Du contenu, des contenants…

Il y a une tendance naturelle chez l’humain à projeter sur l’avenir sa vision du passé, et les films de SF des années 50 où les ordinateurs rêvés et clignotants de « l’an 2000 » avalent des cartes perforées nous le rappellent de manière savoureuse. Je ne voudrais pas que cela soit le cas des contenus numériques.

Le numérique sera la grande affaire du Grand Emprunt, et dans le numérique, les fameux contenus en seront la substance. J’ai bien peur qu’encore une fois les « décideurs » ne soient capables de ne financer que ce qu’ils connaissent, donc ce qui les rassurent, et ne laissent alors de côté ce qui fera les richesses de demain, que d’autres moissonneront à notre place, après les avoir fait croître.

Il y a une forme d’hypnotisme en matière de contenus à ne les considérer que comme immatériels : Des jeux vidéo – qu’ils soient sérieux ou futiles – des e-books aux e-shopping, de Second Life à la réalité augmentée  – la virtualité serait le seul et ultime horizon digital. Nous pensons radicalement, qu’au contraire, les enjeux du numérique se trouvent dans le monde matériel, dans la corporalité, dans la sensualité.

La promesse du numérique n’est pas derrière l’écran, elle est dans l’objet. En le réinvestissant, la combinaison « I.A + Télécom + Nano » nous permet de rêver un monde d’objets intelligents, interconnectés, porteurs d’expériences autant que de services et de fonctions. Il nous faut donc investir dans ces objets robotisés, ces « Robjets », qui seront alors paradoxalement des contenus autant que des contenants. Comme le message était le médium, le contenu sera le contenant.

(Mars 2010)

Lire le débat RSLN ici !

Numérisons l’éducation

Education au numérique ! La question semble si simple… Mais de quoi parle-t-on ? Et de qui parle-t-on ? « Numérique » est devenu un mot passe-partout et à ce titre détestable. Parle-t-on d’une matière faite  de 0 et de 1 ? Parle-t-on d’outils, mais si divers, entre un environnement de programmation, un logiciel de CAO, et un traitement de texte, que l’on voit mal comment en parler de manière universelle ? Parle-t-on d’applications, (avec le même commentaire) ? Où ne s’agit-il pas plutôt d’enjeux, éthiques, sociétaux, économiques et politiques !

Et qui doit-on éduquer ? Une jeunesse quotidiennement au contact des objets numériques, ou des Paby Boomers régulièrement déphasés ? Les « gens », ou une classe politique dont la pensée, la pratique, les tics (sans jeu de mots) sont encore ancrés dans le siècle dernier, quand ce n’est pas dans le précédent ?

Avant l’éducation au « numérique », c’est la question de l’éducation tout court qui est d’une brulante actualité, et dans cette perspective, l’usage massif des outils numériques pour satisfaire cette ardente nécessité. Les enjeux de l’éducation ne changent pas parce que le monde se numérise, mais la numérisation doit permettre de les relever plus efficacement,  plus massivement, plus créativement.

Avant d’éduquer au numérique, il nous faut numériser l’éducation.

Chronique RSLN ici !

De l’Individu Reconnu à l’Individu Promu

Contribution au manifeste « social-démocrate » (écrit en juin 2007).

Le manifeste social-démocrate que notre courant « Socialisme et Démocratie » a rendu publique à l’occasion de la dernière université d’été consacre un de ses chapitres à la nécessaire reconnaissance de l’individu.

Tout en me réjouissant sur le fond de cette affirmation, je ne peux m’empêcher de voir dans les mots choisis la difficulté atavique des socialistes français à renoncer à leur catéchisme, et l’expression d’un inconscient collectif qui voit toute construction politique articulée autour de l’individu comme une dérive droitière et honteuse.

Non, les socialistes français ne doivent pas « reconnaître » l’individu, comme l’on reconnaît une faute, où comme l’on se soumet au principe de réalité. Non, il ne s’agit pas de sacrifier nos idéaux de gauche – forcément collectifs – à la modernité – inexorablement individuelle. Ils doivent au contraire « promouvoir » l’individu, et s’appuyant sur lui, construire le discours des nouvelles solidarités, celles où le collectif ne fait pas que littéralement s’effacer face à l’individu, mais se voit proprement muté en une association d’individus pensants et agissants.

Les raisons de le faire ne sont pas que de nature philosophique ! Elles trouvent au contraire leur origine dans les domaines économiques, organisationnels, et finalement institutionnels : création de valeur généralisée, projet partagé, pouvoirs distribués sont en effet consubstantiels du monde qui s’avance, et dans lequel les socialistes français sont des étrangers.

L’individu et la création de valeur

Le socialisme est né avec la révolution industrielle. Les classes sociales auxquelles il s’est intéressé et dont il s’est fait le défenseur sont de fait issues de cette révolution. Et si il a pu, longtemps, en anticiper les problèmes, en corriger les injustices, en promouvoir les opportunités, il n’a pas évité l’inertie idéologique née de l’illusion de la continuation des conditions de cette révolution.

Les productions industrielles ont ceci de caractéristiques qu’elles nécessitent pour réussir la mise en œuvre d’intelligences certes – pour la conception de produit – mais essentiellement de main d’œuvre. Et ce que l’industrie demande à cette main d’œuvre est fondamentalement de l’énergie et des gestes dans le cadre d’une organisation très structurée d’une production fortement synchronisée. Le taylorisme est la traduction organisationnelle de cette réalité, et le fordisme sa stratégie de partage de la valeur ainsi créée.

Dans une société dont la richesse est produite par son industrie, la plupart des salariés sont interchangeables : X peut prendre la place de Y sans que la nature de la production, son rythme, sa valeur n’en soit aucunement modifiée. L’identité donc, mais aussi la spécificité, la culture, le savoir, le génie propre des individus/employés n’ont donc aucune importance. Une telle société est de fait structurellement stable, les emplois y sont « à vie ».

Il est alors intéressant de noter que l’organisation du système industriel se réplique, à l’identique, dans celle des organisations politiques. Les partis ouvriers, nés de cette révolution industrielle, fonctionnent exactement comme des usines, et ce que le Parti demande à ses militants reste fondamentalement « de l’énergie et des gestes dans le cadre d’une organisation très structurée ».

C’est toujours ce schéma qui est aujourd’hui dans la tête de notre personnel politique, socialistes compris, même quand ils s’en défendent, alors que les choses ont fondamentalement changé.

Nous vivons aujourd’hui dans des sociétés ouvertes, sans comparaison aucune avec ce que nous vivions il y a encore vingt ans. La mondialisation est en la forme la plus synthétique : hommes, idées, cultures, services, produits, capitaux circulent avec de moins en moins d’entrave de par le monde (et il faut d’ailleurs s’en réjouir en tant que socialistes, car la société ouverte, internationale par essence, est un des objectifs du socialisme).

Cette ouverture a plusieurs conséquences : d’une part l’apparition de marchés nouveaux mais concurrentiels pour tous ses protagonistes (pays développés, comme pays en voie de développement), et d’autre part une accélération de la division internationale du travail. Cette dernière permet ainsi aux pays en voie de développement de se positionner comme les usines du monde, i.e. de produire industriellement des produits conçus le plus souvent dans les pays développés.

Ce marché grandissant, cette concurrence accrue, cette division internationale impose un déplacement de la valeur en amont de la production, dans la R&D, la conception, le design, la créativité. De fait, si les grandes entreprises symboliques de l’ère industrielle étaient les constructeurs automobiles, ce sont aujourd’hui des entreprises de l’immatériel, comme Microsoft, Intel, Google, ou Glaxo – toutes productrices de concepts, de brevets, d’idées – qui symbolisent l’époque.

Mais là où l’industrie avait besoin de main d’œuvre, ces nouvelles entreprises ont besoin de « créateurs ». Là où, comme nous l’avons dit, la main d’œuvre industrielle est indifférenciée et ses acteurs interchangeables, ces entreprises productrices de concepts ont quand à elles besoin d’individus créateurs. X ne peut plus remplacer Y ou Z, car le génie créatif de X est sans rapport avec la sensibilité marketing de Y, ou la capacité d’architecte de Z. Les employés comptent alors pour ce qu’ils sont : leur identité, leur parcours, leur culture, bref leur pensée est le véritable capital de l’entreprise. L’individu EST le créateur de la valeur, là où le groupe l’était hier.

Ceci n’a pas que des conséquences économiques : pour créer, penser, concevoir, l’individu doit être éduqué. Une société « postindustrielle », dont la valeur créée réside dans l’immatériel,  est une société composée d’individus hautement éduqués. D’où la nécessité d’investir très massivement dans l’enseignement (et particulièrement dans l’enseignement supérieur, contrairement à ce que tous nos gouvernements ont fait jusqu’à présent), la recherche fondamentale comme appliquée.

Eduqué, créateur de valeur et de concepts, l’individu a alors tout de l’être émancipé que tous les socialistes devraient normalement mettre au cœur de leur vision, et donc de leur projet, de leur discours, de leur politique, de leurs pratiques.

Ce nouveau statut de l’individu est inséparable d’une nouvelle organisation opérationnelle des entreprises, et incidemment des sociétés humaines qui les intègrent.

L’Individu et l’organisation

La révolution industrielle a imposé une organisation du travail – et de l’entreprise – qui est de nature pyramidale. La raison en est assez simple et directement liée à la nature de leur production, ainsi qu’au positionnement de la création de valeur dans leur organisation. Quand il s’agit de produire des objets en série avec du personnel interchangeable, une organisation taylorienne s’impose, en terme d’efficacité.

Dans une telle organisation, le sommet de la pyramide décide, la base exécute, et les niveaux intermédiaires contrôlent. En termes de flux informationnels, les décisions descendent, les informations remontent. Une telle structure, statique, rigide, permanente, a fait la puissance et la richesse des grandes compagnies industrielles. Elle ne fonctionne bien que dans l’hypothèse de la pérennité suffisante du modèle dans le temps.

Cette organisation, qui définit de manière rigide l’implication de chacun dans le processus de production  est avant tout une structure de pouvoirs, celle des hiérarques. Il n’est donc pas étonnant que les pays dont la culture politique est autoritaire, et les modes de gouvernement centralisés (le japon d’abord, la Corée et Singapour ensuite, enfin la Chine), réussissent si bien et se transforment en usines du monde.

