De l’empathie à l’intelligence

Il existe dans le cerveau humain des neurones qui ont l’étrange propriété de réagir de la même manière quand leur propriétaire exécute une tâche ou quand il observe un congénère exécuter cette même tâche.  Ces neurones sont appelés « Neurones Miroirs » ou « Neurones de Gandhi ».

Le lieu même de notre pensée serait donc structurellement prompt à être en empathie avec notre prochain.

Le numérique, et sa puissante expression dans les nouveaux réseaux sociaux tous média confondus, permettent aujourd’hui aux multitudes d’individus connectés  d’être en relation et « d’observer » plus d’êtres humains qu’en aucun autre moment de l’histoire humaine.

La jonction de ces deux données peut donc nous amener à penser que nos neurones de Gandhi s’allument en une journée à des rythmes jamais atteints. Il y aurait ainsi un effet quasi mécanique d’empathie du fait des nouvelles pratiques sociales induites par le numérique.

Mais cette mécanique neuronale ne pourra suffire à nous rassurer sur la capacité des hommes à construire une société de l’empathie. Celle-ci ne pourra se bâtir que sur des nouvelles organisations d’interpellation et d’expression des intelligences.

Open Source logiciel et matériel, Crowd Sourcing, Co-création, DIY, FabLab, … sont autant des signes que le numérique induit surtout de nouvelles pratiques politiques, sociales et neo-industrielles, souvent, sinon systématiquement, partis du bas, et où le lien social, la confiance, la transparence, l’engagement, le partage sont  à la fois ce qui conditionnent ces démarches, comme ce qu’elles produisent.

(Octobre 2011)

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Pour un vivre ensemble digital

De tous temps, l’homme a rêvé de sociétés idéales, de cités radieuses, de sérénités sociales et de bonheurs accomplis. Que ce soit l’Egypte, la Grèce, la Chine, Rome, l’Europe ou le Nouveau Monde, toutes ont espéré l’avènement d’utopies porteuses d’ordre simple, immanent et achevé. Ces sociétés rêvées étaient construite sur la croyance en une stabilité permanente, inscrite dans les infrastructures, les aménagements, les architectures, les espaces et jusqu’aux corps et les têtes de ceux qui y vivaient. Les utopistes voyaient tous les savoirs et les techniques du moment et leur instanciation matérielles comme les conditions et les outils de la construction de ces « vivre ensemble » parfaits. Ces sociétés rêvées étaient toutes de ce fait, et par définition, des sociétés de confiance : confiance en un environnement stable et inducteur de bonheur et de relation sociales forcément vertueuses.

Un même espoir semble s’attacher aujourd’hui au numérique et ses révolutions des savoirs, des pratiques et des relations sociales.

Las, l’histoire est là pour nous prouver l’invraisemblance de cet espoir. L’écriture portait en elle-même les mêmes promesses d’émancipation et de sociétés heureuses parce que bâties sur des savoirs créés et partagés comme jamais, et on peut pourtant mesurer chaque jour la distance entre ce rêve et la réalité.

Faut-il pour autant y renoncer ? Le paradoxe est qu’il faut renoncer à l’idée de stabilité et à la confiance immanente qu’elle induit pour espérer y accéder. Il faut acter que la complexité est là et pour toujours, que l’instabilité est et sera notre lot quotidien, que l’incertitude est le champ permanent de nos actions, et que les erreurs et les imperfections ne seront pas et jamais supprimées et qu’il faut même prendre le risque de leur existence.  Il est d’autant plus urgent de l’acter que le numérique nous offre la possibilité d’espérer non point de maîtriser ces effets mais de les dissoudre, non pas chacun de notre côté, mais ensemble.

Car si le numérique est sans conteste un levier d’émancipation individuelle, il est aussi un champ de force collectif, permettant aux intelligences associées d’avancer là où l’individu, réduit à lui même reste impuissant.

