Le Sacrifice Européen de Laurent Fabius

(Mai 2005)

On reconnaît les grands hommes politiques à leur capacité à dépasser les limites de leurs seules ambitions personnelles. Leur vision, leur conviction d’œuvrer pour un projet historique peut ainsi les amener à sacrifier leur destin, au nom de la sauvegarde de celui de leur communauté, voire même – et c’est encore plus visionnaire – à sacrifier le destin de leur communauté au nom de celui d’un continent.

A n’en pas douter, M. Laurent Fabius est de ceux-là.

Il y a presque 6 mois, le Parti Socialiste, à une importante majorité, a décidé d’apporter son soutien au projet de Traité constitutionnel. Plusieurs mois auparavant, M. Fabius avait clairement fait entendre sa différence, au nom de ses convictions sociales, maintes fois répétées.

Bien que déjugé par la majorité des militants de son propre parti, M. Fabius a eu le courage de persister dans sa dénonciation du Traité constitutionnel. Car il faut bien parler de courage ! Les ambitions présidentielles de Laurent Fabius sont connues, et il aurait pu sagement prendre acte de la décision des militants pour bénéficier en 2006 de leur reconnaissance de sa discipline de parti, en tant que N°2 confirmé par le vainqueur du moment, à savoir François Hollande. Au lieu de cela, au nom de ses convictions, M. Fabius a pris le risque de s’aliéner définitivement le soutien des militants socialistes. Premier sacrifice donc, le sien propre, puisqu’il ne pourra pas être le candidat en 2007 d’un Parti dont il a pris le risque de contrer la volonté majoritaire

Bien sûr, en prenant le risque de jouer contre son propre parti, M. Fabius pense clairement qu’il protège l’avenir de la France. Cette dernière prend évidemment le pas sur le premier dans son esprit.

Mais le sacrifice ne s’arrête pas là, car, en prenant ce premier risque, M. Fabius sait  pertinemment – et douloureusement – qu’il interdit à la gauche d’espérer remporter la victoire en 2007. Car à n’en pas douter, une victoire du Non au référendum du 29 mai aura comme conséquence probable une crise majeure au Parti socialiste, où les ambitions personnelles contrariées viendront s’ajouter à la confusion idéologique inéluctable entre partisans de la rupture victorieux mais minoritaires, et réformistes vaincus mais majoritaires. Sans parler de la difficulté à renouer sereinement le dialogue avec une gauche extrême méfiante et échaudée.

Mais aux yeux de l’homme de conviction prompt à l’abnégation qu’est M Fabius, l’Europe mérite sans doute que la France se sacrifie au nom de tous les autres peuples européens, fidèle en cela à sa tradition de phare politique. En retardant durablement l’arrivée d’une alternance politique de gauche pour la seule France, et en laissant de fait le champ libre à M. Sarkozy, M. Fabius espère ainsi au moins préserver tous les autres pays des méfaits d’une politique de droite induite par ce funeste Traité Constitutionnel.

Destinée présidentielle sacrifiée, alternance politique aux calendes grecques et France durablement sous un régime libéral, le tout pour le salut de l’Europe, Laurent Fabius aura donc su se hisser au niveau des grands européens, à la seule différence près que c’est en s’effaçant qu’il laissera paradoxalement une trace, comme à l’encre sympathique.

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