On pourra évidemment objecter qu’il ne s’agit là que de principes à l’œuvre dans les seules entreprises. Mais l’ordre social à l’œuvre dans une entreprise a tendance à se retrouver et à se reproduire dans la société. L’organisation des pouvoirs, les flux d’informations,  la forme de prise des décisions s’y retrouvent à l’identique. La proposition, émise plus haut, selon laquelle les régimes autoritaires et centralisés montraient toute leur efficacité quand il s’agissait de mettre en œuvre des plans industriels en est la preuve.

Mais bien plus près de nous, et même chez nous, la France – pays qui a fait de la centralisation une religion, au point qu’elle ne peut sortir de ce qu’elle confond avec un ordre eternel – se trouve aujourd’hui confronté aux limites de cette croyance religieuse, dans ces entreprises, comme dans ces institutions, et partant dans son rapport à l’individu. Les institutions de la 5ème République, les pratiques qu’elles induisent, les projets personnels qu’elles suscitent, la structure et le fonctionnement des partis qui ont vocation à les mettre en œuvre sont construites sur cet ancien schéma, et sont de fait hors de la modernité.

La pyramide y est la structure de référence, le pouvoir du sommet la règle, l’opacité le contexte, le débat inexistant, l’implication des individus exclue, et leurs initiatives personnelles découragées sinon vilipendées. Avec ce paternalisme à l’œuvre, un tel état de chose met les individus dans une situation infantile de dépendance systématique au sommet.

Cette organisation, si efficace quand il s’agit de produire des objets en série  et qui définit de manière rigide l’implication de chacun dans le processus de production est parfaitement inadaptée à la production de la valeur d’aujourd’hui, qui réside dans l’immatériel : idées, concepts, brevets, …

La première et la plus forte des raisons est que l’acte de création est par définition un acte de liberté. Quelque chose n’est « neuf » que s’il s’affranchit, qu’il brise, les normes en cours, quelles qu’elles soient – techniques, scientifiques, intellectuelles, philosophiques, ou morales – et donc des pouvoirs qui y sont associés. L’acte de création est fondamentalement une remise en cause de ces pouvoirs. Pour que l’acte émerge, il faut donc que cette remise en cause soit possible, et même permise.

Elle ne peut pas être ponctuelle, comme l’était celle du bouffon, puisque il doit être massif. Là où le rôle du bouffon était consubstantiel d’un pouvoir très centralisé, celui du créateur – et plus exactement DES créateurs puisque le maximum d’intelligences doit être mis en mouvement – en est la négation permanente.

Mais à quoi peut ressembler une organisation sans pouvoir ? Est-elle-même pensable ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord analyser la nature des processus à l’œuvre dans la création.

L’acte de création n’est pas solitaire. Il s’inscrit au contraire dans des structures ouvertes, où plusieurs individus sont positionnés comme des égaux, comme des pairs, au sein d’un réseau – et non plus d’une pyramide. Dans ce réseau, chacun connaît son rôle et le rôle de chacun, sait ce qu’il doit « produire » et sait ce qu’il attend des autres. Chacun est en responsabilité : le pouvoir est donc distribué. Il n’y a plus de centre, plus de périphérie Cette liberté individuelle nécessaire à l’acte de créer s’accompagne alors d’une responsabilité publique ; et ce couple d’attributs nous rappelle celui – plus politique – des droits et des devoirs.

Il n’y a donc pas ici de hiérarchie immanente, permanente, liée à la structure, mais une organisation par projet, où les intelligences, les expertises, sont déployées sur la seule logique du projet en cours. Une telle organisation n’existe que le temps du projet. Une telle organisation est par essence transparente, plastique et repose sur une flexibilité permanente. Les individus y sont clés, ils y sont valorisés. Les entreprises « agiles » ont compris la nécessité d’une organisation par projets, et parient sur l’intelligence et l’initiative individuelle.

Si l’individu est clé, si les organisations par projets doivent s’imposer, comment alors mettre en œuvre les justes et nécessaires solidarités que tout socialiste met au cœur de sa pensée, de sa vision ?

L’Individu et la solidarité

On pourrait en effet craindre que l’affirmation de l’individu et la disparition potentielle d’une structure de pouvoir centralisée et idéalement redistributive soit antinomique avec l’idée même de solidarité. Que les individus valorisés deviennent des égoïstes par construction, et qu’ivres de leur liberté consacrée, et même louée, ils ne s’insèrent plus solidairement dans une société qui leur devrait tout.

C’est oublier deux choses.

La première est que dans une société de l’intelligence, les individus sont fortement éduqués. On peut raisonnablement penser que le niveau de conscience politique et sociale est en rapport direct avec le niveau de connaissance. Cette idée est même, historiquement, au cœur d’une pensée de gauche : l’émancipation de chaque homme (un individu en quelque sorte…) passe par le savoir. Il n’y a pas de plus belles solidarités que celles qui sont librement consenties (comme il n’y a pas de plus beaux gestes d’amour que ceux librement donnés).

La deuxième est que la société de l’intelligence a le réseau comme modèle, et que toute activité collective se met en œuvre au travers de cette organisation. S’ils connaissent leur importance, ces individus savent aussi celle de cette organisation, sans laquelle leur intelligence ne peut s’exprimer au service du projet. Mais n’est-ce pas la l’expression exacte de la solidarité : Des hommes, égaux en droits et en devoirs (des pairs), reliés entre eux par un  réseau, et s’exprimant librement sur celui-ci ?

Il y a tout à parier que les nouvelles solidarités – qui resteront nécessaires tant il y aura toujours des situations de détresses morales, sociales ou économiques – trouveront bien mieux à s’exprimer efficacement dans des réseaux dédiés reliant des individus en responsabilité et consentants, qu’au travers d’une organisation unique et pyramidale instituant de solidarités d’autant moins consenties ou vécues qu’elles ne sont perçues que comme des règles loin des réalités.

A ce titre, les associations y ont un rôle majeur et moteur. Elles sont l’exacte illustration de ces organisations en réseaux, structurées en projet, proches du terrain, ou des volontaires (des individus en quelque sorte…) consacrent librement savoirs, temps et énergie au  service des autres. Si leur rôle doit être majeur dans l’expression des solidarités, l’état pyramidal doit donc proprement leur déléguer ce type de mission, quand il n’est pas le mieux placé pour le faire.

L’Individu et le socialisme

De l’individu éduqué et libre à une société riche, juste et solidaire, on voit donc s’exprimer une continuité nécessaire. Loin d’être contradictoire, individu et socialisme sont au contraire consubstantiels. Formés, éduqués, libres et donc créatifs, les individus peuvent s’impliquer, en égaux, dans des structures en réseaux dédiés à l’atteinte d’objectifs.

Si l’on sait de plus qu’il n’y a rien de plus simple que de mettre en réseau des structures en réseau (on appelle cela « l’inter-net » en anglais), et donc de mettre en réseau des projets humains,  on a alors le modèle ultime d’organisation humaine, quelle soit économique, sociale, ou politique.

De l’individu à l’état fédéral, en passant par les associations, les conseils de quartiers, les communes, les communautés de communes, les régions, et l’état, c’est bien d’un réseau de réseau qu’il s’agit de faire vivre, en attachant à chaque niveau la résolution des problèmes qui relèvent de sa compétence et de sa seule responsabilité.

Subsidiarité, autogestion, action directe ne alors sont que les avatars de ce principe fractal : des intelligences en réseau participant en responsabilité à l’atteinte d’un même objectif, celui du bonheur des hommes, d’aujourd’hui et de demain.

Télécharger : De l’individu

De la Rupture Social-démocrate : Socialistes du Réel

Pour la 3ème fois consécutive, le PS vient d’échouer à conquérir la présidence de la république. Cette très nette défaite – n’en déplaise au nouveaux croyants qui semblent avoir investi le parti – est d’autant plus inacceptable que les conditions politiques semblaient des plus favorables pour l’accès de l’un des nôtres à la magistrature suprême : médiocrité du quinquennat de Jacques Chirac, impopularité du gouvernement, dangerosité perçu du candidat de la droite, réussite des mouvements sociaux, succès électoraux précédents.

Et si, malgré tout, nous avons connu la défaite, c’est que les raisons sont à chercher au sein de la gauche elle-même, et plus exactement au sein du PS, de ses courants, de ses responsables, de ses militants.

Il n’est en effet plus utile d’analyser ici la désagrégation « d’une gauche plurielle » fantasmée, tant ces analyses ont été faites ailleurs, même si la gauche française, et particulièrement ses composantes radicales – structurées ou invertébrées, rouges ou vertes – constituent une autre exception française en Europe. La persistance de ces composantes est la fois le symptôme de l’immaturité politique de la gauche française, comme la cause du sentiment de culpabilité que porte toujours le PS vis-à-vis d’elles.

La responsabilité est par contre totale, pour ce qui concerne le PS. On ne tiendra pas ici pour suffisant le traumatisme du 21 avril, le succès des Européennes, le débat sans fin et privatif sur le TCE, où les rivalités présidentielles pour l’expliquer. La responsabilité du parti remonte à beaucoup plus loin. Les racines du mal sont profondes et âgées, et elles ne sont pas équitablement partagées.

Depuis plus de 30 ans, une partie des socialistes tente en effet, avec énergie, brio, et constance à « rénover » la pensée socialiste française. Depuis la création du PS en 1971, et sa prise d’assaut par un Mitterrand aussi brillant que cynique, le PS est divisé en 2 gauches.

Cynique, fortement imbibée de marxisme, jacobine, centralisatrice, pyramidale, la 1ère pense que tout passe par l’Etat, que les citoyens sont plutôt des « sujets » qui attendent de lui l’organisation de l’essentiel de leur vie. Cette gauche là a une détestation de l’économie, de l’argent, de l’entreprise, qui en est selon elle le terrain de jeu naturel. Cette gauche n’aime pas beaucoup les idées, et préfère les principes et les symboles.

Tenante de la pensée complexe, décentralisatrice, la 2ème gauche croit en un état régulateur, et garant des solidarités nécessaires. Elle aime la notion de contrat, préfère que les partenaires sociaux se saisissent des problèmes et les règlent. Cette gauche a compris que l’économie et le social marchaient la main dans la main, et qu’aucun progrès social ne serait possible sans une réhabilitation de l’entreprise, et une nouvelle forme de dialogue entre tous ses acteurs.

La 2ème gauche, enfin, aime les idées, en produit beaucoup, et n’hésite pas à bousculer les dogmes.

Si la 1ère gauche a su gagner en 1981, c’est la seconde qui l’a systématiquement fait évoluer, malgré la guerre sans fin que la 1ère lui livre.