Mais l’existence de ce champ ne signifie pas sa victoire car celle-ci, ne cessons jamais de le répéter, n’est pas immanente ! Il faut tordre le cou à cette idée que le numérique ferait émerger naturellement une intelligence collective qui se suffirait à elle-même. Les contextes dans lesquels ces intelligences se déploient, comme les politiques qui les permettent ont autant d’importance. Une société d’intelligences en réseau se considérant comme des pairs,  c’est à dire une société de confiance, ne peut se résumer à ce réseau ni à ses flux digitaux. Elle dépend, et très largement, de l’organisation des pouvoirs, qu’ils soient institutionnels, politiques, académiques, industriels, économiques, professionnels et générationnels.

Si le numérique vient percuter de plein fouet les systèmes politiques, il ne peut se substituer à eux. Les conditions d’émergence d’une société de confiance résident donc dans l’abandon des vieilles catégories et des organisations associées, et les états-nations ne sont pas les moindres de celles-ci.

Pas plus que la « Main Invisible du Marché », il n’y a de « Main invisible numérique ». L’urgence est donc que les forces politiques se repensent pour se métamorphoser, et permettre l’émergence de ce « vivre ensemble » digital.

(Octobre 2012)

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L’échec est en nous ! (mais rien n’est perdu)

Echouer pour réussir ? Le paradoxe n’en est un que pour notre pays, recroquevillé qu’il est dans son refus d’une modernité qui s’est imposée ailleurs. Il ne faut pas s’y tromper, ce refus de l’échec vient de loin et ira tout aussi loin si l’on ne prend pas le problème à la racine. Nous sommes une société colbertiste, centralisée, pyramidale, qui aime les figures autoritaires, paternelles, despotiques même, qui la dédouanent de toute responsabilité, de toute prise de décision, de tout risque. « Là-Haut », quelqu’un veille sur nous et prend toutes les décisions. « Là-Haut », un Père sait, comprend, fait. Nous n’avons qu’à attendre, protégés de toutes vicissitudes, de tous dangers. Notre passivité est la condition de notre protection, sinon de notre bonheur. Essayer d’en sortir serait contre-nature, sinon péché.

Cette posture était parfaitement adaptée aux enjeux et organisations des deux premières révolutions industrielles, celles des mines de charbon, des hauts-fourneaux puis des objets massivement produits en séries, où l’objectif était de mettre en œuvre des plans quasi-militaires et où l’ordre a plus d’importance que l’initiative. Elle est par contre totalement inadaptée à une société de l’information déjà dépassée, d’une société de le connaissance aujourd’hui programmée, d’une société de l’intelligence demain inéluctable.

Et c’est bien là le problème, car nous tentons d’entrer de force dans cette société de l’intelligence avec le credo et les pratiques de celle du Charbon et de l’Acier. Nous feignons de croire qu’il suffit d’un Ministère du Redressement Productif et du volontarisme associé, là où c’est d’un profond changement d’organisation des pouvoirs, d’une redistribution de ceux-ci, de la responsabilisation à tous les étages ( c’est à dire d’une réinvention politique) dont nous avons besoin. La 5ème république, monarchie colbertiste et républicaine, est aujourd’hui le vrai carcan de nos initiatives nécessaires. Si échec il y a, c’est bien celui-là.

Passons vite en Sixième !

(Octobre 2012)

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Back to the future

On vient d’inventer l’écriture.

Seuls quelques grands prêtres maitrisent la nouvelle invention, et quelques un d’entre eux seulement ont la vision des changements radicaux qu’elle porte.

Compter, transmettre, mémoriser, acter, mais aussi prier, conter, apprendre.

Les Archontes, les monarques, les ministres, les commerçants ont fini par apprendre la nouvelle et s’enquièrent de la chose, de sa nouveauté, de sa puissance et de sa difficulté.

Ils s’entourent d’experts, d’érudits, dont seuls certains connaissent les arcanes, et d’autres croient les connaître pour avoir maladroitement tracé quelques signes sur l’argile fraiche. Les érudits décident d’étudier le phénomène, et créent des comités, pour peser le pour et le contre, identifier les dangers et les opportunités, et proposer, peut-être, de faire quelque chose.

Que faire de l’écriture ? Doit-on écrire à l’école ? Est-ce dangereux pour les enfants ? Peut-on commercer et écrire ? N’est-ce point une perte de temps ?

