ou « Il est Vareuse ? Non, il est Tunique ! »
Moi, j’aime le Péplum ! Cette antiquité de Bazar, où les cités sont de carton-pâte, les situations téléphonées, les sentiments à la fois simplistes et violents, les princesses orientales blondes comme les prés, et les princes aussi bronzés et typés que des expat’s de retour de Phuket. J’aime ces fastes insensés et ces cérémonies incantatoires, ces danses des sept voiles évanescentes, ces esclaves en révolte, ces grands hommes ivres de pouvoir et d’intrigues. Bref j’aime cet orient phantasmé par un occident qui y projette ses rêves et ses valeurs. (Vous voyez où il veut en venir lui, avec cette introduction lyrique ?)
Mais si le Péplum a été un genre cinématographique majeur jusqu’à la fin des années 60 (et vous voulez parier que sa renaissance est proche ?) genre « le Demi-Frère de Maciste contre les 3 Mousquetaires« , il a été caïman inexploité par le monde de la Bande Dessinée (ah ouais ? Et le petit gaulois moustachu et son gros copain et sa potion magique là, c’est pas un péplum ça peut-être ? Non, monsieur c’est une parodie !). Dans ce désert, il faut toutefois noter la très remarquable exception que représente ALIX, oeuvre de Jacques MARTIN (Encore lui ! Non seulement il nous pollue les dimanches après-midi et télévisuels mais en plus il faut qu’il s’attaque à notre belle jeunesse ! Mais non, c’est un homonyme !) qui nous compte les aventures d’un autre gaulois, mais imberbe celui-là, autour du « Mare Nostrum » et au-delà.
Ceci étant dit, j’aimerais bien que le petit rigolo qui s’obstine à insérer des commentaires en italiques dans mon texte mette maintenant un terme à ces actes d’invasion textuelle caractérisée, merci. (Non mais c’est vrai quoi ! Qui c’est qui l’écrit cet article à la fin !).
Vivant au temps du Consul César, Alix est un jeune et blond esclave gaulois, qui deviendra au terme de sa première aventure (Alix l’Intrépide) un citoyen de Rome, et plus encore un véritable chantre de sa civilisation. Adopté par l’homme à qui il a sauvé la vie, sénateur romain de son état, il devient l’ami des puissants et de César lui-même. Ce statut très particulier l’amènera à affronter des missions et des ennemis terribles qu’il defaira toujours, pour le plus grand bien de la ville au sept collines (la ville au sept collines ? Ben Rome, tiens Banane !).
Ces aventures le mèneront jusqu’en Chine (par la Mer !) en passant la Gaule, l’Egypte, l’Empire Perse, la Grèce, Carthage et l’Afrique Noire. Il aura à côtoyer ou à combattre les adorateurs de Baal, Sparte la Guerrière, des sectes aussi obscures que sanguinaires, des légions en révoltes et des complots anti-romains. L’Atlantide elle-même, et ses secrets seront le prétexte de ses exploits !
Grâce à une documentation abondante et un amour évident de cette époque, Jacques MARTIN nous fait découvrir, en nous intriguant, le monde foisonnant, haut en couleur et riche de légendes de l’antiquité. Des paysages grandioses nous sont révélés au travers de son graphisme réaliste et aux couleurs très personnelles et chaudes (rouges, jaunes et oranges y dominent) et des personnages typées habillent et animent ces décors. Nulle doute que plusieurs générations de lecteurs n’aient appris dans ces pages plus de choses sur l’antiquité que dans leurs austères livres de classes.
Durant tous ses périples, Alix est suivi comme son ombre (mais un peu pâle) par le très passif Enak, un jeune Egyptien, Prince anonyme et silencieux. Même si la plupart du temps, Enak n’apparait être qu’un simple suiveur, il est parfois à l’origine de l’Aventure elle-même. L’amitié entre les deux garçons est si forte que les spécialistes de tous bords(*)/poils(*) n’ont pas manqué de souligner son ambiguïté. Sachant d’une part que la vie privée d’Alix ne regarde que lui, on pourrait d’autre part répondre à ces interrogateurs que même si c’était le cas, cela ne serait alors que la description de moeurs tout à fait courantes et admises pour cette époque et cette région du monde.
Loin de vivre dans un monde aussi simpliste que dans les Péplums plus haut loués, Alix est au contraire au centre de situations complexes et ambiguës, ambiguïté qui trouve souvent ses racines dans la personnalité d’Alix lui-même. Gaulois, Alix n’est-il pas un ardent défenseur des valeurs et de la force de Rome , et ce parfois même contre ses propres frères ? Membre de l’Establishment Romain, n’en vient-il pas à défendre de vils criminels de guerre, et tenter de les sauver de la juste vengeance d’une communauté quasi exterminée (« La griffe noire« ) ? Cette défense systématique de la Pax Romana à quelque chose de dérangeant qui va parfois poser à Alix bien des cas de conscience et l’amener à respecter ses ennemis et leur motivations tout en les combattant (« la Tour de Babel« ).
Mais c’est que le véritable et omniprésent fluide dramatique des aventures d’Alix est le Pouvoir ! Le Pouvoir de créer comme de détruire, de pacifier comme d’humilier. Loin de n’être que singulier, ce pouvoir se conjugue au pluriel, et ses incarnations s’affrontent en des combats que chaque partie trouve évidemment légitime. Quand un jeune roi ramené au pouvoir par Alix, s’éloigne en vieillissant de son peuple et le martyrise, il se voit défendu par notre Héros (au nom de l’amitié ? d’un réflexe conservateur du statu quo ?) contre toute raison politique mature, et ses détracteurs sont d’abord dépeints comme des méchants (« la Tour de Babel« ). Quand Sparte défie la puissance romaine, notre petit soldat de l’Ordre oeuvre à sa perte tout en recueillant le dernier représentant (paternalisme écoeurant !). Contre les velléités d’indépendances et de revendications d’authenticités, Alix, sorte de chantre d’une Real Politik avant la lettre, favorisera toujours l’avancée, qu’il estime civilisatrice, d’une Rome imperturbable et sûre de son droit.
Comme cet Empire dont Alix se veut le Héraut, l’oeuvre de Jacques MARTIN décline en qualité, lentement mais surement. Au départ denses et intenses (63 pages pleines), les scénarios aujourd’hui s’essoufflent et ne convainquent pas (42 pages un peu molles). Le graphisme se banalise, et les personnages, particulièrement, s’indifférencient (c’est à dire qu’ils se ressemble tous quoi !). C’est que Jacques MARTIN, qui a pourtant longtemps travaillé dans l’équipe du Maître Hergé, n’a pas le génie modeste de ce dernier, et que sa tête enfle aussi rapidement que ses scénarios se dégonflent.
Pour que son héros retrouve alors une deuxième jeunesse, il faudra certes que son auteur apprenne enfin l’ultime pouvoir : l’humilité.
(*) Rayez la mention inutile