Tenants de cette 2ème gauche, Michel Rocard hier, Dominique Strauss-Kahn aujourd’hui, n’ont eu de cesse – mais sans disposer des outils pour le faire, ou en répugnant à s’en saisir – de tenter de moderniser ce parti.

Les résultats du 1er tour de cette présidentielle sont sans appel pour les postures de la 1ère gauche. La stratégie définie à Epinay, et défendue de fait jusqu’ici, est morte. Il n’y a plus rien à gauche du PS et le vote Bayrou peut au mieux être interprété comme un avertissement sérieux, au pire comme le début d’un exode.

Il est donc injuste, sinon injurieux, de s’entendre dire que rien n’a été fait pour moderniser ce parti. Il est encore plus injuste de s’entendre dire que c’est aujourd’hui l’ex-candidate qui est  porteuse de cette force de rénovation, d’autant plus injuste que Ségolène Royal, assez inactive jusqu’à il y a peu, est en fait le faux nez de la « Gauche Zéro », celle qui se prend pour la 2ème en ayant les pratiques de la 1ère.

Si Dominique Strauss-Kahn et ses fidèles ont à coup sur commis une erreur – finalement très grave dans ses effets – c’est sans aucun doute d’avoir adopté une stratégie d’évitement du débat frontal avec ses opposants, notamment lors des 2 congrès du quinquennat qui s’achève. Ce faisant, le camp social-démocrate a pêché par orgueil, et a succombé, encore une fois, à l’illusion que parce qu’il « avait raison »,  il ne pouvait manquer de s’imposer.

Lors de cette campagne, on s’est félicité, au sein même du PS, du retour du fameux clivage Gauche/Droite, en proclamant haut et fort que la confusion était le pire ennemi du débat démocratique nécessaire. Que n’a-t-on appliqué cette analyse au Parti Socialiste lui-même ! Une autre des raisons de la fossilisation idéologique du PS est en effet à chercher dans une méthode de gouvernement qui a toujours privilégié cette confusion – renommée à l’occasion « synthèse » – au motif proclamé du rassemblement, mais de fait au nom de calculs et de tactiques présidentielles ou claniques. La responsabilité de François Hollande est à cet égard écrasante.

Le temps n’est plus aujourd’hui aux calculs – souvent inspiré d’anciens tacticiens trotskystes noyautant tous les camps, – il est au débat frontal entre au moins deux conceptions du socialisme, du pouvoir, des pratiques et de la morale politique. « Socialisme et Démocratie », héritier de la 2ème gauche, et dont Dominique Strauss-Kahn est aujourd’hui le leader, doit maintenant assumer ses idées et les responsabilités qui vont avec, et accepter de prendre le risque démocratique du combat idéologique pour le leadership de tout le parti.

 

Il s’agit cependant de faire les choses dans l’ordre.

La première chose à faire est donc de préciser ce que nous pensons être le socialisme du XXIème siècle. Il en effet inutile de construire un programme, c’est-à-dire une liste d’actions, sans savoir quelle vision du monde il prétend instancier. Comment, dans un monde ouvert et définitivement mondialisé, concilier une économie de marché, consubstantielle de la démocratie (il nous faut l’affirmer), avec la mise en œuvre de nouvelles solidarités ? Comment se rapproprier  la notion de progrès ? Comment remettre en marche l’ascenseur social ?

Un point essentiel à développer sera celui des pratiques du pouvoir. Il est symptomatique de la vision de l’organisation humaine que nous appelons de nos vœux. Le socialisme est un projet d’émancipation, et les hommes et les femmes émancipés doivent être partie prenante du pouvoir. Il faut en finir avec les organisations pyramidales – dont le parti socialiste est aujourd’hui malheureusement un exemple – pour passer à des organisations en réseau, seules capables de réconcilier contributions  individuelles et projet collectif.

Si le système pyramidal était parfaitement adapté à une société industrielle où le savoir et les compétences étaient peu partagés, la société post-industrielle d’aujourd’hui est « réticulée », maillage fin d’individus de plus en plus formés et responsables, d’intelligences, de compétences, et de problèmes aussi. Le seul moyen de faire face à la complexité d’une telle société est de se doter de structures et de modes de fonctionnement politiques eux-mêmes réticulés.

Une société en réseau est par définition une société de confiance, où les centres de décisions sont le plus près possibles des endroits où se posent les problèmes. Ceci nécessite une redistribution des pouvoirs (et en particulier l’interdiction par la loi de tout cumul de mandats), le passage d’un mode de contrôle à priori à un mode a posteriori (ce qui signifie l’acceptation du risque démocratique), et la transparence dans toutes les prises de décisions.

Ce point est central tant il conditionne tous les autres. De l’organisation du parti aux institutions, de l’implication des militants à celles des citoyens, de la commune à l’Europe, tout dépend des formes et des pratiques du pouvoir.

Le concept et la pratique Royaliste de la démocratie participative, trompeur, est bien plus une tentative maternaliste d’habiller de modernité le concept bonapartiste de rapport direct entre un homme et « son » peuple. Il semble qu’il nous faille plutôt généraliser et théoriser le concept, de subsidiarité, déjà à l’œuvre dans les institutions européennes.

Le deuxième point à aborder est celui des alliances, clivant s’il en est.

La stratégie d’Union de la Gauche, née à Epinay, rebaptisée « Gauche plurielle » en 1997, est aujourd’hui morte, paradoxalement du fait de son succès, c’est-à-dire de l’atteinte de l’objectif avoué d’assécher le Parti Communiste. En mort clinique, le PC n’est  objectivement plus d’aucun secours.

Il n’y a aujourd’hui plus rien à la gauche du PS, si ce n’est une nébuleuse parfois généreuse, toujours archaïque, cocktail mortel pour une gauche de gouvernement. Plus de chose nous séparent de fait d’avec cette gauche là que des démocrates sociaux qui se sont reconnus dans la candidature de F.Bayrou : Europe, institutions, justice sociale, réduction de la dette.

Ce constat fait, il n’implique pas pour autant un changement d’alliance immédiat, mais la nécessité d’un débat pour la considérer.

L’ensemble de ces points doit faire l’objet d’un débat refondateur. Débattre, c’est-à-dire à faire en sorte que des projets différents s’opposent et se nourrissent de cette opposition. Le débat doit être frontal, sans calcul, en acceptant le risque démocratique d’être minoritaire.

Les problèmes de leadership se règleront ensuite d’eux même.

Il est en effet vain, et dangereux de dire que la première chose à faire est de régler le problème du leadership. Il est inquiétant d’entendre l’ex-candidate réclamer la désignation immédiate du candidat pour l’échéance de 2012, au titre que c’est ainsi que la droite a pu organiser son succès, (ce qui est d’ailleurs faux). Le Parti Socialiste doit repenser sa vision, ses pratiques, son organisation, non pas pour les mettre au service d’un individu et de ses ambitions, mais pour proposer à terme au pays le projet et les outils qui vont avec, pour gouverner dans la durée. Et ce n’est qu’une fois produit, que nous aurons légitimité à le présenter au pays, puis de choisir – puisque pour l’instant il le faut – la personnalité la plus à même de la promouvoir.

Dans ce contexte, les sociaux démocrates doivent prendre leur responsabilité, affirmer leur vision, avancer leurs idées, promouvoir leur stratégie, et incarner la rupture.

Rupture avec une pratique ambiguë du pouvoir, où compromis, calculs et opportunismes divers empêchent toute vision modernisée de s’exprimer.

Rupture avec un archaïsme idéologique, où les incantations se substituent souvent aux idées, avec la mise en place d’un nouveau corpus idéologique offensif qui assume et intègre la complexité du monde, qui assume et promeut une société ouverte, qui assume et impose de nouvelles solidarités.

Rupture avec une vision diabolisée de l’économie, de l’entreprise, de la réussite.

Rupture avec un agenda politique, hier fixé par de seuls enjeux nationaux et présidentiels, et demain construit autour du seul espace politique qui vaille, celui de l’Europe.

Rupture enfin avec des pratiques de pouvoir confiscatoires, quelles qu’en soient les instances, état, régions, municipalités ou Parti !

Il nous faut donc maintenant effectuer une véritable révolution dans notre pensée politique, dont l’objet unique devrait être la mise en phase du Parti avec la société réelle.

Sociaux-démocrates, prenons nos responsabilités et soyons ces socialistes du réel.

 

Télécharger : De la rupture sociale démocrate

Pourquoi je ne voterai pas Royal…

Paris, le 11 avril 2007

Chère Clémence, Cher Jean-François,

J’espère que vous allez bien, en tant que simples êtres humains, et que vous ne souffrez pas trop en tant que militants.

Je croise de temps en temps des anciens camarades en train de distribuer des tracts, et parmi eux des Strauss-Kahniens convaincus.

Mon goût du débat (et de la polémique) m’amène toujours  à discuter avec eux et à mettre fondamentalement en question la candidate officielle du parti.

Ce qui avait motivé mon départ du parti est toujours d’actualité. Pire, mes craintes sont toutes surmultipliées maintenant que la bête estime être propriétaire du terrain et de ses serfs.

Vous connaissez sans doute ma position, à savoir que je vais voter Bayrou, au 1er et au 2ème tour.

Je vais essayer de vous expliquer mes raisons dans ce (long) mail.

 Un vote de gauche

Premièrement, il doit être clair que je ne change pas de « camp » en votant pour F.Bayrou.
Je sais que l’hypothèse de ce vote rechigne énormément d’électeurs de gauche, en ce sens qu’ils se disent incapables d’un tel geste parce qu’ils auraient toujours voté à gauche.

J’ai moi-même toujours voté à gauche (sauf au 2ème tour de 2002 évidemment), et je compte rester fidèle à mes idées jusqu’à la fin de mes jours (si tant est que je puisse avoir des idées jusque là…).
Je dis bien fidèle à mes idées, et non à je ne sais quel camp.

L’engagement politique n’est pas un engagement militaire, où l’on aurait renoncé à son libre arbitre pour marché au pas quelle que soit la direction à prendre, au seul motif que des « chefs » nous auraient montré cette voie.
Je vote donc à gauche en votant Bayrou et voila pourquoi.

 Pourquoi « pas Royal » ?

Pourquoi pas en effet ? N’est-elle pas issue du PS ? N’est-elle pas sur des positions « de gauche » ?

Tout simplement parce que je pense que cette femme fait peser sur la gauche française un grand danger, et qu’élue, elle va retarder la nécessaire mutation du PS vers une social-démocratie moderne.