De ces doctes cercles sort enfin une interrogation : « Et maintenant, quelles politiques scripturales ? »…

C’est exactement la situation dans laquelle nous sommes avec le numérique et avec la question de ce débat. Le jour où l’écriture est inventée, elle porte en elle la transformation totale de toutes les organisations humaines, politiques, commerciales, guerrières, culturelles. Et la question n’est donc pas de savoir quelles politiques mettre à son service, mais comment transformer la politique par l’écriture.

Ne demandez pas ce que vous pouvez faire pour le numérique ! Mais demandez plutôt ce que le numérique peut faire pour vous !

(Juillet 2012)

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[Dé]Coder le Monde

Cela va bientôt finir par se savoir : le monde se numérise ! En tout temps, en tous lieux, des « objets » virtuels ou matériels  génèrent, exploitent, transforment, croisent des données (NOS données !) pour habiller et enrichir nos vies.

Le choix est alors simple : faut-il nonchalamment déléguer à d’autres le soin de dire lesquelles sont importantes, et comment les mettre en scène, et en fin de compte de programmer nos vies ? Ou ne faut-il pas plutôt faire le pas nécessaire pour comprendre que tout programme logiciel étant un biais, autant que celui-ci soit le nôtre ?
Car l’enjeu est bien là : prendre possession de nos vies, et donc de nos données !

Programmer ces objets et leurs comportements serait évidemment le plus sûr moyen de le faire. Au minimum, et à défaut d’être totalement les « programmeurs » de nos vie, il nous faut au moins comprendre comment d’autres les schématisent, modélisent, et éventuellement les instrumentalisent.

Ceci passe par une simple action : former dès le plus jeune âge TOUS les enfants à la programmation, quelles qu’en soient les formes. C’est le plus sûr moyen de donner à la génération qui en profitera la possibilité de (dé)coder son monde.

(Avril 2012)

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Apprendre en créant !

Est-ce que l’on apprend mieux en jouant ? Oui et de tous temps ! Cette question évacuée, il reste donc à nous pencher sur la vraie question derrière la fausse : comment apprendre différemment au XXIème siècle ?

Car s’il est bien une activité humaine qui connaît une inertie fantastique, c’est bien celle de l’éducation, dans ses institutions, ses acteurs, ses objectifs, ses modalités. Le numérique ne nous offre pas seulement l’opportunité de remettre en cause ces inerties, mais aussi de changer les termes mêmes du rapport au savoir.

Là où l’enjeu était au pire de transmettre, au mieux de partager ce savoir avec une audience, il devient aujourd’hui de le faire créer par cette audience, qui cesse au même instant d’en être une.

Les conséquences n’en sont pas seulement productives, mais plus certainement politiques car ce sont les enjeux de pouvoir et d’autorité qui sont remis en cause. Plus d’estrades, de Magisters, de protocoles, de recettes « éprouvées », de discipline en silo ! Mais une effervescence créative sans frontières disciplinaires, des hiérarchies bousculées, des initiatives individuelles reliées, de nouvelles manières de produire des connaissances, de mesurer, d ‘évaluer, de partager.

Le jeu est bien à l’œuvre, certes, mais dans ce monde ci, débarrassé – enfin – des deux voiles du passé et de l’écran.

(Aout 2011)

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Ad Codex Aeternam

Jamais dans son histoire, l’humanité n‘a autant écrit, publié et lu qu’aujourd’hui.
Jamais les média mis à sa disposition n’ont été aussi nombreux, flexibles, appropriables.
D’appropriables à appropriés, il n’y a qu’un pas sémantique que je franchis sans réserve.

Si l’idée d’un livre universel dans sa forme est sans doute mise à mal par son incontournable avatar numérique, elle renforce celle de la diversité des supports, dans laquelle le Codex sort paradoxalement renforcé.

Si de très nombreux types de contenus et situations humaines appellent l’usage de nos fameuses tablettes et autres e-book, d’autres vont pouvoir exploiter pour notre plus grand bonheur cet objet incomparable formé d’une couverture et de feuilles imprimées, mais aussi de colle, d’odeur, de textures, d’expériences sensorielles.

