrez pas en deuxième semaine, mais qu’en plus vous allez me faire le plaisir (c’est vrai que c’en est un) de me lire les paragraphes suivants, ce qui vous évitera de passer pour un(e) deumeuré(e) le jour où vous tomberez sur la question en jouant au Trivial Pursuit !

La réponse est donc : Lieutenant Blueberry, une des plus prestigieuse et mythique série de Bande-Dessinée de l’après guerre (enfin de la deuxième quoi). Imaginée par le pointilleux et prolifique CHARLIER pour les scénarios, elle est magistralement mise en image par un GIRAUD, pour qui elle a réellement été le tremplin vers la célébrité. Quoique francophone et mythique, cette série doit cependant être paradoxalement la plus réaliste des bande-dessinée jamais réalisées sur le Far-West. Loin des tics Hollywoodiens ou Panzaniens, la rigueur et la complexité de scénarios et des personnages, enracinés dans l’histoire de l’ouest comme dans son quotidien, associée à la précision graphique des paysages et des portraits donnent une épaisseur à laquelle peu d’oeuvres peuvent prétendre aujourd’hui.

Cette épaisseur, la série la doit aussi au fait que la plupart des aventures du héros au nez cassés’étalent sur plusieurs albums. Ainsi, et alors que 22 albums ont été produits par notre fameux couple, ceux-ci ne nous comptent à travers eux que 6 histoires seulement ! La dernière à elle toute seule n’en nécessitant pas moins de 10 ! Loin d’être dilués et anémiques, les scénarios sont au contraire des véritables tresses dramatiques, où des personnages forts et crédibles s’affrontent dans des drames où les conflit d’intérêts personnels tutoyent l’Histoire.

L’Histoire, le Lieutenant Blueberry en est à la fois le Fils et le Père. Sudiste, et de son vrai nom Mike S. Donovan, il est accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis. Et ce fils de bonne famille doit alors fuir sa Géorgie Natale pour éviter la pendaison. Il ne devra son salut qu’à son enrôlement chez les Yankees. Là, son indépendance d’esprit, son goût du jeu et de la provocation, son indiscipline mais aussi son adhesion indéfectible à des valeurs de justice (que des pléonasmes quoi) lui valent d’être envoyé aux limites des terres conquises, à Fort Navajo. Face aux fauteurs de guerre de tous bord (blanc comme rouge) Il empêchera la naissance d’une nouvelle guerre indienne (4 albums).

Après un court remake de Rio Bravo (1 album), notre cher Myrtille est chargé de la surveillance du grand chantier de la ligne de fer transcontinentale pour le compte d’une des sociétés contractantes.  Il s’opposera alors aux agissements de criminels qui utilisent les indiens pour contrer les troupes du chemins de fer. Négociateur d’une trève avec les cheyennes qui connaissaient sa droiture, il voit celle-ci bafouée par un général bouffeur de rouge (allusion à peine voilée à un général Custer de triste mémoire). Il sauvera pourtant ce dernier de la mort dont il était assurée, lui et ses hommes (4 Albums).

Après l’intermède de « La Mine de l’allemand Perdu » où il sera le spectateur halluciné d’une vengeance démente dans le cadre magique de la Mesa del Diablo, cité-pueblo fantôme sertie dans une falaise (2 albums), Blueberry va vivre la plus grande et la plus forte de ces aventures, celle de tous les dangers comme de toutes les injustices, celles des quiproquos et des retournement de situations, celles des traitrises.

Secrètement chargé par le Gouvernement des Etats-Unis de retrouver le fabuleux trésor des confédérés, Blueberry va être pris entre les feux croisés d’une aventurière (la belle Chihuahua Pearl !), des troupes mexicaines, d’une bande de renégats sudistes et d’un  petit potentat local. Il finira par être accusé d’avoir volé ce trèsor, sera dégradé et emprisonné. Décidé à prouver son innocence, il s’évadera, sauvera le président Grant d’un attentat, mais en sera accusé (il a pas de bol quand même). Il tentera alors de trouver la paix auprès de Cochise, dont il est le plus proche conseiller , et prétendant à la main de sa fille (dans la culotte du …. mais qu’est-ce que je raconte moi ???). Mais la destinée comme les chasseurs de prime iront inéxorablement à sa rencontre. Encore une fois, Blueberry sauvera les Indiens du massacre, renoncera à vivre avec eux et finira par prouver son innocence, et pour le coup du trésor, et pour celui du père Grant (en 10 albums les gars !!!).

Au-delà du suspens et de l’intensité dramatique que les auteurs entretiennent diaboliquement dans cette épopée, c’est le discours sur le poids que le fardeau de l’Histoire fait peser sur les épaules de certains acteurs privilégiés qui rend les aventures de Blueberry singulièrement attachantes. Fils et Père de l’Histoire, Blueberry croit d’un côté à un certain nombre de valeurs, qu’il sait d’autre part condamnées à être mises à mal sinon à disparaître, face au rouleau compresseur qu’est la naissance d’une nation conquérante. La violence faite à ces valeurs, il la sait inexorable et il va tout simplement tacher de la rendre plus douce, voir de la canaliser, plutôt que de s’y opposer sans espoir. Il sait ainsi que les Indiens et leurs communautés finiront par être écrasés par la logique de l’Histoire, et il fera tout pour que non seulement les colons sûrs de leur toute puissance laissent mourir en paix une culture millénaire, mais aussi que les plus écorchés des indiens ne hâtent leur propre fin par des massacres gratuits (ne le sont-ils tous pas ?). C’est pourquoi, on voit Blueberry – et parfois dans le même album – se trouver tour à tour de chaque côté de la barrière, suivant les exigences que non seulement sa morale mais aussi sa perception historique lui imposent.

Ce mariage plutôt réussi de morale et de pragmatisme historique donne à Blueberry une densité humaine qui est pour beaucoup dans l’attachement que le lecteur lui porte. Loin des figures mythiques de l’Ouest, dont l’énergie associée à la bonne foi simpliste faisait les héraults invonlontaires de la destinée d’une nation, Blueberry est de ces hommes qui ne résigneront jamais à fermer les yeux sur les injustices qu’engendre inéxorablement l’Histoire, sans tenter d’en contrôler un tant soit peu le cours. Son nez est cassé mais son jugement est droit. Hugh !

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