Depuis la création du PS en 1971, et sa prise d’assaut par un Mitterrand aussi brillant que cynique, le PS est divisé en 2 gauches : la 1ère et la 2ème.

La 1ère gauche est fortement imbibée de marxisme-léninisme, jacobine, centralisatrice, pyramidale, toujours persuadé que le PC et l’extrême-gauche sont ou des alliés incontournables, ou des aiguillons nécessaires (ce qui était vrai jusqu’en 1981, mais qui ne l’est plus depuis).

La 1ère gauche pense que tout passe par l’Etat, que les citoyens sont plutôt des « sujets » qui attendent de lui l’organisation de l’essentiel de leur vie.

Cette 1ère gauche a une détestation de l’économie, de l’argent, de l’entreprise, qui en est le terrain de jeu naturel.

La première gauche n’aime pas beaucoup les idées, et préfère les principes et les symboles.

Hier porté par François Mitterrand, le représentant actuel de cette gauche, aujourd’hui, est Laurent Fabius.

La 2ème gauche, elle est une tenante de la pensée complexe, décentralisatrice, en réseau, tenante aussi d’une modernisation du socialisme, de son acceptation de l’économie de marché, d’un état régulateur, facilitateur.
Elle aime la notion de contrat, préfère que les partenaires sociaux se saisissent des problèmes et les règlent eux-mêmes plutôt que de voir l’Etat, d’en haut, leur imposer par la loi, uniforme, et souvent loin de la réalité une solution unique.

La 2ème gauche a compris, il y a longtemps, que l’économie et le social marchaient la main dans la main, et qu’aucun progrès social ne serait possible sans une réhabilitation de l’entreprise, et une nouvelle forme de dialogue entre tous ses acteurs, et la réhabilitation du contrat face à la loi.
La 2ème gauche part du principe que les citoyens sont intelligents et responsables, capables d’être impliqués dans le diagnostic et la prise de décision.
La 2ème gauche, enfin, aime les idées, en produit beaucoup, et n’hésite pas à bousculer les dogmes. C’est elle qui est à l’origine de la décentralisation, ou du RMI par exemple.

Hier portée par un Michel Rocard, et un Delors, cette deuxième gauche l’est aujourd’hui par DSK.

Sur cette base, on pourrait penser que Royal fait évidemment partie de cette deuxième gauche ! Il n’en est évidemment rien.
Ségolène Royal est le faux nez de la gauche Zéro, celle qui se prend pour la deuxième en ayant les pratiques de la 1ère.

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le CV politique de Mme Royal.

Enarque, entrée en politique un peu avant un DSK en 1981 (et donc aussi éléphante que lui), elle n’est à l’origine d’aucune avancée politique dans son camp.
En tant que « conseillère » à l’Elysée, elle travaillait dans l’ombre de J.Atalli et n’a produit à l’époque rien qui ne soit connu ou archivé.
Ministre, ou secrétaire d’état, elle a été falote, sans épaisseur, voire parfois caricaturale.

Qu’on se souvienne de « l’importance » du string au collège, ou du fait que « les enfants ne mentent jamais » dans les affaires de pédophilie où elle s’est laissée aller à des positions populistes et démagogiques, même après que les professeurs impliqués (mais suicidés) étaient blanchis par la justice.

Parlementaire, elle n’a présidé aucune commission, soumis aucune proposition de loi (à part la création de l’AOC Chabichou !), et souvent brillé par son absence.

Militante ou dirigeante du PS, elle n’a produit aucune contribution à aucun congrès de son parti en 25 ans, et particulièrement lors du dernier congrès du Mans, pourtant décisif au regard de l’échéance présidentielle qui suivait.
Elle n’a écrit aucun ouvrage majeur de réflexion idéologique.

Où sont ses clubs de pensée, ses think tanks, ses réseaux d’intellectuels associés ?
Nulle part, parce qu’il n’y en a pas.

Difficile de croire que quelqu’un qui dit vouloir construire le socialisme du XXIème siècle n’ait justement rien produit, écrit, proposé, en 25 ans pour l’exposer, le construire, le partager.
Il y a donc là une véritable escroquerie intellectuelle à présenter Mme Royal comme une sorte de nouvelle égérie de la pensée de gauche moderne.

Il faut ensuite regarder les pratiques de la dame et les comparer avec les propos.

La démocratie participative, véritable mantra Royaliste, semble à première vue une bonne idée non ?
Il faut gratter un peu pour se rendre compte de la superficialité de sa mise en œuvre, sinon du risque qu’elle induit vis-à-vis de son électorat.

Pour Royal – qui mérite la son nom – la démocratie participative relève du lien direct entre le monarque et le peuple.
Elle est donc par définition une populiste. On en revient aux cahiers de doléance d’autan.
Les doléances vont du bas vers le haut, sans remettre en cause ce lien du haut vers le bas. Il s’agit d’une posture paternaliste.

La démocratie participative, la vraie, c’est celle qui consiste à impliquer le citoyen au diagnostic, à la prise de décision, et cela ne peut se faire que dans la remise en cause des institutions et une nouvelle redistribution des pouvoirs.

On nous dit que les débats participatifs sont la preuve de l’efficacité de la démarche ?
Sauf qu’il suffit de comparer le programme du PS conçu avant ces débats, et le pacte présidentiel soi-disant conçu à partir des inputs de ces débats pour s’apercevoir qu’ils n’y ont contribué que très peu.
Pire, c’est de manière complètement opaque que l’intégration, le choix des idées à retenir a été fait, la plupart du temps par la candidate elle-même.

Il s’agit donc d’une mascarade.

La pratique collective du pouvoir ? Mme Royal a toujours exercé le pouvoir de manière solitaire, autoritaire, sans collégialité, avec brutalité.
Comme ministre, et maintenant comme présidente de région, elle exerce un pouvoir opaque sans travail de groupe.
Il suffit de regarder les regards ahuris des membres de son équipe de campagne découvrant en direct, pendant les meetings ou les émissions radio/télé la nouvelle idée, la nouvelle proposition, la nouvelle loi, décidés par la candidate toute seule sans en référer ni parler avec son staff.

Elle est imprévisible et solitaire, c’est à dire dangereuse.

Sin on ajoute à cela son incompétence, sa méconnaissance des dossiers, sa légèreté en matière internationale (la Chine, dont elle admire la vitesse de la justice, le Proche-Orient où le lundi au Liban elle condamne le survol des troupes de l’ONU par les avions israéliens, et le lendemain, en Israël, approuve le survol des troupes de l’ONU par les avions israéliens, tout en approuvant la construction du mur, bref sa capacité à dire une chose et son contraire; on voit le danger qu’elle représente.

Je vois arriver alors l’argument de la misogynie, et là je dis stop !

Disons-le, la femme a sa place dans la politique française. Et alors ? Le fait d’être une femme serait suffisant pour se qualifier ?
Derrière le procès en misogynie, il y a en fait une question en creux : est-ce que c’est parce que c’est une femme qu’elle fait l’objet de toutes les critiques (et en particulier des miennes) ?

Réponse : il ne suffit pas d’être une femme pour se qualifier, il faut simplement être à la fois compétent, producteur et porteur d’idées nouvelles, capable d’emporter et de faire bouger une équipe et avoir fait la preuve de tout ça dans sa vie politique. C’est tout.
Et non, le fait qu’elle soit une femme n’a rien à voir dans ma position et ma critique fondamentale. J’ai la plus grande admiration pour S.Veil par exemple.

Martine Aubry a fait la preuve de son efficacité comme femme politique ou comme Chef d’entreprise, Anne Hidalgo réussit comme première adjointe, etc., etc.
En fait cet argument est un gigantesque aveu de faiblesse.
Ce procès en antiféminisme, cette victimisation systématique est le mur derrière lequel Royal cache sa vacuité essentielle, et que ces supporters exploitent à fond.

Et si le principal problème de notre système politique était de ne pas promouvoir la femme, ce serait trop beau, et la preuve qu’il est pour le reste pas si mal, ce qui n’est pas le cas.

Mais alors, pourquoi Royal a été choisie ?

Si Royal est si mauvaise que çà, alors comment expliquer qu’elle ait pu être choisie par le PS ? Il faut revenir en arrière pour comprendre comment un tel « hold-up » a pu avoir lieu.

Après le choc de 2002, il est clair que l’année 2002 et 2003 ont été consacrées à la reconstruction, et tous les acteurs du PS ont été solidaires.
2004 voit la victoire écrasante du PS aux régionales – le PS croit alors qu’il a recouvré la santé et ne commence pas pour autant à bosser sur un nouveau projet.

Et se profile alors le référendum interne sur le traité constitutionnel.

DSK a très vite pris position sur le sujet, en faveur du Oui. On sait que Fabius hésite pour des raisons de positionnement politique (puisqu’il pense que son tour est venu), Hollande attend jusqu’en à fin aout pour donner son avis, dans un jeu de chat et de souris avec Fabius.
A partir de ce moment, l’enjeu est celui de la bataille interne entre le Oui et le Non, et sur rien d’autre. Là encore, le projet passe à la trappe.
Les calculs pour la candidature sont remis à plus tard (et même plus tard qu’on le croit).

Après une campagne interne très dure, le OUI l’emporte en interne, et on croit Fabius mort politiquement, tant on n’imagine qu’il ne puisse se départir du votre interne. Il n’en est malheureusement rien, et alors que le PS devrait construire son programme (nous sommes début 2005 quand même !), il bataille encore en interne.
Là aussi, pas de place pour un autre combat.

Après une campagne destructrice, où des « officiels » du parti battent l’estrade avec ses adversaires, le NON l’emporte. DSK pense alors que pour Hollande, c’est cuit. Il ne reste plus que 2 candidats potentiels crédibles, Fabius et lui, et il sait avec certitude, que personne ne pardonnera à Fabius sa traitrise.

Le congrès du Mans se prépare, Hollande décide d’y aller seul et  il force son camp à le suivre, il gagne haut la main (58%). Il a la possibilité de jouer le clivage net avec Fabius, mais pour des raisons de calcul, il va chercher à piéger Fabius dans une solidarité factice. Que ce clivage fonctionne, et rejette Fabius dans l’opposition et le vrai combat va pouvoir commencer.

Mais Hollande n’a pas renoncé à être candidat : il force la synthèse, remettant Fabius en selle, et isolant DSK. Royal est déjà sortie du bois, même si personne n’y croit, pas même  Hollande. L’hypothèse Jospin est peu crédible à l’époque (si tant est qu’elle l’ait jamais été).