Plus qu’un contenant durable, et plus que son contenu, le codex est surtout un objet d’expériences, souvent fondatrices de nos personnalités et de nos existences.
Alors que certains écrits seront exploités – c’est le mot – sur de nouveaux supports, ceux avec lesquels nous entretenons une relation d’étonnement, d’attachement, et d’amour porteront en gloire un Codex immortel.

(Janvier 2011)

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Six point zéro

Gouverner c’est anticiper : voilà une proposition systématiquement démentie, ici, depuis que les NTIC ont irriguée le monde.

Manquant singulièrement de culture en la matière (« mais qu’appelez-vous une souris mademoiselle ? »), notre classe politique hexagonale n’a jamais compris les enjeux des TIC, et a en tout cas une énorme difficulté à les intégrer.

La raison en est simple : nos institutions – pyramidales, centralisées, hiérarchisées, propices au contrôle a priori – sont en complète contradiction avec l’internet vu comme un nouvel horizon organisationnel et politique : réticulé, sans centre, sans périphérie, propice à la prise d’initiative.

Toute tentative d’E-gouvernement qui viendrait se plaquer sur de telles institutions est comme un emplâtre sur une jambe de bois : inutile, contradictoire, inefficace.

Comme d’habitude, les NTIC ne sont pas magiques, et ne nous dédouanent de la nécessité de l’action.

En tirer tout le parti nous oblige à mettre en phase nos pratiques et nos institutions, et à passer simplement et rapidement à la République 6.0.

(Octobre 2010)

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Sur un petit nuage

Pour ceux qui ont un peu de mémoire informatique, Il est toujours amusant de voir combien certains sont prompts a s’émerveiller de concepts anciens au motif qu’ils ont un nouveau nom.

Le Cloud Computing, après tout, ne fait que réinventer l’informatique distribuée, dont Sun fut un temps le champion avec son « the computer is the network ». Et le programme SETI ne faisait-il pas du Cloud Computing, avant même qu’on en invente le nom ?

Si l’interconnexion des ordinateurs au travers d’un réseau mondial donne une nouvelle jeunesse « marketing » à une ancienne réalité, elle masque la montée en puissance d’une réalité plus étrange et Ô combien plus structurante, à savoir que le vrai nuage est celui des objets.

Ubimedia, informatique ambiante, internet des objets : quel qu’en soit le terme, c’est cette révolution là qu’il s’agit de penser, de créer, d’accompagner. Quand l’environnement humain sera le témoin et l’assistant permanent de nos actions, de nos désirs, et pourquoi pas de nos pensées, nous serons confrontés à d’autres questions que de savoir où Diable se cache la puissance et les données du service nous utilisons. C’est juste la nature du monde qui aura changé.

(Juin 2010)

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Quand les théières cafteront…

Après avoir été un espace de liberté sans pareil, le web pourrait donc devenir le lieu de toutes les surveillances. Celles de nos goûts, nos opinions, nos amitiés et nos vagabondages. Il y a des raisons de craindre que l’écran ne se transforme en œil, si le régulateur s’y engouffre, ou pire encore, l’ignore au profit des marques et des officines.

Le plus grand des dangers, pourtant, ne vient pas de l’écran, et de ceux qui s’y cachent. Le danger potentiel, c’est l’objet. Longtemps, l’espace de l’homme s’est défini et construit par et autour d’objet matériels. Outils, machines, décorations, meubles peuplaient et construisaient à la fois nos espaces de vie, qui nous protégeaient. C’en pourrait être fini.

Que devient cette protection quand tous ces objets communiquent et collaborent dans un réseau qui les rend visibles, et partant, nous avec ? Quelle belle et magique promesse pourtant que de pouvoir vivre entouré d’objets attentionnés ! Dotés d’intelligence, percevant nos besoins et les satisfaisant, ces objets en réseau peuvent aussi se transformer en un système bavard et dénonciateur.

La technologie ne nous sera d’aucune aide, pour empêcher les objets de cafter. Seul le régulateur a les moyens, par la loi et les normes, d’empêcher qu’ils ne nous espionnent, et que métamorphosés ils continuent ainsi de mieux nous servir, mais en toute discrétion.

(Avril 2010)

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