DSK doit se plier au calendrier décidé par la majorité à laquelle il appartient. Le PS peut enfin se consacrer au programme, qui sera cependant conçu dans les hautes sphères, comme d’habitude.  Hollande a décidé de plus de retarder au maximum la campagne interne, pour se donner le plus d’air possible. Ce faisant, il laisse toute la place à Royal qui joue l’opinion contre le parti. A force de petites phrases iconoclastes, de remises en cause des positions du parti (les 35 heures, la sécurité, la carte scolaire), et de victimisation féminine permanente, elle se construit une popularité qui finit par l’imposer comme candidate crédible pour battre Sarkozy.

Sachant en plus que le PS a vu ses effectifs gonfler de 50% du fait de la campagne d’adhésion à 20 euros, dont la majorité s’est comporté en « fans » plus qu’en militants, et on a l’explication du phénomène.

L’analyse de cette séquence politique qui a amené à sa désignation a donc été  un subtil jeu d’action et de rétroaction entre l’opinion, la presse, la sphère militante et les égo des uns et les calculs des autres et a amené à cette situation.

Pourquoi « Bayrou » ?

Les analyses précédentes ayant été faites, en quoi la candidature de F.Bayrou vient régler le problème ?
Pour les raisons suivantes :

En tant que socialiste moderne de la 2ème gauche, je crois que le France mérite qu’enfin un pôle social-démocrate à vocation majoritaire voit le jour pour gouverner dans la durée, et s’aligner enfin sur la gauche européenne.
L’émergence de ce pôle social-démocrate nécessite que le PS passe dans le 21ème siècle et renonce à de vieilles analyses et postures et décide de faire son aggiornamento.

Or, il suffit de regarder en arrière pour voir que le PS a été incapable en 30 ans de faire cet aggiornamento, et qu’il a loupé en novembre la seule chance qu’il avait, avec DSK, de faire cette révolution en interne. En choisissant Royal, sur la base d’une démocratie d’opinion, et non sur des bases politiques, c’est à dire en pensant que cette candidate avait comme principale qualité d’être « la seule » à pouvoir battre Sarkozy.

Le problème est qu’il s’avère finalement que cette candidate est non seulement incapable de battre Sarkozy, mais représente de plus un grand danger pour la gauche et le PS, tant elle est inconstante et sans vision.

Ceci étant dit, sachant que Royal va perdre, comment la modernisation du PS peut-elle s’opérer ?

En cas de victoire de Sarkozy, après l’échec, la bataille va recommencer entre les Fabiusiens et les Strauss-Kahniens. F. Hollande a dit qu’il se retirerait de la direction du PS et il doit donc laisser la place. Les nouvelles générations (Peillon, Dray, Boutih, Montebourg et Cie) vont vouloir prendre le pouvoir.
Cela va donc être un foutoir sans nom où comme d’habitude, la confusion régnera.

Le PS perdra donc encore son temps et son énergie dans des batailles internes de pouvoirs et non dans son renouvellement.

Mais il existe un autre scénario, qui doit, permettre au PS à la fois de faire sa révolution et de gouverner.
Ce scénario, c’est paradoxalement la disparition au 1er tour de Royal de la compétition, avec un second tour opposant Bayrou et Sarkozy. 

F. Bayrou s’est positionné clairement sur un discours social-démocrate, en rupture totale avec le camp Sarkozien, et il est entouré de conseillers souvent venus du camp Strauss-Kahnien.
Il faut lire son livre (« Projet d’espoir »), ou l’écouter en meeting, pour s’apercevoir que son discours, comme son projet sont fondamentalement sociaux-démocrates. Europe, Institutions (VIème république), parlementarisation (proportionnelle), social-économie, laïcité : sur tous ces sujets, il a clairement pris des positions social-démocrates.

Le fait que deux groupes de très haut fonctionnaires de gauche, anciens collaborateurs de Jospin ou DSK (les Spartacus, et les Gracques) aient appelé à voter pour lui, ou à mettre en œuvre une nouvelle majorité UDF-PS-Verts en est encore la preuve.
Cohn-Bendit lui même appelle à la constitution de cette nouvelle majorité.
Strauss-Kahn lui même (en opposition en cela avec Fabius qui voudrait une opposition frontale) a appelé Bayrou à rejoindre le pacte présidentiel de Royal.

C’est bien la preuve que l’idée de gouverner avec lui n’est ni folle, ni impensable, ni infaisable.

Donc, si Bayrou arrive à s’imposer au 1er tour, pour affronter N.Sarkozy, cela va être un choc extraordinaire, qui va aider le PS à faire sa mutation de manière bien plus facile.
L’UMP elle-même ne survivra pas à son élection : les éléments les plus sociaux  de l’UMP (Borloo, Méhaignerie, tous les radicaux de droite) le rejoindront naturellement.

Bayrou face à Sarkozy : Bayrou est élu les doigts dans le nez, avec les voix de la gauche.

Son électorat sera donc de gauche deux fois : aux gens de gauche qui, comme moi, auront voté pour lui dès le 1er tour, viendront s’ajouter les électeurs de gauche du second tour, que le PS aura logiquement appelé à voter pour lui officiellement.

Ainsi colorée, sa majorité présidentielle aura une dynamique de gauche, et aux législatives qui suivent, le nouveau parti démocrate que Bayrou a promis de créer si il gagne gagnera logiquement un nombre de députés suffisamment conséquent pour être incontournable.
Il faut savoir en effet que la dynamique de la victoire présidentielle donnera la main à ceux qui soutiendront le nouveau président, comme en 81 ou en 2002, où le PS (81) et l’UMP (2002) ont raflé la majorité absolue à l’assemblée.

Il n’aura probablement pas la majorité absolue, et devra donc s’associer au PS pour gouverner, puisque ce sont les voix de gauche qui l’auront élu. Cela implique évidemment que le PS ira gouverner en connaissance de cause, et en accord avec le programme présidentiel pour l’essentiel.

Cet accord nécessitera la clarification immédiate au sein du PS.

Le débat entre les tenants assumés de la social-démocratie devra avoir lieu pour la dernière fois avec les tenants de la 1ere gauche.
Ces derniers savent qu’ils ne peuvent pas gagner, et devront soit s’incliner, soit partir et créer une sorte de Links Parteï à la française avec l’extrême gauche française, renonçant ainsi pour toujours à accéder aux manettes du pouvoir.

Les sociaux-démocrates auront alors les coudées franches, n’ayant plus à faire continuellement la preuve de leur socialisme auprès de juges internes, propriétaires autoproclamés de la marque « socialistes ». Ils seront la force principale d’une nouvelle majorité de gauche, modérée, équilibrée, mettant en œuvre de nouvelles pratiques, décentralisées, et respectueuses de la démocratie.

Et si il ne fallait retenir qu’un seul argument pour voter F.Bayrou c’est qu’il est le seul qui peut nous éviter que Sarkozy devienne président !

A la lumière de ce que j’ai dit précédemment, est-ce que cela ne suffit pas ?

Amitiés

 Dominique Sciamma

Télécharger : Pourquoi_je_ne_voterai_pas_Royal

Nouveaux réseaux, Nouveaux Pouvoirs : Pour une Démocratie Renouvelée

Contribution thématique pour le Congrès du Mans (2005) de :
Dominique Sciamma (Cergy Pontoise), Laurent Cervoni (Mont Saint Aignan),
Astrid Panosyan (Déléguée Nationale)

Plus que jamais, le Parti Socialiste fait aujourd’hui le diagnostic d’une société dangereusement divisée, douloureusement morcelée, profondément inégalitaire. Le délitement est général : crise politique et institutionnelle, crise économique, crise sociale. Jamais depuis la chute du Mur, la gauche n’a pourtant été capable d’articuler un projet à la hauteur du défi que le libéralisme le plus sauvage se targue de relever naturellement. Le 21 avril 2002, puis le 29 mai 2005 sont les derniers symptômes les plus cruels du déphasage croissant entre les Partis Politiques et les citoyens. Désyndicalisation, communautarisme, repli identitaire, tout montre que le tissu social se défait.

Il incombe au parti Socialiste de contribuer activement à retisser un modèle social, politique, et économique basé sur des liens plus forts entre les élus et les citoyens, entre les partenaires sociaux, entre les générations. Ceci ne peut cependant se faire sans remettre en cause profondément notre vision de la société française, les formes de gouvernements, nos pratiques du pouvoirs et plus encore le système sclérosé dans lequel nous nous débattons et dont il est urgent de sortir pour le réinventer.

A l’origine du hiatus

Dialogue social en panne, chômage structurel, rejet des élites, méfiance à l’égard des élus, tentation de repli sur soi, balancier électoral systématique, incapacité à penser la mondialisation : la société française est aujourd’hui malade. Et c’est la démocratie qui risque de succomber.

Depuis bientôt 25 ans la Gauche se trouve confrontée, aux mêmes questions et aux mêmes problèmes qui ont régulièrement reçu les mêmes réponses, et qui ont généralement échoué, qu’elles aient été proposées à gauche, ou à droite, par des élites formatées et finalement assez homogènes.

Il est donc probable que la majeure partie des problèmes posés à la France est de nature structurelle, mieux même de nature systémique. Car ce n’est pas l’organisation du système qui engendre tel ou tel problème, mais bien le système lui-même La mission du parti politique dont la devise a longtemps été de « Changer la Vie » est bien de ne pas se contenter du système en place, et de lui en substituer un autre, plus juste, plus efficace, plus solidaire, en mettant en lumière les insuffisances et les incohérences du système en place.

De façon synthétique, le mal qui ronge la société française, et au-delà, l’ensemble des sociétés développées, trouve son origine dans le hiatus grandissant entre l’organisation sous-jacente réelle de ces sociétés et l’organisation des pouvoirs qui visent à la piloter. Les structures, les pratiques et outils, et les profils de la plupart des élus sont formatés pour un monde qui a disparu : peu complexe, fermé, peu éduqué, fortement hiérarchisé, lourdement industriel, doté d’une importante inertie. Ils ne sont pas adaptés au monde qui s’avance : très complexe, très ouvert, très éduqué, basé sur la conception, volatile et changeant en permanence.

De la pyramide au réseau

L’évolution des sociétés humaines, en particulier dans sa dimension économique et organisationnelle, est déterminée par la genèse, la croissance, et le blocage de « systèmes ». Le passage d’un système à un autre est toujours caractérisé par une crise. La plupart du temps, la crise est surmontée en réinventant un nouveau système. C’est toujours par un saut qualitatif que l’on passe d’un paradigme à un autre. A chaque étape, les productions sont de plus en plus immatérielles, et leur valeur ajoutée de plus en plus grande.

A chacune des étapes du développement des sociétés humaines, celles-ci se sont dotées d’organisation, tant politiques qu’économiques en rapport direct avec la nature des productions, et de la qualité des savoirs des humains impliqués dans ces productions.

On pourrait facilement segmenter ces organisations en 3 familles :

  1. La pyramide : Le système est dirigé par « les Anciens » : possesseurs d’un savoir très peu partagé, un Roi-Arbitre et quelques barons pilotent le système. L’énergie est consommée dans la négociation interne au système. Ceci est d’autant plus facile que les sujets (qu’ils soient salariés, fonctionnaires, ou simple citoyens) sont à la fois peu formés, peu compétents,et conséquemment assez disciplinés, dévoués, fidèles, pour ne pas dire dociles.
    Le savoir et les compétences personnels sont peu importants, et peu promus puisqu’ils ne sont pas nécessaire pour faire fonctionner le système. Système pyramidal par excellence, il fut typiquement le système à l’oeuvre dans le cadre des deux révolutions industrielles, mais il est encore malheureusement opérationnel dans de nombreuses organisations humaines : entreprises, services publics, et les partis politiques eux-mêmes.
  2. L’arbre : Plus rationnelle, l’organisation est divisée en « centre de résultats », chacun doté d’objectifs, de décideurs autonomes, et d’outils de pilotages appropriés. La décentralisation des responsabilités en est une des règles fondatrices, qui induit une organisation arborescente. Les savoirs et savoirs faire sont regroupés dans ces unités autonomes. Si les compétences requises par les acteurs de ce type d’organisation sont plus importantes, ils n’en restent pas moins interchangeables. Plus performante, plus transparente, plus souple, cette organisation est appliquée dans beaucoup d’entreprises, et est à la base de toutes les réformes de décentralisations (heureuses ou malheureuses) tentées en France depuis 1981.
  3. Le réseau : « Dernier cri » en matière d’organisation, l’organisation en réseau est basée sur l’idée que chaque « projet », quelle qu’en soit sa nature, nécessite une organisation propre, qui n’existe que le temps du projet et disparaît ensuite. Presque organique, vivante, ce type d’organisation est basé sur la mise en relation de « processus ». Chaque processus peut être décrit en termes de production et de consommation. Il n’y a plus de hiérarchie dans ce type d’organisation, plus de centre, plus de périphérie. Constituée de processus à la fois autonomes et interdépendants (ce qui est produit par l’un est attendu par l‘autre), une organisation en réseau nécessite une transparence totale, ainsi que des outils de communication et de mesure performants. Les acteurs impliqués dans cette organisation sont par définition autonomes, responsables, fortement éduqués. Leur capacité d’initiative est plus qu’encouragée, elle est nécessaire. Ce modèle doit définir la vision du Parti Socialiste pour la France et pour l’Europe.

 

Modèle

Monde

Information

Savoir

Métaphore

La Pyramide Fermé Cachée Monolithique Les Tables de la Loi
L’Arbre Ouvert Diffusée Structuré La Bibliothèque
Le Réseau Changeant Créée Relié Internet

 

La France Pyramidale

Il est aisé de voir dans quel modèle la France se trouve aujourd’hui coincée.

La lettre, l’organisation, comme les pratiques de la Vème république relèvent pour l’essentiel d’une organisation pyramidale. La situation d’un Roi-Arbitre, entouré de barons, prenant toutes les décisions de manière souvent opaque, et par définition loin des réalités des problèmes qui les motivent, limite la participation des citoyens et leurs représentants. Cet éloignement des citoyens des lieux de prises de décisions a des conséquences évidentes : abstention croissante, résignation voire colère sociale comme le 29 mai, désyndicalisation ou encore rejet du politique.

Si la société française des années 50 – encore fortement agricole, en phase d’industrialisation et peu éduquée – pouvait se satisfaire d’institutions pyramidales avec un fort pouvoir central, il est clair que la France du XXIème siècle – tertiaire, internationalisée, et éduquée – ne peut plus être pilotée « d’en haut » et qu’une nouvelle organisation des pouvoirs s’impose.

Une société réticulée

La France d’aujourd’hui est une société « réticulée », constituée d’un maillage fin d’individus de plus en plus formés et responsables, d’intelligences, de compétences … et de problèmes. Le déplacement de la valeur vers la conception exige en effet de disposer de contributeurs responsables dont la principale activité est de penser, de concevoir, de créer.

Parce que plus éduqués, la demande de participation des Français à la prise de décision est pressante. Les processus de création de richesse nécessitent une articulation différente avec les acteurs politiques. L’intégration internationale de la France appelle à une coordination choisie et  transparente des niveaux de pouvoirs, du niveau municipal à l’Europe.

Le seul moyen de faire face à la complexité d’une telle société en réseau est donc de se doter de structures et de modes de fonctionnement politiques organisés sur le même modèle.

La droite qui gouverne pour la catégorie de la population la plus nantie en réduisant les impôts et en bloquant les investissements publics, ne se soucie pas d’une société en réseau, forcement égalitaire.

Si on ajoute que dans la culture française la capitalisation du savoir est une source de pouvoir, une organisation pyramidale ne peut que s’inquiéter d’une évolution vers une structure maillée. La suppression de toutes les structures qui assurent le pouvoir des groupes dominants est une des essences même du socialisme.

Quels chantiers pour demain

C’est évidemment au Parti Socialiste qu’il incombe d’agir pour mettre en oeuvre cette société en réseau,afin de restaurer tous les maillages politiques, sociaux, et humains. La solidarité réaffirmée vis-à-vis de tous les exclus, comme l’efficacité opérationnelle (politique et économique) passe par là.

les Institutions :

Il semble impossible de tenir le raisonnement précédent en gardant les mêmes institutions, et surtout les mêmes pratiques du pouvoir. Il faut donc repenser nos pratiques du pouvoir et en tirer les conséquences sur les institutions.

La structure pyramidale de nos institutions est la première cause du fossé gigantesque entre les élus et les citoyens. Lorsque les décisions sont prises par des élus irresponsables politiquement (et le Président de la République le premier), les citoyens se sentent légitimement exclus des processus de décision. Si nous sommes indubitablement en république, nous sommes loin d’être une démocratie.

Mais la perversion du système n’atteint pas que ses « élites » ! Bercés dans cette idée d’une toute puissance du sommet, les citoyens eux-mêmes sont naturellement portés à se tourner vers le haut dès qu’un problème surgit, qu’il soit réel ou fantasmé, petit ou grand, public ou communautaire. A force de se l’entendre dire, le citoyen de base ne jure que par l’Etat, et se décharge ainsi sur lui de sa propre responsabilité dans la résolution des problèmes, ce qui est à la fois confortable, et dangereux.

Il faut donc ramener chacun à ses responsabilités, en rapprochant les élus (qui ne doivent plus être des élites, forcément consubstantielles de la pyramide) des niveaux où les problèmes se posent, et les citoyens des cercles enfin ouverts où se discutent et se résolvent les problèmes de la collectivité.

Quelques décisions simples, mais courageuses, doivent être prises :

  1. En finir avec le cumul des mandats :
    • Interdiction de tout cumul de mandats parallèles
    • Interdiction de plus de 2 mandats du même type consécutifs dans le temps
    • Obligation de la part de l’élu de rendre compte de sa mission par des rapports annuels par exemple
    • Mise en place d’un statut de l’élu, afin de permettre l’engagement comme le désengagement post-mandat dans des conditions économiques dignes Le nombre des élus va ainsi mécaniquement augmenter, ainsi que le nombre de citoyens impliqués dans la vie politique. Il en découle aussi une implication à 100% sur un mandat unique, gage d‘efficacité. La limitation des mandats dans le temps assure aussi le renouvellement des élus, gage de la bonne représentativité de ces derniers. Le statut de l’élu permet de sortir du syndrome de la professionnalisation de la fonction politique, qui est souvent à l’origine de la déconnexion de responsables politiques de la réalité de leurs mandants.
  2. Réorganiser les pouvoirs :
    • Déprésidentialiser définitivement le régime, en faisant du Premier Ministre le seul pilote de la politique gouvernementale, responsable politiquement devant le parlement et le peuple.
    • Redonner un rôle central au parlement, qui cesserait d’être une simple chambre d’enregistrement, pour être un acteur central de la vie démocratique française.
    • Redéfinir les justes niveaux d’organisation territoriale : Europe, Etat, Région, Communauté de commune, communes
    • Mettre en oeuvre de manière systématique le principe de subsidiarité : les problèmes doivent être résolus au niveau pertinent le plus bas possible, et les moyens nécessaires à la leur résolution doivent être aussi affectés au niveau pertinent. Ce n’est qu’à cette condition que la distance entre le citoyen et les élus et organisations en charge de la résolution de leur problèmes sera mécaniquement réduite.
    • Des organisations par projet doivent être systématiquement mis en place. Elles doivent impliquer élus, associations et simples citoyens, leur durée de vie est liée à la résolution d’un problème et au suivi de la mise en place de la solution. On pourrait reprendre ici le terme de « démocratie participative » tellement galvaudé qu’il a perdu tout son sens. Nous lui préférons le terme de « démocratie interactive » dans la mesure où tous les acteurs sont égaux devant les défis et la recherche de solutions, qu’ils soient élus ou simple citoyen. 
  3. le maillage social : Tissus social, réseau social, il s’agit encore et toujours de maillage. Il y a une urgence à retricoter notre modèle. Deux pistes existent :
    • Renforcer le tissus associatif : Il existe en France 1 650 000 associations représentants 20 millions de français de plus 14 ans. En 25 ans, leur nombre a été multiplié par plus de 5. Si les associations n’ont pas à se substituer aux élus, elles couvrent cependant un périmètre exhaustif ou presque de la population, des catégories socio-professionnelles, des activités sportives, culturelles. Elles ont donc un rôle clé à jouer dans une démocratie en réseau. Il faut donc inventer et institutionnaliser l’intégration des associations aux processus de prises de décisions dans la cité.
    • Renforcer la démocratie d’entreprise : si les entreprises ne sont pas des démocraties, elles n’en sont pas moins le premier lieu de mise en oeuvre des relations humaines. Il est donc impossible d’imaginer une démocratie réinventée en excluant l’entreprise de son champ. Puisque l’entreprise est le premier lieu de mise d’expérimentation de l’organisation par projet en réseau, il faut que le dialogue social en entreprise profite systématiquement de sa mise en oeuvre. Que ce soit en termes d’information, de consultation, de prise de décisions, l’ensemble des outils et infrastructures existent pour le mettre en oeuvre. Ils doivent induire de nouveaux comportement, et de nouveaux droits.

Les infrastructures et les outils :

Les pratiques en réseau ne sont aujourd’hui possibles que parce que de nouveaux outils sont maintenant disponibles. A bien des égards, la révolution des technologies de l’Information, née il y a plus de 60 ans maintenant, représente un saut qualitatif aussi important pour l’histoire humaine que l’invention de l’écriture. Elle vient remettre en cause les organisations humaines en place et nous obligent à les réinventer. Impossible en effet de vivre dans une société bâtie autour de l’écriture jusque dans ses pratiques du pouvoirs (le texte), alors que les Technologies Numériques de Communication (TNC) nous invitent à passer à une autre dimension, et donc à une autre pratique plus interactive (l’hyper-texte).

  1. Les TIC au coeur de la société en réseau :
    Dans nos sociétés développées – et bientôt partout dans le monde – aucun produit ou service n’est et ne sera conçu puis offert sans la mise en oeuvre de logiciels tournant sur des ordinateurs, au travers de réseaux de communication informatiques.Dans ces mêmes sociétés, toute décision- que ce soit dans le domaine de l’entreprise privée comme dans celui de l’action publique – n’est et ne sera prise sans qu’elle n’ait été préparée sur la base d’informations ou d’analyses produites au travers de systèmes d’information.

    Partout bientôt dans le monde, le savoir sous toutes ses formes – sciences, cultures, arts, littérature – sera lui-même créé, stocké, accédé, croisé, depuis n’importe quel point du monde.

    Cette révolution doit évidemment impacter tout projet politique. Impossible en effet d’imaginer piloter une société à ce point innervée par les TNC sans en intégrer à la fois toutes les opportunités et les possibilité induites.
    A ce titre, il faut que les élus ou les responsables politiques maîtrisent ces modes de travail collaboratif où, faisant partie du réseau, ils peuvent interpeller ou être interpellés à tout instant.
    Tout représentant du peuple ou du gouvernement doit ainsi être actif sur le réseau au travers, par exemple d’outils de communication tels que blogs, sites internet, où agenda, actions, projets, et vision politique sont accessibles à tous.

    Ces obligations de communication sont un premier pas vers la mise en place d’un modèle collaboratif et interactif. Une formation obligatoire des élus et des membres du gouvernement pourrait ainsi être retenue.

  2. Réaffirmer le rôle de la puissance publique :
    On confond trop souvent la notion de réseau avec Internet. Pour beaucoup, utiliser un réseau de communication informatique revient à utiliser Internet. Cette approche inexacte et l’absence d’une démarche volontariste dans le domaine des infrastructures de communication a conduit à des erreurs de la part de tous les gouvernements successifs.L’enjeu d’une communication entre tous exige une vision ambitieuse en matière de facilitation et fluidification des échanges. Les phénomènes émergents de publication spontanés, ou d’échanges ouverts (peer to peer) par exemple, démontrent les contre-pouvoirs que permettent ces outils de communication.

    Cependant, de même que l’accès à l’énergie ou à l’eau est un droit (et le Parti Socialiste aura aussi à agir dans ces domaines), la possibilité d’accéder à un réseau de communication numérique doit aussi être un droit.

    Le rôle du Parti Socialiste est donc de revenir sur la tendance actuelle en matière d’infrastructures, qui laisse le marché décider des utilisateurs potentiels du haut débit. Les politiques infrastructurelles, à défaut des infrastructures elles-mêmes, doivent être sous le contrôle de la collectivité alors que les services (dont l’accès à Internet, par exemple) relèvent du seul domaine de la concurrence.

    De même que les infrastructures routières dépendent de la puissance publique, les infrastructures numériques doivent relever de la volonté publique, afin de ne pas dépendre d’une stratégie ou d’une seule logique de marché, souvent limitées au respect d’objectifs de rentabilité à court terme.

    Seule la puissance publique est donc à même de faire l’effort d’investissement nécessaire pour créer ces infrastructures répondant aux enjeux de la société de l’Intelligence. Si les services relèvent bien du secteur marchand, concurrentiel par essence, les fameuses « Autoroutes de l’Information » doivent en revanche être mises à la disposition de tous par la puissance publique.

    Ainsi, ce choix stratégique passe, par exemple, par la renationalisation de la partie infrastructurelle de France Télécom ou par des modèles de Délégation de Services Publics, à l’échelon adéquat, mais dont la vision et les objectifs sont nationaux ou mieux, Européens.

    La faculté d’accéder à tous les services publics, comme les impôts, ou les délibérations en direct du dernier conseil municipal doit être libre et gratuit. La confusion entre réseaux et Internet conduit à considérer que si une information est disponible sur Internet, elle est gratuite et accessible à tous. Or, l’accès à Internet étant contrôlé par un abonnement privé, il n’y a pas d’égalité dans la mise en réseau des informations publiques, les plus faibles étant systématiquement maintenus à l’écart de cette forme de réseau (par l’argent ou le savoir). Les réseaux publics, à l’image de Renater pour la recherche, doivent donc être généralisés, étendus aux structures associatives, écoles primaires, comités d’entreprises, syndicats et à terme l’ensemble des particuliers.

  3. Intégrer le réseau dans les missions de régulation de la puissance publique :
    Dans un marché mondial, le réseau est à la fois une arme au service des puissances économiques et une opportunité pour la démocratie. De même que les pratiques financières doivent être soumises au contrôle d’un régulateur publique, le réseau, doit aussi y être soumis.Une telle organisation redonne aux Politiques et aux citoyens des atouts voire des leviers contre des organisations économiques qui savent exploiter le caractère planétaire,et donc aujourd’hui dérégulé, des marchés.

    Cette régulation n’est d’ailleurs pas par définition le seul apanage de la puissance publique, mais de tous les citoyens, puisque le réseau est lui même l’outil et le lieu de sa régulation. Les contre-pouvoirs économiques qu’il offre permettent de définir de nouveaux modes de contrôle, mais aussi de productions et de distribution, ouverts à tous, par exemple, dans le domaine de la culture ou de la santé. Ainsi, plutôt que de taxer uniformément des échanges de fichiers (pour protéger les auteurs, notamment), de nouveaux services publics culturels ou éducatifs, par exemple, servirait l’image d’un Parti Socialiste innovant.

  4. Pour une Politique Numérique Commune :
    La mise en place de réseaux à un niveau local s’intègre ainsi dans le cadre d’une vision nationale et surtout européenne. La création d’infrastructures européennes numériques à Très Haut Débit en fibre optique tient de la même ambition : la mutualisation des coûts, la cohérence des protocoles et des infrastructures, entraîne une baisse automatique des frais des équipements et de maintenance, et permet l’émergence de nouveaux services à des coûts accessibles pour tous, engendrant par surcroît de nouveaux emplois. Ainsi pourra s’instaurer un cercle vertueux au service de la culture, la santé, l’éducation et l’économie, dont aucune catégorie de la population ne sera exclue.Il faut donc, de manière volontaire, et au niveau européen, initier immédiatement un très vaste chantier d’infrastructures normalisées à très très haut débit. Leur capillarité doit être la plus fine possible, idéalement jusqu’au moindre foyer, car il ne s’agit pas de donner plus à certains, mais bien d’impliquer tous les citoyens.

    A chaque époque ses défis : la Politique Agricole Commune a permis en son temps à une Europe volontariste de remodeler et de moderniser complètement sa filière agro-alimentaire. Mais Il n’est plus possible que la seule grande politique européenne soit la politique agricole commune qui consomme plus de 40% du budget de l’Europe. Cette Politique Numérique Commune, dont Lisbonne a esquissé les contours, est seule en mesure de faire entrer de plain pied l’Europe dans la société de l’Intelligence, c’est à dire non seulement de lui offrir les perspectives d’un développement économique durable – cocktail vertueux de valeur ajoutée et d’emplois très qualifiés – mais surtout de consolider en le modernisant son modèle social, où, plus que jamais, l’implication active de ses citoyens sera nécessaire.

    Lancer un vaste programme à l’échelle européenne de formation généralisée aux nouvelles technologies et au travail en réseau, systématiquement transnational, constitue un autre défi, afin de diffuser la culture et la pratique du travail en réseau. Ceci nécessite évidemment un investissement massif, au niveau national comme européen, dans l’éducation (et particulièrement vers les universités) ainsi que dans la recherche.

Repenser la démocratie

Face à la complexité d’un monde ouvert et définitivement globalisé, seule une organisation en réseau permet aujourd’hui d’appréhender et de gouverner les sociétés modernes. Il faut donc repenser les organisations et les pratiques du pouvoir en conséquence : l’organisation en réseau, souple, transparente, responsabilisante, est la seule réponse possible aux défis d’une société mondiale complexe et rapidement changeante.

Seule une organisation en réseau est à même d’impliquer tous les acteurs, politiques comme citoyens, au plus près des problèmes, là où ils se posent.

Seule, elle a la souplesse nécessaire pour s’adapter en permanence aux changements de plus en plus rapides de nos sociétés développées.

Seule, elle propose le meilleur rendement démocratique, comme économique.

Seule, elle propose une méthode à même de marier la puissance des individus qui s’affirment, à l’efficacité de l’organisation collective solidaire.

Seul le Parti Socialiste peut en être le porteur.
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Projet 2007 : Pour un Forum Politique à Cergy-Pontoise

(Juin 2005)

S’il est un mérite du récent débat interne au PS sur la constitution Européenne, c’est bien d’avoir démontré combien il est difficile de débattre, y compris entre gens de la même famille politique.

Structurer son discours, écouter, s’interroger, douter, remettre en cause ce que l’on estimait comme acquis, s’enrichir des arguments et de la vision de l’autre : voilà un exercice de démocratie plus facile à théoriser qu’à réaliser. Chacun, personnellement ou collectivement, a pu en mesurer la difficulté.

Le prochain défi que s’est donné notre parti est de construire son projet pour 2007. Pour ce faire, il s’impose de nouvelles méthodes, plus participatives, plus ouvertes sur l’extérieur. On en finirait ainsi avec le temps, espérons le, où les projets politiques seraient élaborés par les seuls cercles d’initiés cooptés.

Dans cet approche, les militants auront leur part, dans la mesure certes de leur motivation, mais aussi des instances et des groupes de travail que leur offriront les divers niveaux de l’organisation de notre parti. Il faut espérer que ces instances soient rapidement mises en place et que les militants les investissent massivement.

Mais il est cependant clair à nos yeux qu’aucun projet politique crédible – c’est à dire taillé pour changer et gouverner la France – ne pourra s’écrire sans la confrontation du parti avec la société.

Le terme de confrontation est ici utilisé à dessein. Au delà des groupes et des forces en phase naturelle avec ses valeurs et pratiques politiques, il faut en effet que notre Parti ait la détermination de se confronter avec des forces qui le remettent en cause, voire le combattent sur tel ou tel aspect de ses analyses ou de ses pratiques. Partis, syndicats, associations, organisations patronales même, tous sont des acteurs incontournables qu’il nous faut écouter.

Comment imaginer en effet que nous serons capable de bâtir un projet politique ambitieux en n’intégrant pas dans nos réflexions les analyses et les points de vue réels d’une grande partie de la société.

Au delà de l’idée, nous proposons quant à nous de passer à l’action. L’agglomération de Cergy-Pontoise est représentative à bien des égards d’une société moderne. On y retrouve tous les problèmes et les opportunités emblématiques de la France : Mixité sociale, culturelle et générationnelle, pauvreté et création de richesse, développement et réhabilitation.

Organisons donc, avant l’été à Cergy, un forum d’écoute politique. Réunissons, sur des thèmes pertinents à déterminer, pendant un jour ou deux, l’ensemble des partenaires, associations et organisations syndicales, sans exclure, bien au contraire, ceux qui ont sur nous un regard critique. Exprimons nos analyses, écoutons les leurs, ainsi que leurs reproches. Synthétisons les travaux et construisons sur cette base la contribution des militants de l’agglomération – et pourquoi pas du département – au nouveau projet des socialistes.

Pour que l’idée de démocratie participative ne devienne pas la nouvelle tarte à la crème du discours politique, saisissons-nous de l’opportunité de la mettre en oeuvre, ici et maintenant, dans le cadre du projet socialiste.

Dominique Sciamma , Patrick Rouchette
(Janvier 2005)

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Le Sacrifice Européen de Laurent Fabius

(Mai 2005)

On reconnaît les grands hommes politiques à leur capacité à dépasser les limites de leurs seules ambitions personnelles. Leur vision, leur conviction d’œuvrer pour un projet historique peut ainsi les amener à sacrifier leur destin, au nom de la sauvegarde de celui de leur communauté, voire même – et c’est encore plus visionnaire – à sacrifier le destin de leur communauté au nom de celui d’un continent.

A n’en pas douter, M. Laurent Fabius est de ceux-là.

Il y a presque 6 mois, le Parti Socialiste, à une importante majorité, a décidé d’apporter son soutien au projet de Traité constitutionnel. Plusieurs mois auparavant, M. Fabius avait clairement fait entendre sa différence, au nom de ses convictions sociales, maintes fois répétées.

Bien que déjugé par la majorité des militants de son propre parti, M. Fabius a eu le courage de persister dans sa dénonciation du Traité constitutionnel. Car il faut bien parler de courage ! Les ambitions présidentielles de Laurent Fabius sont connues, et il aurait pu sagement prendre acte de la décision des militants pour bénéficier en 2006 de leur reconnaissance de sa discipline de parti, en tant que N°2 confirmé par le vainqueur du moment, à savoir François Hollande. Au lieu de cela, au nom de ses convictions, M. Fabius a pris le risque de s’aliéner définitivement le soutien des militants socialistes. Premier sacrifice donc, le sien propre, puisqu’il ne pourra pas être le candidat en 2007 d’un Parti dont il a pris le risque de contrer la volonté majoritaire

Bien sûr, en prenant le risque de jouer contre son propre parti, M. Fabius pense clairement qu’il protège l’avenir de la France. Cette dernière prend évidemment le pas sur le premier dans son esprit.

Mais le sacrifice ne s’arrête pas là, car, en prenant ce premier risque, M. Fabius sait  pertinemment – et douloureusement – qu’il interdit à la gauche d’espérer remporter la victoire en 2007. Car à n’en pas douter, une victoire du Non au référendum du 29 mai aura comme conséquence probable une crise majeure au Parti socialiste, où les ambitions personnelles contrariées viendront s’ajouter à la confusion idéologique inéluctable entre partisans de la rupture victorieux mais minoritaires, et réformistes vaincus mais majoritaires. Sans parler de la difficulté à renouer sereinement le dialogue avec une gauche extrême méfiante et échaudée.

Mais aux yeux de l’homme de conviction prompt à l’abnégation qu’est M Fabius, l’Europe mérite sans doute que la France se sacrifie au nom de tous les autres peuples européens, fidèle en cela à sa tradition de phare politique. En retardant durablement l’arrivée d’une alternance politique de gauche pour la seule France, et en laissant de fait le champ libre à M. Sarkozy, M. Fabius espère ainsi au moins préserver tous les autres pays des méfaits d’une politique de droite induite par ce funeste Traité Constitutionnel.

Destinée présidentielle sacrifiée, alternance politique aux calendes grecques et France durablement sous un régime libéral, le tout pour le salut de l’Europe, Laurent Fabius aura donc su se hisser au niveau des grands européens, à la seule différence près que c’est en s’effaçant qu’il laissera paradoxalement une trace, comme à l’encre sympathique.

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Pour un Oui de Rupture

(Novembre 2004)

Soyons clairs et précis : à tous égards, le résultat du référendum interne du 1er décembre va consacrer la stratégie politique du Parti Socialiste pour la décennie à venir. Il va nous indiquer aussi si le Parti a retenu la leçon du 21 avril, et s’il s’apprête, enfin, à (se) gouverner autrement.

Si le Non l’emporte, le Parti confirme alors sa difficulté à sortir d’une logique semi-protestataire, fruit d’une pratique du pouvoir souvent frileuse, pas assez assumée, pas toujours maîtrisée, fruit d’un compromis bancal entre les partisans de la « Rupture » et ceux de la « Transition », les seconds étant perpétuellement soupçonné de dérive idéologique pour le seul motif qu’ils gouvernent en intégrant le principe de réalité.

Si le Oui est majoritaire, il faudra y voir le signe d’une identité sociale-démocrate qui s’assume enfin, d’un Parti prêt à effectuer un vrai travail pédagogique auprès de son électorat naturel et au-delà, prêt aussi à la confrontation idéologique et démocratique avec ses partenaires – comme ses adversaires – à gauche.

Notre Oui sera donc un Oui de rupture !

Rupture avec une pratique ambiguë du pouvoir, où compromis, calculs et opportunismes divers empêchent toute vision modernisée de s’exprimer.

Rupture avec un agenda politique, hier fixé par de seuls enjeux nationaux et présidentiels, et demain construit autour du seul espace politique qui vaille, celui de l’Europe.

Rupture enfin avec un archaïsme idéologique, où les incantations se substituent souvent aux idées, avec la mise en place d’un nouveau corpus idéologique offensif qui assume et intègre la complexité du monde, qui assume et promeut une société ouverte, qui assume et impose de nouvelles solidarités.

Quel autre terrain que l’Europe pouvait être celui de la bataille pour la construction du Parti Socialiste du XXIème siècle ?

Réjouissons nous de l’investir, pressons-nous de la gagner.

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L’Europe, Fléau du Monde

(mars 2004)

Europe Fédérale ou Europe des Etats-Nation ? Europe-Puissance ou Europe-grand marché ?  Alors que nous nous apprêtons à renouveler le parlement d’une Europe réunifiée, voilà les  questions qui devraient occuper le centre du débat politique.

Au-lieu de cela, il semble que l’Europe soit aujourd’hui instrumentalisée au profit de simple enjeux nationaux, seuls horizons de partis de fait peu enclins à assumer leur responsabilité Historique : celle d’articuler, et de proposer au monde un nouveau modèle de société solidaire adaptée aux nouvelles réalités techniques, culturelles, sociales, économiques, et politiques d’un monde globalisé.

Une société solidaire. Même si le « progrès » est une force historique à l’évidence toujours à l’œuvre, il ne bénéficie pas également à tous. Il revient donc à la puissance publique de mettre en œuvre les règles de solidarité et de dignité nécessaires. Cette solidarité s’exprime aussi dans le maintien et  mise en œuvre de services publics de qualité assurant l’accès aux ressources et services universels.

Une nouvelle distribution des pouvoirs : une communauté humaine de près de 400 millions d’individus ne peut fonctionner de manière centralisée. Les problèmes doivent donc être résolus au niveau le plus adapté. Cette subsidiarité implique une structure et un fonctionnement en réseau.

Des intelligences à l’œuvre : le principe de subsidiarité implique que les intelligences et les responsabilités soient mise en œuvre à tous les niveaux d’organisation de la société, jusqu’à l’individu. Education et recherche sont donc prioritaires. Ce n’est plus nourrir l’Europe qui est aujourd’hui important, c’est l’instruire et la former.

C’est donc bien un nouveau modèle démocratique qu’il s’agit de proposer au monde. Face à des Etats-Unis aux tentations hégémoniques, et à une Asie qui monte en puissance – et dont la chine est le géant de demain – l’Europe a véritablement un vision alternative à offrir.

Si les USA sont incontestablement une démocratie, ils restent toujours basés sur un modèle de capitalisme anglo-saxon, naturellement suspicieux vis-à-vis de la puissance publique, et ou l’individualisme est sanctifié. Le darwinisme social et économique y est exacerbé, et les réussites individuelles croissent sur le terreau de l’injustice sociale et de la pauvreté.

Le modèle asiatique, né au Japon d’abord, puis mis en œuvre chez les Dragons asiatiques (Hong-kong, singapour, Corée) est quant à lui basé sur une capacité exemplaire à mettre en œuvre des projets collectifs. Mais cette forme différente de capitalisme relègue les individus au second plan : tout doit schématiquement être mise au service de projets collectifs, qu’ils soient politiques ou économiques, aux détriments des désirs ou des libertés individuels.

Le modèle Européen se doit, lui, d’être un modèle d’équilibre. Equilibre entre liberté individuelle (dont celle d’entreprendre) et solidarité, équilibre encore entre économie de marché et service public, équilibre toujours entre développement technique et protection de l’environnement, équilibre enfin entre centre et périphérie.

Dans cette balance des modèles, entre un plateau américain et un plateau asiatique, l’Europe doit donc littéralement être le fléau du monde. Point d’équilibre et d’équité, nouveau point fixe d’une démocratie qui a vocation à devenir planétaire, ou ne pas être.

Télécharger : L_europe_fléau-du_monde